La crise climatique à l’intérieur de nous-mêmes

Je Crise climatique

Mickael Marie nous parle du livre de Jade Lindgaard « Je crise cimatique »

 

Il y a près de trois ans, dans un texte remarquable et provocateur, l’historien Jean-François Mouhot comparait notre aveuglement et nos hésitations à agir face au péril climatique à la longue persistance légale de l’esclavage, quelques siècles plus tôt. « Nous nous représentons, écrivait-il, les propriétaires d’esclaves comme des brutes cruelles, sadiques, inhumaines ». Ce faisant, nous négligeons un peu vite qu’à leur époque « l’esclavage semblait tout à la fois normal et indispensable, tout comme le « droit » de posséder une voiture, d’avoir le chauffage central ou de prendre l’avion à notre guise, nous paraissent aujourd’hui parfaitement acceptables ». Provocateur ? Oui. Mais, concluait Mouhot, « si nous ne repensons pas rapidement notre manière de vivre, les générations futures se demanderont dans quelques années comment notre civilisation a pu vivre dans un tel aveuglement moral ».

 

Si nous voulons avoir quelque chance que les générations à venir puissent nous regarder autrement que comme des barbares, si nous voulons qu’elles puissent entendre quelques-unes de nos « circonstances atténuantes », il faudra que vive, soit lu, transmis et retenu, le livre de Jade Lindgaard, « Je crise climatique ». Lindgaard ne néglige rien des périls à l’œuvre, et leur donne même visage humain, explorant ce que nous laissons dans l’ombre de nos actes les plus « anodins ». Mais elle ne nous accable pas. Elle explore nos « résistances au changement », comme disent les experts, nos barrières cognitives ou émotionnelles. Nos normes de vie, si dangereuses pour l’avenir, mais qui demeurent tout de même nos normes de vie. Celles dont nous héritons, celles qui nous ont fabriqués. Le carbone est plus qu’une addiction. Une culture, une somme d’habitudes tenaces, dans laquelle on s’ébroue et se débat comme on peut.

 

Le livre n’élude aucune des difficultés présentes, qu’elles soient culturelles (le voyage ? « La source de plaisir la plus irrémédiablement affectée par la conscience de la pénurie ») ou techniques (les data centers, par exemple, ce matériel – pesant – d’accès à l’immatériel). Il décrit nos ambiguïtés et nos envies, parfois – souvent – d’oublier. De ne pas croire ce que nous savons.

 

« Ce ne sont plus des techniciens qu’il nous faut, ce sont des psychologues ! ». C’est un chargé de mission d’une agence de l’énergie qui le dit, et dont Jade Lindgaard rapporte les propos. Manière de dire que les solutions à la crise climatique ne sont pas seulement, et loin de là, affaire d’innovation technologique ou de volontarisme politique, mais qu’elles nichent aussi – d’abord – dans nos têtes. Il n’y a pas de grand méchant, « pas d’Al-Qaïda de l’effet de serre », il n’y a que nous.

 

Comme l’excellent « Saison brune »de Philippe Squarzoni, « Je crise climatique » est une enquête où l’auteure part (et parle) d’elle-même. Et comme dans « Saison brune », pas de surplomb. « Aucun d’entre nous ne peut prétendre y voir clair là où tous les autres se fourvoient », écrit Lindgaard. « Je crise climatique » est un voyage dans nos modes de vie, nos intimités et nos efforts tâtonnants pour « peser un peu moins lourd sur la terre », mais aussi – c’est la fin du livre, elle est capitale – une conversation avec celles et ceux, divers, qui ont pour métier de penser ce qui nous arrive, et comment y résister.

 

Car, c’est la bonne nouvelle, on peut y résister. Désapprendre. « Se déprivatiser », sortir de soi et voir plus large. Rien de simple, et on le sait déjà. Ce qu’apporte le livre est dans l’idée, essentielle, que rien ne se fera sans comprendre pourquoi c’est si difficile. Que rien ne se fera sans empathie. L’écologie, « c’est l’ école de la modestie », écrit encore Lindgaard. Difficile en effet de dire à la fois que les changements seront considérables – d’une ampleur inédite, même – sans chercher à comprendre pourquoi et pour quoi, tous et toutes à des degrés divers, nous résistons. Le paradoxe n’est qu’apparent : si nous voulons éviter le jugement sévère des « générations futures », nous ferions bien de chercher à mieux nous comprendre nous-mêmes. D’identifier ce qui nous retient, pour le désamorcer peu à peu, et changer.

 

Jade Lindgaard, Je crise climatique

La Découverte, 18 €

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