4 questions à Céline Ramstein et Lucile Schmid pour décrypter ce qui s’est passé à Bonn
Que s’est-il passé lors de cette session de négociations à Bonn ?
Pour préparer la COP21, et le texte de l’accord qui doit y être adopté, plusieurs sessions de négociations sont organisées tout au long de l’année. Elles rassemblent les 196 parties à la Convention Cadre des Nations Unies sur les Changements Climatiques (CCNUCC). La COP20, à Lima (en décembre 2014) avait permis de rassembler les premiers éléments de ce texte. Lors d’une semaine de négociations à Genève en février dernier, les pays avaient pu faire part de leurs positions, aboutissant à un texte qui, loin de trancher entre les différentes options, en faisait la liste. Ce texte a ensuite été traduit dans les cinq langues officielles de l’ONU (la version française, fait 136 pages).
Ces deux semaines de négociations, du 1er au 11 juin, devaient permettre d’accélérer le rythme pour réellement commencer à négocier sur ce texte, afin de clarifier quels sont les points de blocage pour lequel un arbitrage politique de haut niveau sera nécessaire et en avançant sur le reste. Or, finalement, malgré l’organisation de nombreux groupes de travail, malgré une ambiance jugée par l’ensemble des négociateurs comme « constructive », et alors que tout le monde se félicite d’une forte confiance entre les pays (ce qui est déjà un élément fondamental pour la réussite du processus), les négociations n’ont guère avancé. Le texte reste illisible, il continue à conserver un nombre important d’options (souvent contradictoires entre elles) et ces deux semaines n’auront pas permis d’avancées significatives sur le texte, au mieux la réduction de quelques pages et l’élimination de quelques doublons.
Plus concrètement, quels sont les enjeux et les points de blocage de ces négociations ?
Revenons tout d’abord sur l’objectif de l’accord de Paris : établir le nouveau cadre international pour le climat pour l’après 2020. Pour la première fois, l’ensemble des pays vont s’engager dans cet effort (accord universel) dans l’objectif de limiter le réchauffement à 2°C. Et pour y parvenir, de nombreuses difficultés se posent.
Depuis l’époque du protocole de Kyoto, le mécanisme a beaucoup changé. Dans le processus actuel, l’ensemble des pays sont invités à présenter leur contribution nationale (appelées dans ce processus (bourré d’acronymes en anglais) Intended Nationally Determined Contributions – INDCs). Dans ce nouveau système où chaque pays publie sa propre contribution, quel mécanisme peut-on envisager pour les évaluer et en assurer le suivi ? Pour l’instant les pays n’ont pas été capables de se mettre d’accord sur une évaluation des contributions nationales avant Paris (du moins une évaluation officielle, entre les pays, car de nombreux centres de recherches et ONGs se prêtent d’ores et déjà à l’exercice), seul un rapport de synthèse sur l’ambition agrégée des contributions sera réalisé par le Secrétariat de la Convention un mois avant Paris. Une autre question se pose pour augmenter l’ambition au cours du temps. Si les contributions présentées cette année sont insuffisantes, comment organise-t-on leur révision ? Qui peut en juger ? Et comment inciter et aider les pays à être plus ambitieux ? C’est ce que les discussions pour mettre en place des “cycles réguliers“ de révision tentent de résoudre.
Cela rejoint une autre question qui est celle de la différentiation entre pays : les pays doivent-ils tous obéir aux mêmes règles ? faut-il créer de nouveaux groupes avec des obligations différentes, ou se contenter du statu quo actuel ? (dans le “système Kyoto“ on avait séparé le monde en deux entre pays développés et pays en développement, ce qui ne correspond plus à la réalité d’aujourd’hui).
La question de la forme juridique de l’accord est également au cœur des débats, et le sera probablement jusqu’à la fin des négociations : se dirige-t-on vers un protocole juridiquement contraignant ? quels mécanismes mettra-t-on en place pour mesurer et vérifier les engagements pris ? quel poids juridique pour ces engagements (pour l’instant dénommés “contributions“) ?
Enfin, et peut-être surtout la question de l’aide, des moyens et des financements mis en place pour aider les pays les plus pauvres non seulement à s’engager vers un futur bas carbone mais également à s’adapter face aux changements climatiques à venir est certainement la plus sensible. Des efforts supplémentaires sont attendus de la part des pays développés, qui n’ont pas encore tenu leur promesse de mobiliser 100 milliards de dollars par an d’ici 2020 pour le Fonds Vert.
À toutes ces questions et ces difficultés sur le fonds, s’ajoute un processus relativement lent et inefficace mais garant de la représentation et de la souveraineté de chaque pays. En effet, toute décision est prise par consensus, et on ne peut donc pas avancer si les pays ne sont pas d’accord, ce qui rend tout progrès très difficile compte-tenu des nombreux (et divergents) intérêts en jeu.
Sur ces contributions nationales, où en est-on ?
Une quarantaine de pays a pour l’instant présenté sa contribution (avec des niveaux plus ou moins ambitieux selon les pays) mais globalement l’ambition n’est pas suffisante. Des émetteurs majeurs n’ont même pas encore publié leur contribution comme l’Australie, le Brésil ou la Chine. Il faudra donc attendre encore un peu pour en avoir une vision plus globale mais il apparait d’ores et déjà que l’ambition ne sera pas suffisante, d’où l’importance des mécanismes mis en place à Paris pour renforcer la coopération entre les pays, réviser régulièrement ces contributions dans les années à venir et accélérer l’action.
Ce qui est tout de même encourageant c’est que, même si les négociations demeurent lentes, des progrès sont en cours, dans le monde entier, à un rythme bien plus rapide. De nombreuses initiatives sont en cours pour construire un monde plus durable, mises en œuvre par une grande diversité d’acteurs (collectivités territoriales, investisseurs, entreprises, citoyens, collectifs, …). De même, ces questions gagnent de plus en plus de place sur la scène internationale, et elles ne sont plus limitées à la sphère des négociations climatiques : du G7 au G20 en passant par les Banques de Développement ou les grands fonds d’investissement, on parle climat et on désinvestit, peu à peu, dans les énergies fossiles.
Il est important que cette dynamique s’amplifie et contribue à un accord ambitieux à Paris qui envoie un “signal fort“ de tous les pays du monde indiquant que la transition écologique est en marche !
Et maintenant, que va-t-il se passer ?
Au rythme actuel, on voit mal comment ces négociations vont transformer ce texte (devenu difficilement lisible) en un texte d’accord final clair et cohérent. Un sérieux coup d’accélération est nécessaire. Celui-ci pourrait venir des co-chairs de la négociation, qui pourraient travailler à clarifier le texte et les options à trancher selon les discussions qui ont eu lieu lors de ces dernières semaines (mais cela n’est possible que si les pays leurs donnent un mandat pour le faire). Il est également important que des arbitrages politiques soient pris à haut niveau pour trancher entre ces différentes options, sans attendre les tout derniers jours de la COP21… Finalement, on va donc devoir attendre encore un peu pour y voir plus clair ! Mais il est certain que la prochaine séance de négociations fin août (et ce qui se passera d’ici là pour tenter d’avancer sur ces options) sera essentielle car il ne restera alors plus qu’une séance de négociations (en octobre) avant la COP21. Il faut donc absolument que les choses s’accélèrent au plus vite !
Dans ce contexte de négociations qui patinent, la mobilisation de la société civile est plus importante que jamais, pour aboutir à un accord à Paris, et, plus généralement, pour sensibiliser à l’urgence climatique et à l’importance d’agir, dès maintenant, contre le dérèglement climatique !
Céline Ramstein et Lucie Schmid, groupe de travail sur la COP21