Discours d’Emmanuelle Cosse au conseil Fédéral d’EELV

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Cher-e-s ami-e-s,

Merci d’être venus nombreuses et nombreux pour ce Conseil fédéral qui, vous vous en doutez, revêt un caractère particulier.

Nous venons de passer des jours difficiles, après ces terribles attentats qui ont frappé la France.

Charb, Cabu, Wolinski, Tignous, Honoré, Bernard Maris, Mustapha Ourrad, Elsa Cayat, Frédéric Boisseau, Michel Renaud, Franck Brinsolaro, Ahmed Merabet, Clarissa Jean-Philippe, Yoav Hattab, Philippe Braham, Yohan Cohen, François-Michel Saada ont perdu la vie.

En ciblant des dessinateurs militants, des policiers et des juifs, c’est bien à la France entière et à ses idéaux de liberté, d’égalité et de fraternité que les trois terroristes s’en sont pris.

C’est pourquoi, avant d’aller plus loin, en hommage aux 17 victimes dont le nom s’affiche derrière moi, je vous propose de respecter une minute de silence.

Minute de silence

Je vous remercie.

Avant d’essayer de réfléchir avec humilité aux causes de ce drame et de poser les jalons d’une réaction politique la plus lucide possible, je vous propose de poursuivre le temps de l’hommage, et de passer la parole à quelqu’un qui est au carrefour de l’écologie, du monde de l’humour et de la création. Yves Frémion, qui va nous parler de ce fameux esprit Charlie, et des hommes qui le faisaient vivre.

Yves Fremion

Un grand merci à Yves. Nous n’oublierons pas ce que nous devons à Charlie Hebdo. Un état d’esprit bien sûr et une liberté revendiquée, mais aussi des convictions pour l’égalité, la justice et l’écologie.

Un engagement pour la justice, avec le combat contre la peine de mort par exemple. Un engagement pour l’égalité, avec celui pour l’IVG, alors qu’on fête aujourd’hui les 40 ans de la loi Weil.

Un engagement pour l’écologie bien sûr, qui nous touche particulièrement car c’est un héritage dont nous bénéficions encore. Charlie Hebdo est un des premiers médias a voir abordé la question écologique comme un sujet de société. Certains des acteurs de Charlie Hebdo sont des militants de la première heure de certains combats écologistes. C’est le cas par exemple de Pierre Fournier, journaliste et dessinateur à Charlie Hebdo, qui est à l’origine de la première manifestation anti nucléaire en juillet 1971 contre le projet de centrale nucléaire du Bugey dans l’Ain.

Les animaux étaient aussi très présents dans les dessins de Charlie Hebdo. Qui n’a pas déjà vu un des nombreux dessins de Charlie Hebdo raillant les chasseurs et leurs pratiques non respectueuses du monde animal ?

Ils ne se sont pas privés, non plus, de caricaturer les défauts des Verts, les multiples leaders et chefs autoproclamés, nous mettant devant nos contradictions et illustrant nos débats d’une bien meilleure manière que certains de nos discours.

En tant qu’écologistes, nous devons donc beaucoup à ceux qui sont tombés dans les locaux de Charlie Hebdo. Avec certains d’entre eux, nous avions fait un bout de chemin ensemble. Je pense notamment à Cabu, cet amoureux du vélo qui nous avait fait l’honneur de dessiner pour nous, à plusieurs reprises. Je pense également à Bernard Maris, qui nous faisait aimer l’économie et qui s’était présenté sous la bannière des Verts, aux législatives de 2002 à Paris. Maris était un économiste engagé et humain, dont les travaux sur la croissance, qu’il qualifiait de « quête morbide », continueront de marquer la pensée anti-productiviste.

Je pense aussi à Tignous, très engagé sur ces sujets. Ou encore à Fabrice Nicolino, blessé durant l’attaque, dont on connaît le travail d’enquête remarquable. Tous deux comptent des camarades très chers dans ce parti.

 

On doit se souvenir de la justesse de leurs coups de crayons. Mais aussi poursuivre la discussion sur les débats qu’ils ont lancés et qui ont suscités tant de controverses.

 

Et maintenant que faire ?

Des réactions formidables ont eu lieu dans tous les pays pour défendre, dans une certaine communion, ce qui fait la France.

Les citoyens, avant tout, mais aussi les partis, les associations, les syndicats ont su se rassembler faire face de manière groupée.

Le Président de la République et le gouvernement ont su, et nous l’avons souligné, incarner la France au delà des personnes et des polémiques.

L’important était d’être ensemble. Nous devons poursuivre cet état d’esprit, sans cacher nos différences, car c’est cela la démocratie.

Le temps de l’hommage doit maintenant céder la place à celui de l’action. Dignité, lucidité et responsabilité. Voilà ce qui doit nous guider.

Il ne faut pas oublier ce que nous venons de vivre -l’horreur comme ce sursaut citoyen qui a suivi -, ni ce que nous avons vécu ces derniers mois.

Notre pays connaît une véritable crise morale, crise qui a amené un parti d’extrême droite en tête des dernières élections européennes.

Notre pays montre sans cesse son incapacité à répondre durablement à une France à deux vitesses. Dix ans après les émeutes dans les quartiers populaires, et malgré des investissements massifs qui ont pu y être faits, la pauvreté, l’isolement et l’enclavement y demeurent.

La crise économique, sociale et environnementale que nous connaissons asphyxie notre jeunesse et entraine l’absence de perspectives.

Place du citoyen

C’est pour cela qu’il est de notre devoir de concrétiser cet élan citoyen. Ce qui s’est exprimé dans la rue ces derniers jours ne peut pas rester lettre morte.

La société de consommation, en se concentrant avant tout sur le pouvoir d’achat des individus, a conduit à atomiser la société, à délégitimer l’action collective et le fait d’agir ensemble pour l’intérêt général.

Le goût du dialogue, le sens de l’impôt, la solidarité se sont affaiblis tout comme la confiance dans la représentation politique qui s’est effondrée.

Et c’est normal, tant aujourd’hui une partie de la société n’est absolument pas représentée dans les institutions. Cela ne peut plus durer !

Nous connaissons les solutions, proportionnelle, non-cumul des mandats, statuts de l’élu et démocratie participative permettraient de sortir des logiques de carrière. Elles doivent être mise en place.

Il est également temps d’aller au bout d’un droit de vote des étrangers aux élections locales, sans tergiverser. 

 

Plus largement, nous devons retrouver le chemin du dialogue. Aujourd’hui, celles et ceux qui revendiquent une conscience citoyenne, comme les opposants aux grands projets inutiles, se heurtent à l’autoritarisme rigide des administrations, des pseudos débats publics, des déclarations d’utilité publiques illégitimes qui reposent des conflits d’intérêts.

 

Trop souvent, la violence a remplacé le dialogue, l’autoritarisme à la concertation avec des conséquences dramatiques : pensons à Rémi Fraisse, cet amoureux de la nature, qui a perdu la vie à Sivens le 28 octobre dernier.

Cela aurait du se passer autrement.

Hier, Ségolène Royal a rendu publiques les conclusions d’un rapport qui acte que le barrage de Sivens n’est pas la solution aux problèmes de ressources en eau des agriculteurs de la zone du Testet. Enfin ! Nous serons vigilants sur la suite, mais cette étape est décisive pour la sauvegarde de la zone humide du Testet. N’oublions pas non plus que les circonstances de la mort de Rémi Fraisse demandent toujours à être éclairées, et les responsabilités établies, notamment après la garde à vue du gendarme qui a lancé la grenade.

La réforme des pratiques démocratiques avec la mise en place de réelles enquêtes publiques avec des experts indépendants, la lutte contre les conflits d’intérêts, la réhabilitation de la participation avec de véritables conseils citoyens dans les quartiers par exemple doivent être concrétisées au plus vite.

 

Pacte européen pour la justice et les libertés

Au delà de la question citoyenne qui est transversale, quelles réponses proposer au défi qui nous est lancé?

J’ai vu que certains responsables politiques proposent un pacte national pour la sécurité. Je propose pour ma part plutôt un pacte pour la justice et les libertés.

Ce pacte pourrait d’ailleurs reposer sur trois piliers, que l’on peut faire correspondre au triptyque républicain français : liberté, égalité, fraternité.

1/Le premier défi est de lutter contre le terrorisme en préservant les libertés :
La pire des réactions serait de sombrer dans la peur, de rogner les libertés publiques en multipliant les lois d’exception, autorisant des pouvoirs d’enquête spéciaux, le recours à une justice expéditive ou la mise en place de politiques ultra sécuritaires.

Certains responsables politiques ont déjà très vite cédés face à la tentation. D’aucun appelant à constituer un trésor de guerre dans un esprit vengeur, d’autres invoquant un improbable Patriot Act à la française, quand bien même la formule américaine fait référence aux systèmes d’écoute et de fichage généralisés, aux perquisitions dans toutes circonstances, aux prisons secrètes de la CIA, et à Guantanamo. Des réponses indignes et inefficaces.

Je le dis également avec force, les écologistes ne sont pas de ceux qui déclarent la guerre ouverte, surtout pas à une soit disante civilisation qu’auraient représenté les trois terroristes.

Face à la terreur, les écologistes préconisent le même remède que celui proposé par les responsables norvégiens après le drame d’Utoya : « plus de générosité, plus de tolérance, plus de démocratie. »

Il faut avoir la lucidité de regarder ce qui n’a pas fonctionné, ce qu’il faut améliorer, mais nous devons aussi lutter contre la gesticulation sécuritaire, solution de facilité dans laquelle est très vite tombée la droite et l’extreme droite.

Bien sûr, nous sommes prêts à travailler avec toutes les forces républicaines pour améliorer le renseignement français, pour permettre aux forces de l’ordre de travailler dans de meilleures conditions en augmentant leurs moyens humains et financiers.

L’urgence doit porter sur le renforcement des moyens d’action plutôt qu’un nouvel arsenal législatif pensé à la va-vite.

 

Nous devons, également, prendre la question des prisons à bras le corps. Car il est contreproductif de les remplir si elles font office d’école du crime et de centre de formation pour terroristes.

Les prisons sont une honte pour la dignité humaine, et un danger pour la république. Nous devons redéfinir leur utilité sociale, en refaire un sas de réinsertion, une étape qui rend meilleure, ne fait pas de vous un monstre.

Cela suppose, bien sûr, d’y bénéficier de moyens adéquats. Cela suppose par exemple de l’ouvrir à plus d’intervenants extérieurs, de se donner les moyens réels d’une réinsertion professionnelle mais aussi de donner à tous les intervenants religieux les moyens d’y exercer leurs missions.

2/ Deuxièmement, ce pacte pour la justice et la liberté implique de redéfinir un projet de vivre ensemble et d’égalité

C’est le plus gros chantier. Un chantier de long terme et de longue haleine, qui dépasse les échéances électorales et dont les fruits se récoltent parfois sur plus d’une génération. C’est le chantier de l’égalité, de la cohésion sociale et du vivre ensemble.

Rappelons l’essentiel : les jeunes qui sont devenus des tueurs étaient des enfants de la République Française, passés par une multitude de structures françaises et républicaines, l’école, l’aide sociale à l’enfance, la prison.

Ils ne sont pas nés terroristes, ils le sont devenus. La faille est donc également sociale. Y répondre passe nécessairement par des politiques sociales d’éducation et d’intégration plus fortes, par le déploiement de services publics de proximité dans les territoires.

Ce week-end, dans la rues, les gens ont parlé école, infirmiers, policiers, et donc de services publics. Ils ont aussi exprimé leur droit à la parole, comme le collectif Pas sans nous, co-animé par notre ami Mohammed Mechmache.

Refonder le pacte du vivre-ensemble, c’est aussi lutter pied à pied contre tous les amalgames, toutes les expressions de racisme, les raccourcis honteux qu’on entend trop souvent. C’est dénoncer sans faillir l’imposture des partis politiques qui fondent leurs actions sur la discrimination, la désignation d’un ennemi public ou la stigmatisation d’une religion.

C’est ainsi ne rien céder à l’antisémitisme et l’islamophobie, qui sont les deux aspects d’une même haine. Nous devons leur mettre un coup d’arrêt, ne jamais relâcher nos efforts.

 

Je tiens à le dire ici avec force, les musulmans n’ont pas à s’excuser. À l’heure où les actes de violence contre les musulmans se multiplient, les mosquées doivent être protégées, comme les synagogues.

Le vivre ensemble, et c’est là encore une grande leçon des derniers évènements, c’est aussi revoir nos politique d’accueil des étrangers.

L’histoire de Lassana Bathily, le héros de l’épicerie de la porte de Vincennes, est là pour nous en donner un formidable exemple. Lassana Bathily, qui sera naturalisé mardi prochain, élève du lycée Hector Guimard du 19e arrondissement, lycée que je connais bien.


Il est intéressant de connaître l’histoire de Lassana, alors que plusieurs dizaines de jeunes lycées majeurs sans-papiers qui suivent des formations à Paris se battent actuellement pour obtenir leur régularisation et surtout ne plus dormir à la rue.

L’histoire de Lassana, comme celles de milliers de personnes, illustre une nouvelle fois le rôle positif de l’immigration, montrée du doigt trop souvent alors qu’elle est une chance pour la France.

N’ayons pas peur de le réaffirmer, à la fermeture des frontières, nous, écologistes, préférons le droit d’asile et la régularisation des sans papiers.

Travailler le vivre ensemble et la cohésion sociale, c’est enfin s’attaquer aux inégalités de territoires. Seule une politique d’intégration de long terme produira des effets et permettra de réduire, en amont, le nombre de candidats potentiels au djihad.

Enfin, redonner sens au vivre ensemble passe par s’interroger sur la place de la laïcité dans notre pays, avec calme et sérénité. Pour ma part, je suis convaincue que, forts de nos valeurs de tolérance et d’ouverture, nous serons capable de redéfinir une laïcité du vivre ensemble, et non pas une laïcité de combat. Une laïcité qui laisse respirer les religions pour leur permettre d’être vécue de manière apaisée et donc de trouver leur place, ni plus ni moins.

Il faut ainsi garantir la possibilité d’exercer sa foi en toute liberté et en toute sécurité partout en France.

 

3/ Troisièmement, nous devons revoir la politique européenne et internationale

La haine ne connait pas les frontières. La xénophobie monte partout en Europe, et les réseaux terroristes profitent des nouvelles technologies pour se diffuser largement.

Comme sur tant d’autres sujets, la France ne réussira pas seule.

Le sursaut de l’après Charlie doit être un sursaut européen.

L’Europe doit continuer à être un espace de paix et d’ouverture, en résistant au repli nationaliste de certains de ses Etats membres et en mettant en œuvre des politiques plus sociales pour répondre aux aspirations de ses citoyens.

Ensuite, et le débat sur les échanges d’informations et sur les fichiers de passagers des vols aériens le montrent bien, nous devons poursuivre l’intégration européenne, comme nous l’avons toujours défendue. Une police et un renseignement européen seraient bien plus efficace contre des réseaux parfois mondialisés.

Le sursaut de l’après Charlie doit enfin nous conduire à revoir notre politique internationale.

Comme les parlementaires écologistes ont pu le dire dans le débat sur le conflit en Irak et en Syrie en début de semaine, les opérations militaires seules ne résoudront rien. Si on ne s’attaque pas au financement des groupes djihadistes, notamment par certains pays du golf qui tiennent un double discours, la violence n’entrainera que plus de violences.

Voici les trois piliers de notre pacte européen pour la justice et les libertés.

Conclusion

Mais rien ne sera possible tant que nous ne construirons pas un nouvel imaginaire désirable.

La décolonisation, la fin des trente glorieuses et les effets du dérèglement climatique ont changé irrémédiablement les perspectives de développement de nos sociétés.

Les vieilles recettes ne marchent plus et les gens, de plus en plus touchés par le chômage et la pauvreté, s’en rendent bien compte.

La croissance est encore définie par les dirigeants comme le carburant du progrès. Mais dans ce cas, comment susciter de l’espoir quand il n’y a plus de croissance ?

Comment susciter l’espoir quand le seul horizon que l’on propose aux gens est de payer des impôts pour rembourser une dettes dont ils ne sont en partie pas responsables ?

Comment susciter l’espoir quand on nous propose comme potion magique pour l’emploi une loi Macron qui confond action pérenne pour l’activité et mesurettes idéologiques qui font plaisir au Medef ?

Croit-on vraiment que l’on va mobiliser les Français et créer de l’adhésion avec une petite loi libérale qui n’apportera aucun bien-être supplémentaire aux français ? L’avenir de l’économie française ne peut se réduire à cette loi sans imagination, quand de nombreux chantiers d’avenir nous tendent les bras.

Je pense bien sûrs à toutes les filières de l’économie verte, celle des énergies renouvelables, de la rénovation des bâtiments et logements, de l’économie circulaire par exemple, viviers de nombreux emplois.

L’écologie a un rôle a jouer dans l’après Charlie. Il nous revient, écologistes, de lui apporter des débouchées politiques. De montrer qu’un autre modèle de développement, désirable, est possible, qui n’est ni le libéralisme ni le nationalisme.

Plusieurs grands rendez-vous nous attendent en cette année 2015 qui a si mal commencée. Les élections départementales et régionales seront pour nous l’occasion de démontrer les bienfaits de l’écologie de terrain, ceux de la transition énergétique. Cela doit être aussi l’occasion de faire en sorte que l’écologie soit plus forte dans les départements, pour peser sur les politiques sociales menées par ces collectivités.

De la même manière, l’année 2015 se conclura par la conférence de l’ONU sur le climat à Paris, dans cette même ville qui a été attaquée. Ce sommet sera une réussite à deux conditions :

  • que les Etats mettent de côté leur différences, fassent preuve de solidarité et s’entendent sur un accord contraignant
  • qu’une mobilisation citoyenne voit le jour aux côtés des chefs d’Etat, faisant de Paris2015 non pas un énième sommet de la dernière chance, mais le point de départ d’un mouvement social pour le climat qui perdure.

Ainsi, à plusieurs reprises cette année, l’écologie pourra donner à voir un horizon désirable, capable de redonner espoirs et perspectives d’avenir.

A nous d’être à la hauteur.

Je vous remercie

 

Emmanuelle Cosse, secrétaire nationale d’EELV.

 

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