Trois questions au sénateur André Gattolin sur son rapport sur les enjeux géostratégiques de l’Arctique

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Rapport du sénateur André Gattolin,

« L’Arctique : Préoccupations européennes
pour un enjeu global »

André Gattolin, pourquoi ce rapport ? Et pourquoi aujourd’hui ?

Les enjeux dans la région sont multiples ; les plus gros sont économiques et environnementaux. L’exploitation de minerais en Arctique connaît aujourd’hui un véritable boom et fait presque figure d’une nouvelle ruée vers l’or. Parallèlement, beaucoup de nations spéculent sur la possibilité de créer une nouvelle route maritime commerciale passant par l’océan arctique.

Dans ce contexte de multiplication des activités dans une zone fragile chaque pays est en voie de définir sa propre stratégie. L’UE travaille à un cadre qui se veut plus cohérent. Le Parlement européen a adopté le 12 mars 2014 une résolution visant à refonder l’action de l’UE en Arctique. Le Conseil de l’UE a adopté deux mois plus tard des conclusions dans lesquelles il appelle la Commission européenne à lui soumettre avant la fin 2015 « des propositions sur la poursuite du développement d’une politique intégrée et cohérente pour la région arctique ».

De son côté, la France est en train d’élaborer une feuille de route nationale qui guidera son action dans la région pour les prochaines années. Notre pays a une certaine légitimité polaire avec son initiative de nommer en 2009 l’ancien Premier ministre Michel Rocard, ambassadeur de France pour les pôles. Il aura de plus une une « responsabilité particulière » dans le cadre de la conférence sur le climat en décembre 2015.

Le rapport que je viens de publier va servir, dans ce cadre, au gouvernement afin de faire des propositions à la Commission européenne.

L’Arctique est-il gouverné, et si oui comment ?

L’Arctique est une partie du monde soumise à une gouvernance faible. Le Conseil de l’Arctique, qui réunit les les huit pays de la région (1), n’a pas le pouvoir d’édicter des normes ; même s’il est reconnu par tous comme l’organe où les décisions se prennent. C’est une sorte de forum, né au milieu des années quatre-vingt-dix de l’inquiétude de protéger l’environnement polaire, qui reste verrouillé par les pays membres. Il présente certes l’originalité de donner la parole aux peuples autochtones de l’Arctique, mais laisse peu d’ouverture aux puissances étrangères. Et en dépit de la création nouvelle d’un volet économique, il ne parait pas encore en mesure d’affronter les transformations de l’Arctique et ce qu’elles impliquent, ni les ambitions qu’elles font naître de par le monde. Prenons l’exemple de la Russie. Son Grand Nord est d’une importance stratégique pour elle et elle voit dans le réchauffement l’opportunité pour un développement nouveau. Le Canada aussi mise beaucoup sur l’Arctique et affirme sa souveraineté : revendications territoriales, multiplication des projets miniers…  En comparaison, les États-Unis – qui présideront le Conseil de l’Arctique en 2015 – semblent plus en retrait. Plus ouverts à la liberté de passage en mer et à la coopération internationale, ils ne semblent pas faire de l’Arctique une priorité, même s’ils souhaitent assurer le développement durable de leur 49e État, l’Alaska.

La Norvège et l’Islande appellent également à une coopération internationale. La première a bâti son puissant fonds souverain sur l’exploitation des hydrocarbures et compte continuer. La seconde voudrait profiter de sa proximité avec le Groenland pour bénéficier du développement des activités sur cette île.  Pour sa part, et c’est l’un des enjeux géostratégiques, le Groenland souhaite que l’exploitation des richesses de son sous-sol lui permette d’acquérir et d’assumer son indépendance vis-à-vis du Danemark.

De leur côté la Suède et la Finlande, soucieuses d’un développement économique durable, de la lutte contre le réchauffement climatique et du devenir de leur population same, se voient comme les moteurs d’une politique plus ambitieuse de l’UE en Arctique.

Mais l’Arctique suscite aussi l’intérêt de nombreux pays au-delà du cercle polaire, particulièrement en Asie ! La Chine, qui exporte près de 95 % de ses marchandises par bateau est très intéressée à l’idée d’une nouvelle route commerciale lui permettant de rallier l’Occident. Son besoin croissant de matières premières motive son intérêt pour les richesses supposées du Grand Nord. Enfin, elle souhaite améliorer le niveau de sa recherche sur le climat et être présente en Arctique. C’est également le cas de l’Inde, qui est le troisième consommateur mondial d’énergie et est intéressée par de nouvelles sources d’approvisionnement. C’est aussi le cas du Japon. Enfin, la Corée du Sud étant le premier constructeur naval au monde, le développement de nouvelles routes commerciales l’intéresse particulièrement.

Pour revenir à l’Europe, l’Allemagne assume également vouloir profiter de nouvelles opportunités économiques. Tandis que le Royaume-Uni se montre plus prudent dans son approche afin de ménager ses partenaires dans la région, les Pays-Bas et l’Italie défendent principalement l’intérêt de leurs entreprises énergétiques.

L’Arctique pourrait-il être l’endroit au monde où l’on extraira les dernières gouttes d’hydrocarbures ?

Ce n’est pas impossible. Mais dans quelles conditions ? L’Arctique est un océan semi-fermé qui compte 4 millions d’habitants, dont 30 à 60 ethnies. Il présente un environnement fragile, et est atteint de deux maux qui le transforment irrémédiablement : la pollution et la fonte de la banquise. Les travaux du Giec montrent que l’Arctique se réchauffe deux à deux fois et demi plus vite que le reste de la planète. Le réchauffement serait de 4 à 5 °C à l’horizon 2050. 2014 devrait d’ailleurs être l’année d’un nouveau record de la réduction de la surface et de l’épaisseur de la mer de glace !

L’Arctique recèle de nombreuses ressources naturelles, qui se raréfient dans le monde. Les différentes études géologiques font apparaître que de nouveaux gisements pourraient être exploités : zinc, fer, cuivre, plomb, nickel, étain, platine, or, diamants, uranium, terres rares…  Le Groenland pourrait recéler entre 12 et 25 % de terres rares, ressource sur laquelle la Chine dispose d’un quasi-monopole de l’exploitation.  L’Arctique pourrait contenir plus de 10 % des réserves mondiales de pétrole et près de 30 % des réserves de gaz. Cependant, les conditions de l’activité dans le Grand Nord restent plus difficiles qu’ailleurs, les compagnies d’extraction en sont très conscientes. Concernant le pétrole, les techniques actuelles ne permettraient pas d’éviter une marée noire en Arctique en cas d’accident. Un jour ou l’autre il pourrait y avoir une catastrophe d’ampleur et l’entreprise en cause sera marquée du sceau de l’infamie et marginalisée. Si on ne peut pas dire à un pays de ne pas exploiter les ressources, au moins est il possible de fixer un cadre. C’est tout l’enjeu des étapes à venir.


(1) Canada, Danemark, Islande, Finlande, Norvège, Russie, Suède, Etats-Unis

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