Que faire un an après la tragédie du Rana Plaza ?

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par Michel Capron, Président du Forum Citoyen pour la RSE

Un an a déjà passé depuis l’effondrement de l’immeuble du Rana Plaza à Dacca, au Bangladesh, une usine de confection de huit étages, causant la mort de 1138 personnes, ouvrières pour la plupart, et faisant des centaines de blessés dont beaucoup resteront invalides jusqu’à la fin de leur vie sans grand espoir de pouvoir un jour retravailler. Cette tragédie a suscité un grand émoi à travers le monde car c’est le plus grave accident que l’industrie du textile-habillement a connu de toute son histoire en quelque endroit que ce soit. Elle a jeté une lumière crue sur des conditions de travail que les travailleurs d’Europe et d’Amérique du Nord n’ont pas vécu, même au 19ème siècle.

Avant de s’interroger sur les mesures à prendre pour éviter le renouvellement d’une telle catastrophe, il s’agit de bien en comprendre les causes qui n’ont évidemment rien de naturel.

De grands distributeurs occidentaux passent des ordres auprès de fabricants dans des pays lointains pour profiter de leurs bas coûts de main d’œuvre. Sans scrupule ou se voilant la face, ils veulent ignorer les conditions dans lesquelles vivent et travaillent les ouvrières et les ouvriers qui vont confectionner les vêtements qu’ils vendront ensuite aux consommateurs occidentaux, à des prix relativement bas, mais qui leur permettent surtout de réaliser de super-profits, sans avoir à assumer les risques et les aléas de la production.

La pauvreté et la misère sont telles dans les régions rurales et urbaines de ces pays, notamment au Bangladesh, que les populations (nombreuses) sont prêtes à accepter n’importe quel emploi, même pour une rémunération dérisoire afin de pouvoir simplement survivre. Les patrons locaux qui les embauchent ne font aucun effort pour améliorer leurs conditions de vie et de travail, ne se préoccupent pas de protection sociale et font passer leurs propres intérêts avant les normes les plus élémentaires de santé et de sécurité. Souvent, ils sous-traitent en chaîne à d’autres fabricants, si bien qu’il est finalement assez difficile de savoir qui a été le véritable confectionneur. C’est donc la rencontre, dans un contexte de mondialisation effrénée, entre l’avidité et l’irresponsabilité sans limite de quelques-uns et la dépendance et la détresse et du plus grand nombre qui constitue la toile de fond de ce drame.

Alors que faire pour qu’il n’y ait plus de Rana Plaza ?

D’abord, il faut malheureusement dire qu’il y a eu d’autres accidents de ce genre dans le passé, certes moins graves, et que toutes les conditions sont aujourd’hui réunies pour qu’il y en ait d’autres, n’importe où dans le monde. La solution la plus profonde, mais la plus lointaine et la plus incertaine, consisterait à éradiquer la pauvreté dans ces pays, de réduire les inégalités et de faire cesser l’exploitation dont sont victimes les travailleurs. Mais on sait bien que l’aide au développement est insuffisante et souvent mal utilisée. La réduction des inégalités se heurte à de farouches résistances de ceux à qui elles profitent ; l’adoption de législations nationales plus protectrices des travailleurs et la constitution de corps d’inspection du travail efficaces pour les faire respecter sont entravées par des dirigeants locaux qui ont, eux-mêmes, des participations financières dans ces usines de la mort.

Ce que nous pouvons faire dans les pays occidentaux, c’est de promouvoir une régulation internationale des activités des firmes multinationales donneuses d’ordres et d’agir sur elles pour qu’elles s’y soumettent. Les fondements de cette régulation internationale commencent à exister avec les principes directeurs émanant des Nations Unies et de l’OCDE à l’intention des multinationales. Mais pour les faire respecter, il ne faut pas attendre le bon vouloir de ces firmes qui n’ont aucun intérêt à satisfaire un intérêt général qui n’est pas le leur. Les démarches volontaires ont montré leurs limites car elles laissent toujours de côté des entreprises qui ne suivent pas les recommandations.

C’est pourquoi la transposition des exigences internationales est nécessaire dans les législations nationales. La France pourrait montrer le chemin à suivre si une proposition de loi déposée par quatre groupes parlementaires de l’Assemblée nationale était prochainement adoptée. Ce texte vise à imposer un devoir de vigilance aux sociétés-mères et aux entreprises donneuses d’ordres à l’égard de leurs filiales et de leurs sous-traitants qui vise à ce qu’elles s’efforcent de prévenir ou d’atténuer les incidences négatives liées à leurs activités. Ainsi elles ne pourraient plus se retrancher derrière le “on ne savait pas“, comme certains distributeurs français impliqués dans le Rana Plaza ont cherché à le faire valoir. La présomption de responsabilité serait portée par la société-mère ou le donneur d’ordre et la charge de la preuve inversée par rapport à la situation actuelle.

Mais, plus que jamais, le développement et l’aboutissement de telles mesures reposent sur les mobilisations de la société civile (syndicats, ONG, consommateurs…) pour contrebalancer l’influence de lobbies patronaux qui ne manquent pas de faire pression sur les pouvoirs publics afin de faire échouer cette proposition de loi dans le but inavouable de préserver leurs intérêts.

Michel Capron
Président du Forum citoyen pour la responsabilité sociale des entreprises.
[Le Forum citoyen pour la RSE regroupe en France les deux principales confédérations syndicales de salariés et les principales associations de défense des droits de l’Homme, de solidarité internationale et de défense de l’environnement]

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