Discours de Cécile Duflot au Conseil fédéral EELV
Discours de Cécile Duflot au Conseil Fédéral d’EELV
(Seul le prononcé fait foi)
Madame la Secrétaire nationale
Mesdames et messieurs les parlementaires
Mesdames et messieurs les membres du conseil fédéral
« Ma conscience me fait un devoir de résigner mes fonctions de membre du gouvernement avec lequel je ne suis plus en communion d’idées et d’espérance. »
Voilà ce que disait Léon Léon Gambetta, député de Belleville devenu ministre, en 1871.
C’était la guerre, la République était à chaque instant mise en péril. Gambetta auquel j’emprunte ces mots n’aurait pu imaginer un seul instant qu’une femme écologiste députée de Belleville elle aussi, les réutiliserait.
J’ai pris une décision lundi soir. Une décision mûrie, une décision lourde, lourde et douloureuse quand on a consacré 2 ans de sa vie à une fonction aussi harassante qu’elle est passionnante. C’est une décision partagée, commune si je puis dire avec Pascal Canfin, commune comme l’a été notre aventure. Il me revient donc ici de vous en rendre compte.
Cette décision était une décision politique majeure qui répondait certes à ma conscience, mais avant tout à ce que je considérais être le mandat implicite qui m’avait été confié par le mouvement dont je suis membre en entrant dans ce gouvernement.
D’ou venions nous ? Nous avons traversé 10 ans dans l’opposition, 10 ans qui ont suivi une date funeste pour la gauche : le 21 avril 2002. Ces dix années je les ai passées souvent ici, à la direction d’un parti écologiste d’opposition. Nous avons mis 10 ans à reconstruire un espoir de changement.
Cet espoir, la nouvelle majorité n’avait pas le droit de le dilapider, de le mettre sous le boisseau, de l’enterrer sous les cendres de la déception et des promesses non tenues..
J’ai pourtant le sentiment que c’est ce qui a été en partie fait.
La sanction des électeurs le montre avec rudesse. La défaite aux élections municipales est sans précédent. C’est bien un cycle ouvert par les élections municipales de 1977 qui s’est refermé dimanche dernier. La gauche perd 155 villes. Le socialisme municipal a reçu des coups très importants, y compris dans des villes bastions comme Limoges, Quimper ou … Grenoble ! A n’en pas douter, l’effet domino de cette déroute électorale se fera de nouveau sentir.
Au sortir des municipales, le Front National dirige dix municipalités, avec tout ce que cela représente d’échec pour les forces républicaines et pour les valeurs de notre pays. La situation politique du pays n’est pas bonne : elle est lourde de menaces. Alimenté par les affaires et la déception, le risque de délitement politique est plus important que jamais. Quelque chose se désagrège sous nos yeux, sans que beaucoup ne soient capables d’en prendre la mesure réelle.
Dans ce contexte de désolation le score des listes écologistes est plus qu’une consolation, il est un espoir et constitue le socle du renouveau des forces du changement. La différentiation positive des écologistes a été appréciée et comprise. Beaucoup d’entre vous ont mené ce combat des municipales. Vous savez l’accueil qui nous a été fait, et vous savez aussi comment on a voulu nous caricaturer en opportunistes avides de postes ou en beatniks irresponsables et capricieux. Merci à vous d’avoir tenu bon sous la mitraille des préjugés et des quolibets.
Nous devons maintenant bâtir une nouvelle alliance citoyenne capable de poser les jalons d’une force écologiste majoritaire dans le pays. Comment rendre possible cette perspective ?
D’abord en entendant la souffrance des citoyens qui se sont détournés des urnes, et la demande de changement de celles et ceux qui ont envoyé plus qu’un avertissement à la majorité.
Le changement de cap réclamé depuis des mois par EELV avait anticipé cette demande. Les électeurs l’ont confirmé. Le Président de la République a pourtant choisi de poursuivre dans la même voie.
Il m’est avis que continuer à participer de cette coalition gouvernementale aurait été une manière de surdité.
On me dit, oui mais on nous a fait des propositions. Arrêtons nous un instant sur ce point.
François de Rugy les a énoncées :
– réduction de la capacité nucléaire et donc nombre de réacteurs à fermer
– pas de nouveaux ÉPR
– pas de remise en cause gaz de schistes
– pas de remise en cause OGM
– 100 députés à la proportionnelle
– NDDL
– grand ministère de l’écologie à un EELV
Il était dit-on très pro, un dossier de 8 pages, c’est dommage il en manquait 18 et cela aurait été un document de novembre 2011 : « 2012-2017 : socialistes et écologistes, ensemble pour combattre la crise et bâtir un autre modèle de vivre ensemble. »
Sur la réduction de la capacité nucléaire et le nombre de réacteurs c’est précisé p. 16 : Un plan d’évolution du parc nucléaire existant prévoyant la réduction d’un tiers de la puissance nucléaire installée par la fermeture progressive de 24 réacteurs, en commençant par l’arrêt immédiat de Fessenheim et ensuite des installations les plus vulnérables
Sur les nouveaux ÉPR c’est à la même page il est mentionné : « Dans ce cadre, le projet d’EPR de Penly, sera abandonné. Aucun nouveau projet de réacteur ne sera initié. »
Sur les gaz de schistes : là c’est page 17 : L’exploration et l’exploitation d’hydrocarbures non conventionnels (gaz et huiles de schiste) seront interdits, les permis en cours seront abrogés et les importations découragées.
Sur les OGM , pour le coup c’est le ministre de l’agriculture – désormais porte parole du gouvernement – qui toujours été limpide sur le sujet
Sur la proportionnelle enfin c’est p.24 Afin que toutes les sensibilités politiques de notre pays soient représentées au Parlement, nous réformerons le mode de scrutin aux élections législatives : 100 députés seront élus à la proportionnelle sur une liste nationale
il y avait deux autres propositions : l’abandon de NDDL et le grand ministère
Pour NDDL je veux redire ici que si les travaux n’ont pas débutes en 2012-2013 c’est bien parce que prèsents partout à Nantes, sur le terrain, dans les immenses manifestations et aussi au plus près de ceux qui prennent les décisions nous avons agi en commun.
Le moratoire de fait sur NDDL il date du 24 mars 2014 de la signature de l’accord entre Pascale Chiron et Johanna Roland la formule sur l’absence de travaux tant que les recours ne seront pas terminés est chacun le sait un arrêt du projet pendant de très nombreuses années, l’acipa ne s’y est pas trompée, et ce n’est pas un hasard si la décision de cette formulation a du recevoir l’approbation du premier ministre d’alors JMA
J’en tire la leçon que cela renforce ma conviction d’une double nécessité : l’autonomie des écologistes et le rassemblement avec la gauche. Merci aux nantais d’en avoir fait la démonstration.
Et il restait enfin un point le fameux grand ministère. Disons nous la vérité : il y a une vraie marge de manoeuvre dans un ministère mais elle n’existe réellement que si l’arbitrage se fait en votre faveur. La loi Alur a été un bon exemple pour moi, personne n’imagine la somme de bagarres quotidiennes sur les yourtes, le financement de l’hébergement d’urgence, le commissariat général à l’égalité des territoires a fait basculé les décisions du bon côté. Cela a été possible aussi grâce à nos parlementaires et j’espère que leur accueil dans un mois sera à la hauteur de l’indéfectibilité de leur soutien pendant les deux ans qui viennent de s’écouler.
La proposition semblait tenir la route etet je comprends les regrets sincères de ceux pour qui la présence des écologistes au gouvernement était un point d’appui et une aide, qu’ils sachent dans le futur l’exprimer plus fortement que ceux qui a longueur de journées se faisaient les thuriféraires de nos soi disant trahisons.
Alors était-ce une bonne proposition ? Optiquement, oui. Mais politiquement, quelles garanties avions nous après deux ans de gouvernement commun qu’elle serait appliquée ? Aucune, puisque le Président de la République a clairement indiqué que son cap ne varierait pas d’un pouce.
Jean-Vincent Placé a qualifié la rencontre avec Manuel Valls « de l’un des rendez-vous les plus politiques et les plus dignes que j’ai fait de ma vie ». Je ne peux lui faire aucun reproche je suis celle qui a qualifié le discours du Président de la République a la conférence environnementale de septembre 2012 d’ « historique et infiniment émouvant à entendre pour une écologiste. »
Mais j’ai payé pour savoir que pour certains, les mots ont vocation à rester des mots.
Je fais le triste constat que c’est aussi cela qui a été sanctionné par les français dimanche : une politique ou le verbe compte plus que les actes.
A ceux qui disent que quittant mon poste de ministre j’ai davantage en tête mon destin personnel que notre avenir collectif je réponds ceci. J’ai aimé être ministre. J’ai passionnément aimé construire des compromis et inscrire dans le marbre de la loi les avancées que nous réclamions dans les manifs ! J’ai aimé batailler contre les coupes budgétaires et plaider inlassablement contre une vision purement comptable de la gestion de notre pays. Je veux te dire Emma que sans ton soutien, ton appui, ton amitié et ta capacité à me faire prendre de la distance quand les temps devenaient trop durs je ne suis pas,sûre que je serai allée jusqu’au bout. Si j’avais eu le sentiment qu’il était possible d’agir encore avec utilité au sein de ce gouvernement, ne doutez pas que j’aurai poursuivi dans cette voie.
La perspective d’avoir un – ou une – écologiste numéro 2 du gouvernement était alléchante pour nous tous. C’est le propre d’un appât que d’être alléchant.
Mais je crois sincèrement que se jouait là quelque chose d’essentiel qui demandait à regarder au delà du trompe l’œil proposé. Sans changement de cap, sans davantage de fermeté face aux lobbies, sans bras de fer avec Bruxelles, sans faire le choix d’une politique de relance écologique, la transition restera un mot creux, une opération de communication destinée à être vidée de sons sens comme le fût jadis le Grenelle de l’environnement.
La politique est un combat collectif qui passe par la sagesse du compromis et la patience de la modération. Mais la politique provoque aussi ces moments de cristal où l’on est face à soi même, seule, ou il faut une réponse simple : oui ou non. Je n’ignore pas que c’est une réponse qui emporte avec elle beaucoup de conséquences. Je me tiens donc devant devant vous, avec toute la modestie causée par les interrogations qui traversent mon esprit, mais avec l’acier de mes convictions désormais trempé au bain de la pratique réelle du pouvoir.
Le pouvoir, les écologistes ont vocation à l’exercer pour faire prendre un autre cours à l’histoire de notre pays. Je continue donc plus que jamais de défendre le principe de la participation à un gouvernement et je souhaite un jour faire part de mon expérience aux quatre, cinq, dix membres écologistes d’un futur gouvernement, dans un rapport de force différent et avec des partenaires plus désireux de conduire réellement une politique écologique, au delà des postures de communication.
Je serai bientôt une députée du groupe écologiste à l’Assemblée et je veux dire ici que les mots de compréhension de Danièle Hoffman-Rispal, ma suppléante, femme de gauche de toujours, que j’ai appelée la première pour la prévenir m’ont infiniment touchée.
Pas question pour moi, pour nous, de participer à une quelconque opposition de gauche.
Jean Luc Mélenchon et ses amis qui hier n’avaient pas de mots assez durs pour nous stigmatiser – et avait violemment attaqué la loi Alur par exemple – semblent soudain touchés par la grâce et veulent nous embrasser comme du bon pain. Mais je veux dire ici une chose bien claire : je ne crois pas à la guerre des gauches. Et l’écologie politique ne servira jamais de variable d’ajustement ou d’idiot utile dans les règlements de compte entre les forces déclinantes du productivisme.
Merci Eric, merci aux grenoblois : ce qui s’est passé à Grenoble montre qu’il est possible d’ouvrir une autre voie. Gardons nous de l’ivresse mais regardons les choses avec lucidité: on peut faire différemment et déjouer les pronostics des cassandres.
Il en va de même au niveau Européen. Il est évident que c’est la que se noue aujourd’hui une grande partie de notre avenir. Les deux mois qui viennent doivent nous permettre de faire craquer les coutures d’un débat européen qui se crispe dans des postures insolubles, entre zélotes des frontières ou adeptes de la dérégulation. Entre ces deux chemins de déroute, il y a l’Europe des écologistes : une Europe verte, inventive, qui mobilise ses citoyens avec un horizon de grands projets comme celui de la transition énergétique, qui fait le pari de la solidarité et de la démocratie.
Ici en France, je veux le redire nous sommes de cette majorité qui a voulu le changement, et qui en trouvera le chemin parce que rien ne esra possible sans la confiance des françaises et des français. Alors nous ne renonçons pas : battons nous pied à pied, dans les villes, les régions, au Parlement pour que la majorité conduise une politique écologique et sociale digne de ce nom. Battons nous pour la loi de transition énergétique et je serai la première à la voter avec enthousiasme si elle est celle que nous souhaitons.
Dans le nouveau cycle qui s’ouvre, soyons les acteurs de la victoire de nos idées plutôt que des complices du renoncement. Oui recréons de l’unité, faisons avancer l’écologie de l’action je serai à vos côtés, à ma seule place, vaille que vaille.
Hauts les cœurs !
Cécile Duflot