Loi de transition énergétique : 3 questions à Denis Baupin
Le projet de loi de transition énergétique vient d’être adopté au Senat, mais les écologistes ne l’ont pas voté. Quels changements du texte que les écologistes avaient voté à l’Assemblée ont ils été opéré par le Senat à majorité UMP ?
Denis Baupin : Ronan Dantec et Joël Labbé ont mené un beau combat au Sénat qui a permis de belles améliorations du texte de l’Assemblée dans de nombreux domaines. Malheureusement ces avancées ont été plus que contrebalancées par des reculs inacceptables imposés par une majorité UMP – UDI – FDG.
Deux concernent le nucléaire : le Sénat a certes maintenu l’objectif de réduction du nucléaire à 50% du mix électrique (contre 75% aujourd’hui) mais il a retiré la date de 2025 (qui est l’engagement présidentiel) pour le remplacer par un « à terme », dont le rapporteur UMP n’a pas caché dans l’hémicycle que pour lui cela voulait dire « jamais » !
Par ailleurs la loi votée par l’Assemblée fixait un plafond de 63,2 GW de puissance nucléaire, pour que 18 mois avant l’ouverture de l’EPR de Flamanville, EDF engage la procédure de fermeture de deux réacteurs (dont Fessenheim – le Président de la République a confirmé lundi qu’il s’agira bien de cette centrale comme il s’y était engagé, et comme nous le demandions)… mais le Sénat a remonté ce plafond à 64,8 GW ce qui rend ce plafond totalement inutile.
Un autre recul porte sur la politique d’efficacité énergétique : à l’Assemblée nationale nous avions voté l’objectif de diviser par 2 la consommation d’énergie d’ici 2050 (et de la réduire de 20% d’ici 2030). La majorité sénatoriale a vidé ces objectifs de leur substance en les transformant en objectifs relatifs à poursuivre…
Enfin, comble du ridicule, un amendement a été adopté qui oblige à ne construire toute éolienne qu’à au moins 1000 m d’une habitation (au lieu de 500 m aujourd’hui), et cela sans la moindre justification objective, ce qui tuerait dans l’œuf près de 90% des projets éoliens dans ce pays, et donc rendrait impossible la transition énergétique.
Dans ces conditions, il était parfaitement logique que le groupe écologiste du Sénat vote contre le texte.
Que va-t-il se passer maintenant ? Quelles seront les prochaines étapes du parcours du projet de loi ?
Denis Baupin : La procédure parlementaire prévoit que dans ce type de situation soit réunie une commission mixte paritaire (CMP) composée de 7 députés et 7 sénateurs. Ronan et moi-même y serons au titre de suppléant, ce qui nous permettra d’intervenir, mais pas de voter. Deux options sont possibles : soit la commission mixte se met d’accord sur les différents points en débat entre les deux assemblées (près de 250 amendements adoptés par le Sénat par rapport au texte de l’Assemblée) et a priori les deux chambres entérineront le compromis. Soit un accord est impossible (notamment sur les sujets évoqués ci-dessus) : on constate alors l’échec de la CMP, et le débat reprend à l’Assemblée sur la base du texte qui avait été adopté par l’Assemblée (ce qui n’empêche pas d’intégrer lors de ce nouveau débat les avancées qui ont pu être adoptées au Sénat).
L’échec de la CMP est le plus probable car les positions sont largement inconciliables. Le Premier ministre a notamment déclaré lors du congrès du Syndicat des énergies renouvelables, la semaine passée, que le gouvernement s’en tient à l’engagement présidentiel, à savoir l’objectif de réduire la part du nucléaire en 2025.
Il est clair que cet engagement constitue une pierre majeure de l’accord que nous avions passé en 2011. Sa remise en question ruinerait non seulement la transition énergétique, mais aussi la capacité à travailler ensemble.
Quel impact le sinistre économique d’AREVA a-t-il sur la loi de transition énergétique ?
Denis Baupin : Ce débat intervient à un moment tout particulier qui rend d’autant plus indispensable la réussite de cette loi. D’une part, la France accueillera la conférence climatique à la fin de l’année et se doit d’être exemplaire. Deuxièmement, cette semaine, plus que jamais, l’écroulement du business model du nucléaire est devenu une évidence incontournable avec la quasi mise en faillite d’AREVA qui a enregistré une perte pharaonique de 5 milliards. Déjà, à l’occasion de mon rapport sur les coûts du nucléaire, nous avions mis en évidence l’impasse économique de la filière.
Ne pas en tirer rapidement les conséquences condamnerait la France à rater la révolution énergétique en marche à travers le monde et qui se traduit par le développement massif des énergies renouvelables. Enfin, cette semaine, Jean-Marc Nollet (président du groupe Ecolo au parlement belge, et ancien ministre de l’énergie wallon) et moi-même avons rendu public les dernières informations connues sur les cuves des réacteurs belges qui ont été mis à l’arrêt : elles mettent en évidence une fragilisation des cuves plus rapide que ce qui était jusque-là modélisé. Ces informations montrent une dangerosité accrue des réacteurs, et rendent encore plus aléatoire leur prolongation au-delà de 40 ans que promeuvent les adversaires de la transition énergétique.
Tous ces éléments rendent d’autant plus nécessaire l’adoption d’une loi de transition énergétique conforme au texte adopté par l’Assemblée nationale (et encore amélioré). Ajoutons que c’est non seulement une nécessité, mais aussi une formidable opportunité pour créer des centaines de milliers d’emplois non délocalisables, mais aussi pour redonner du pouvoir d’achat à nos concitoyens en réduisant leurs dépenses contraintes de chauffage, d’éclairage et de mobilité.