Transparence financière des grandes entreprises : le coup d’arrêt honteux du gouvernement
Mardi 15 décembre à 1h30 du matin, l’Assemblée nationale a rejeté l’obligation de rendre publics les activités et impôts payés pays par pays pour les grandes entreprises : après un premier vote favorable à 0h qui confirmait déjà un vote précédent intervenu 10 jours plus tôt en première lecture, le secrétaire d’Etat au Budget a demandé une interruption de séance pour convaincre quelques députés de se déjuger, puis obtenu une deuxième délibération sur cette mesure à laquelle il était opposé. Dans l’hémicycle, M. Eckert a estimé que cette mesure, qui concernait les 8000 entreprises dotées d’un bilan supérieur à 20 millions d’euros, d’un chiffre d’affaires supérieur à 40 millions d’euros, ou de plus de 250 salariés, était « prématurée » et comportait « quelques risques en matière de compétitivité ».
Ce coup d’arrêt, justement dénoncé par les grandes ONG d’environnement et de développement réunies dans la Plateforme Paradis Fiscaux et Judiciaires, est honteux. En 2015, comment peut-il être « prématuré » d’instaurer en France une mesure de transparence financière que les Etats-Unis ont adoptée dès 2010 via la loi Dodd-Frank qui entendait mettre fin au grand désordre financier apparu dans les années 2008-2009 et alors que cette mesure de transparence financière existe déjà pour les banques depuis la loi bancaire française de 2013 et la directive européenne CRD IV adoptée la même année ? Quels « risques en matière de compétitivité » une telle mesure peut-elle faire courir aux entreprises françaises alors que depuis deux directives européennes datant de 2013, toutes les entreprises extractives européennes devraient y être soumises et alors que la mesure que le gouvernement vient de rejeter remplit une des exigences de l’accord « BEPS » de l’OCDE signé, pas plus tard qu’en novembre dernier, par la France 61 autres pays afin de lutter contre l’optimisation fiscales des multinationales ?
EELV est particulièrement attaché au reporting financier pays par pays. Parce que cette mesure met en lumière les paiements effectués par des entreprises à des gouvernements, elle est un outil efficace pour dénouer les liens de corruption qui sont si souvent à l’origine d’infractions majeures du droit environnemental dans les pays du Sud. Parce que cette mesure met en lumière la composition pays par pays des bénéfices consolidés, elle est un outil efficace de dépistage de l’évasion fiscale via le recours aux paradis fiscaux. Parce que cette mesure permet donc de ne plus priver les Etats, du Nord comme du Sud, de recettes fiscales nécessaires au financement de leurs services publics. Parce que ne pas adopter cette mesure contribuera à l’accroissement dans les pays du Sud d’une pauvreté et d’inégalités dont les pays du Nord auront à subir au moins en partie les conséquences.
EELV demande donc au gouvernement de se raviser au plus vite et d’introduire dès que possible l’obligation de reporting pays par pays dans la législation française. Le projet de loi sur la Transparence de la vie économique qui doit être présenté au Parlement à l’hiver 2016 doit en être l’occasion.
Julien Bayou et Sandrine Rousseau, porte-parole nationaux