Réflexions sur la réforme régionale par Bastien François

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Quelques réflexions sur la réforme régionale
par Bastien François, Professeur à l’Université Paris I Panthéon Sorbonne
et Conseiller régional Ile-de-France

On doit bien sûr partir d’un constat, celui de l’extrême confusion des projets gouvernementaux de réforme territoriale depuis deux ans. Le saucissonnage de l’acte III de la décentralisation et son étalement dans le temps, le rétablissement de la clause de compétence générale puis la proposition de sa suppression, la modification du scrutin départemental et le redécoupage des cantons puis l’annonce de la suppression des conseils territoriaux, l’entrecroisement des différentes collectivités plus ou moins « chef de file », l’insertion du fait métropolitain dans un paysage territorial profondément déstabilisé, le caractère plus ou moins prescriptif des différents documents d’aménagement, etc., tout cela ne fait que démontrer l’absence d’une vision politique globale, la réforme territoriale étant brinquebalée entre les pressions des différents lobbys d’élus locaux, les tentations recentralisatrices et technocratiques des élites ministérielles, dans un contexte où il faut satisfaire toujours plus les injonctions à des « réformes de structures » censées préserver les finances publiques.

Face à cela, le découragement peut guetter. Mais, parce que nous avons été toujours en pointe sur la refondation du schéma territorial, ce n’est sans doute pas le moment de baisser les bras. D’autant que l’ébauche de réforme dessinée par le Premier ministre, pour être brutale et parfois caricaturale, ouvre un nouvel espace de débat pour faire avancer nos idées.

Sans viser ici à l’exhaustivité, on peut essayer de tirer quelques lignes sur ce que pourrait être notre position, qui devra être – dans ce débat complexe – concise et percutante.

Oui au redécoupage des régions, non à de simples fusions

Diviser le nombre de régions par deux ? Ce n’est certes pas le projet des écologistes, qui n’ont jamais défendu l’idée d’un « big is beautiful », d’autant que, contrairement à ce que l’on peut lire ici ou là, la taille des régions françaises peut être avantageusement comparée à celle de leurs homologues européennes (en revanche – mais personne n’en parle – notre éparpillement communal est lui problématique et source d’infinis surcoûts de fonctionnement). Faut-il réduire, globalement, le nombre de régions ? Sans doute oui, mais pas sur un critère de taille. C’est la cohérence d’un territoire, dans ses différentes dimensions (économiques et sociales, géographiques, historiques, environnementales, démographiques, culturelles) – dimensions qui peuvent d’ailleurs parfois dépasser les frontières nationales – qui doit présider à la construction d’une nouvelle carte régionale. Cela suppose de s’affranchir des frontières actuelles des régions, c’est-à-dire, dans le même mouvement, des frontières actuelles des départements. La nouvelle carte régionale ne doit pas être une carte de la fusion des régions, mais bien celle d’une réécriture des frontières de cohérence des territoires. Autrement dit, oui au redécoupage des régions, non à de simples fusions. Enorme chantier bien sûr, mais aussi passionnant que nécessaire. Chantier qui prendra nécessairement du temps et suppose une très large concertation mobilisant également tous les savoirs accumulés sur les territoires (pourquoi ne pas mettre dans la boucle, sous la forme d’un grand projet national, toutes les universités de France, chacune étant alors appelée à expertiser dans toutes leurs dimensions les éléments qui font la cohérence territoriale d’une région ?).

Faut-il supprimer la clause de compétence générale ?

Supprimer la clause de compétence générale ? Il y a là une grande confusion. Derrière le même terme se nichent deux visions très différentes de l’organisation territoriale. Pour la plupart, la clause de compétence générale est ce qui permet à toutes les collectivités territoriales, à tous les niveaux, de développer toutes les politiques publiques qu’elles estiment nécessaires pour la préservation de l’intérêt local. Et il est vrai que, grâce à la clause de compétence générale, les collectivités territoriales ont trouvé dans la décentralisation mille chemins, peu ou mal bornés, pour innover et expérimenter d’autres façon de conduire l’action publique. La clause de compétence générale a produit un foisonnement de dynamiques territoriales à géométrie très variable, peu ou prou mises en forme par le législateur, feignant parfois de conduire ce qui lui échappait, cherchant à encadrer le plus souvent autoritairement ces débordements puissamment ancrés dans des territoires, multipliant les dispositifs, les structures, les exceptions à la règle commune, dans un fouillis devenu indescriptible. De là est née l’image du mille-feuille territorial…

Si la métaphore pâtissière est plaisante, ce qu’elle recouvre est néanmoins fort problématique. L’enjeu est ici encore d’abord démocratique. L’exercice du pouvoir local, dans la multiplicité des partenariats qu’il requiert est devenu pluriel, il s’est dilué dans des configurations d’acteurs très hétérogènes, voire hétéroclites, favorisant plus souvent la concurrence que la coopération dans une grande confusion des compétences exercées, à l’ombre portée d’une bureaucratie étatique affaiblie mais toujours présente. L’identification du lieu du pouvoir local pour tous ceux qui y sont confrontés – citoyens, entreprises, associations – est devenue un casse-tête, entraînant un scepticisme généralisé à l’encontre de l’action publique, faisant peser sur les élus locaux le fardeau d’une responsabilité qu’ils ne peuvent bien souvent pas assumer, au risque même de remettre en cause les bienfaits de la décentralisation. D’un espoir cette dernière est devenue un problème, ouvrant alors un boulevard aux revanchards de tous poils : des jacobins de la vieille école, nostalgique d’une France unitaire et uniforme, jusqu’aux tenants de la dérégulation libérale, trop contents de pouvoirs stigmatiser les dérives d’une gestion territoriale aussi complexe et confuse que supposément dispendieuse de fonds publics, trouvant ici le renfort – le paradoxe est malheureusement commun – d’une bureaucratie d’Etat affaiblie et encline à jouer de son contrôle des ressources budgétaires et fiscales pour retrouver sa superbe.

Une vision écologiste de la clause de compétence générale

La vision des écologistes de la clause de compétence générale – que nous défendons fortement ! – est autre. Elle s’inscrit dans une perspective à l’appellation un peu barbare : le fédéralisme différencié. Par là nous entendons d’une part la dévolution constitutionnelle aux collectivités locales d’un certain nombre de compétences précisément énumérées accompagnées d’une véritable autonomie fiscale et normative pour les mettre en œuvre, et d’autre part, dans ce cadre constitutionnel, la possibilité de faire varier au niveau régional la distribution de ces compétences, leur échelon de prise en charge et les formes d’organisation territoriale en fonction de spécificités locales (démographiques, géographiques, historiques, économiques, culturelles, etc.).

La perspective est donc double : 1/ Rompre avec la logique de défausse étatique à géométrie variable en établissant la base constitutionnelle d’une pleine autonomie des collectivités locales – sur le fondement du principe de subsidiarité – autour d’une collectivité chef de file, véritable entité fédérée : la Région. L’Etat ne serait plus un pourvoyeur mesquin de « dotations » octroyées aux collectivités pour compenser a minima un transfert de charges, mais aurait la responsabilité d’organiser une péréquation financière entre régions riches et régions pauvres, c’est-à-dire de garantir le respect du principe d’égalité des territoires au plan national. 2/ Permettre, dans ce nouveau cadre constitutionnel, une co-élaboration au niveau régional, par les différents échelons politiques territoriaux et l’Etat, des formes d’organisation et de répartition des compétences les mieux adaptées aux spécificités locales, laissant la possibilité d’une distribution des compétences et des formes d’organisation territoriale qui puissent varier d’une région à l’autre, et au sein du territoire de chaque région, dans le respect d’une subsidiarité ni ascendante ni descendante mais définie en commun dans chaque région.

Il ne s’agit donc plus d’opposer une vision rigide de « blocs de compétences » (exclusives ou partagées, y compris avec l’Etat) assignés à chaque niveau et une certaine souplesse permise par ce que l’on désigne par le terme de clause de compétence générale. Penser en termes de fédéralisme différencié permet d’échapper à cette alternative. La fixation (et la garantie) constitutionnelle de blocs de compétences attribuées aux collectivités locales peut parfaitement s’articuler au maintien d’une clause de compétence générale – condition nécessaire d’une autonomie vivante des collectivités locales, permettant innovation et expérimentation – dans le cadre d’une mise en cohérence assurée par les conférences régionales des pouvoirs locaux.

Décentraliser et démocratiser !

Décentraliser et démocratiser ! Jusqu’à présent décentralisation ne rime pas vraiment avec démocratisation. La récente réforme métropolitaine a même marqué, de ce point de vue, une véritable régression. Le chantier est très vaste – mode de scrutin, séparation des pouvoirs, participation citoyenne, etc. – et je ne peux le décrire ici (je me permets de renvoyer à un petit livre publié fin 2012 : La démocratie près de chez vous). Il devient surtout extrêmement urgent si l’on supprime effectivement les conseils départementaux (ex conseils généraux). En effet, le territoire régional est si vaste (et il le sera encore plus avec la nouvelle carte régionale) qu’il est fort à craindre que des territoires « marginaux » ou « périphériques » soient oubliés face aux intérêts égoïstes des territoires métropolitains qui fourniront l’essentiel des électeurs et des élus. Et cela d’autant plus que nous, écologistes, défendons l’idée que pour assurer une véritable légitimité aux élus locaux et ne pas les transformer en lobbyistes d’intérêts trop fortement territorialisés, il est nécessaire de calquer le ressort géographique de l’élection, autrement dit la circonscription électorale, sur le territoire d’action du gouvernement local. Les élus régionaux doivent être élus dans un ressort régional (et non pas dans un cadre départemental comme aujourd’hui), et le scrutin intercommunal doit s’inscrire dans une circonscription unique, celle de l’intercommunalité (ce qui signifie, dans ce cas particulier, que les conseillers communautaires doivent être élus dans un scrutin dissocié de celui des municipales, permettant des candidatures, des programmes et des campagnes électorales différentes, exprimant des visions générales de l’« intérêt communautaire »).

Qu’en est-il aujourd’hui ? On compte dans chaque espace régional – avant même la mise en place des métropoles – jusqu’à neuf assemblées élues (c’est le cas de l’Ile-de-France), c’est-à-dire autant de gouvernements locaux et autant de budgets (par définition réduits car dissociés). La coexistence de ces différentes assemblées est-elle l’assurance d’une meilleure représentation des citoyens, d’une plus grande solidarité entre les territoires, d’une stratégie d’ensemble plus efficace, d’une plus importante cumulativité des moyens d’action ? Assurément pas. On peut dire, à l’inverse, qu’elle génère de la concurrence de compétences, des blocages administratifs, une complexification des procédures (dans toutes les situations de financements croisés), une limitation de la capacité d’initiative de chaque collectivité notamment en raison de la fragmentation budgétaire et de l’absence de coordination fiscale. La suppression des conseils départementaux simplifiera bien sûr la donne, pour autant le problème soulevé plus haut demeure…

Un fédéralisme régional, une solution à explorer

La solution pourrait consister alors dans la mise en place d’un fédéralisme régional, fondé sur un système bicaméral local. La première assemblée (un Conseil régional des citoyens) représenterait l’ensemble des citoyens de la Région et serait élue dans le cadre d’une circonscription unique recouvrant l’ensemble du territoire régional. La seconde assemblée (un Conseil régional des pays) représenterait les différentes instances territoriales infra-régionales – les intercommunalités que nous pourrions baptiser « pays » – qui seraient autant de circonscription électorales. Les deux assemblées régionales seraient alors placées sur un strict pied d’égalité, que ce soit par le nombre d’élus qui y siègeraient ou par les prérogatives politique, fiscale ou budgétaire qu’elles assumeraient conjointement ; elles désigneraient ensemble le gouvernement régional, mais seule la première pourrait renverser ce dernier et, en cas de désaccord persistant entre les deux chambres, elle aurait le dernier mot.

Enfin, et c’est un point qui doit apparaître au chapitre des revendications démocratiques, il faut construire, au bénéfice des régions, une véritable autonomie fiscale. Rappelons l’article 14 de la déclaration des droits de l’homme (en oubliant un instant seulement qu’elle n’est pas genrée…) : « Tous les citoyens ont le droit de constater, par eux-mêmes ou par leurs représentants, la nécessité de la contribution publique, de la consentir librement, d’en suivre l’emploi et d’en déterminer la quotité, l’assiette, le recouvrement et la durée. » Rappelons également l’alinéa 1er de l’article 72-2 de la Constitution française : « Les collectivités territoriales bénéficient de ressources dont elles peuvent disposer librement dans les conditions fixées par la loi ». Or cette autonomie financière a radicalement diminué depuis l’acte II de la décentralisation. La part des recettes fiscales correspondant à des impôts dont les collectivités territoriales votent les taux, dans leurs recettes totales hors emprunt, tend à devenir de plus en plus en marginale. Depuis la disparition de la taxe professionnelle, les régions n’ont par exemple presque plus aucun contrôle sur leurs ressources fiscales. Les collectivités sont dès lors de plus en plus dépendantes des transferts de l’Etat – par ailleurs mauvais payeur – votés par le Parlement, sur lesquels elles n’ont aucune emprise. La réforme des finances locales, dans le sens d’une autonomisation des ressources fiscales, ne nous leurrons pas, ne pourra pas être déconnectée d’une réforme fiscale nationale. La politique est un tout…

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