Les travailleurs détachés en Europe : démêler le vrai du faux

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Le 9 décembre 2013, les ministres européens du travail se réunissaient à Bruxelles pour trouver un accord sur la question des travailleurs détachés au sein de l’Union européenne. A l’occasion de la révision de la directive qui régit ces mouvements de salariés en Europe, la polémique a battu son plein dans la presse française… véhiculant de nombreuses informations fausses ou contradictoires, et donnant du grain à moudre aux eurosceptiques. Désintox.

« La directive sur les travailleurs détachés, c’est comme la directive Bolkestein ! »

Faux. Ce sont deux directives différentes qui n’ont pas le même objectif. Contrairement à la directive Bolkestein, la directive de 1996 « concernant le détachement de travailleurs effectué dans le cadre d’une prestation de services » s’applique uniquement aux travailleurs détachés dans un autre Etat-membre de manière temporaire (45 jours en moyenne). Elle exige le respect d’un socle de règles minimales du pays d’accueil (salaire minimum, temps de travail, congés, égalité de traitement entre hommes et femmes…) tout en laissant le régime social (chômage, retraite…) du pays d’origine s’appliquer.

Par exemple, à un Français qui part réaliser une mission d’un mois dans un pays d’Europe centrale, cette directive permet d’être payé et couvert comme s’il travaillait en France (donc sans changer de sécurité sociale). Quant au travailleur polonais détaché en France, il a lui le droit à un salaire minimum, au temps de travail et aux congés, à l’égalité de traitement entre hommes et femmes… aux mêmes conditions que tous les autres salariés français.

En 2006, la directive Bolkestein visait elle à libéraliser totalement la prestation de services en Europe, en cherchant à imposer le « principe du pays d’origine » pour tous les contrats de travail : toute entreprise aurait pu payer ses salariés étrangers en France en vertu des règles prévalant dans leur pays d’origine. Au terme d’une longue polémique, la gauche européenne a obtenu que ce principe ultra-libéral soit supprimé.

Cependant, le texte final de la directive Bolkestein ne fait pas non plus clairement référence au « principe du pays d’accueil ». On est donc dans un flou juridique que la droite libérale nous a imposé, et qui facilite d’autant plus les fraudes et les contournements de la législation. Dans ce contexte, la directive de 1996 a au moins le mérite d’exiger, sans pour autant y parvenir, le respect des règles minimales du pays d’accueil pour les travailleurs dits détachés.

Pour cette raison, l’Union européenne devrait réviser à la fois la directive de 1996 et la directive Bolkestein, pour ne consacrer qu’un principe clair « à travail égal, salaire égal ».

« La directive de 1996 est une incitation à la préférence étrangère »

Faux. Le détachement des travailleurs profite à beaucoup de travailleurs et d’entreprises françaises. La France figure, derrière la Pologne et l’Allemagne, en troisième position des pays détachant leurs salariés à l’étranger. Environ 300 000 salariés français étaient détachés en 2011. En France, on compte 145 000 travailleurs détachés parmi lesquels des Polonais (19 %) et des Roumains (9 %), mais aussi des Portugais (11 %), des Allemands (8 %), des Espagnols (6 %), et même des Français (13 % – ce sont pour la plupart des travailleurs détachés via des entreprises « boîtes aux lettres » établies par exemple au Luxembourg afin de bénéficier d’avantages fiscaux mais sans activité économique réelle dans ce pays). On est donc loin du seul « plombier polonais ». Dans des secteurs qui ont énormément de mal à recruter, comme le bâtiment, il n’est pas scandaleux que des travailleurs européens puissent pallier un manque de main d’œuvre en effectuant des missions de courte durée.

Malheureusement, ignorant leurs droits, les salariés détachés en France acceptent souvent des salaires bien inférieurs aux salariés français, alors même que la directive de 1996 exige une rémunération équivalente au Smic, le salaire minimum légal en France. Sauf qu’en Europe, certains pays n’ont pas de salaire minimum. C’est le cas de l’Italie, du Danemark, de Chypre, de l’Autriche, de la Finlande et de la Suède (l’Allemagne mettra en place un salaire minimum de 8,50 euros le 1er janvier 2015). Même lorsqu’un salaire minimum existe, les écarts de rémunération sont si grands entre les pays, que les salariés sont prêts à fermer les yeux sur les fraudes… Pour un travailleur bulgare détaché en France, ne gagner que 700 euros représente déjà un gain de pouvoir d’achat !

Pour cette raison, nous exigeons l’application d’une nouvelle règle : « à travail égal, salaire égal ». Dès aujourd’hui, l’Union européenne doit organiser la convergence des modèles sociaux et fiscaux. Tant que nous laisserons au dogme de la concurrence libre et non faussée le soin de faire converger les niveaux de vie au sein de l’Union européenne, le dumping continuera d’endommager gravement nos systèmes de protection sociale.

« La directive de 1996 est devenue une véritable passoire »

C’est en grande partie vrai. On estime à environ 300 000 le nombre de « faux détachés ». Les employeurs véreux, souvent des agences d’intérim, trichent en réduisant les salaires et les charges sociales grâce au flou de la sous-traitance, ou à des sociétés « boîtes aux lettres ». Les travailleurs détachés irrégulièrement sont exploités et maintenus dans l’ignorance de leurs droits.

C’est pourquoi, il faut renforcer les contrôles et pouvoir pénaliser l’ensemble de la chaîne de sous-traitance pour lutter efficacement contre la fraude sociale et les contournements du Code du travail.

Le plan Sapin « de lutte contre le travail illégal et le détachement abusif » va dans ce sens grâce à une réglementation accrue des contrôles de l’inspection du travail. Mais avec un agent pour un peu plus de 8 000 salariés et un seul fonctionnaire de la Direction générale du travail pour coordonner le contrôle avec les autres administrations européennes, les moyens sont très insuffisants sur le terrain. L’enjeu de la réforme en cours de l’inspection du travail en France est donc de taille : il doit garantir une inspection du travail efficace et indépendante.

« Le plan de Sapin et Hollande, c’est de l’enfumage, il faut abroger la directive »

Faux. Le plan Sapin est une première étape nécessaire. La France négocie avec ses partenaires européens pour améliorer le respect des droits des salariés et lutter contre les fraudes sociales. Si on abroge la directive du travail détaché, on supprime toute référence au « principe du pays d’accueil », et c’est la libre concurrence totale qui va s’appliquer.

« Il y a toujours eu des expatriés, on n’a pas besoin du statut de détaché »

Faux. Le statut de détaché facilite la circulation des travailleurs européens, tout en allégeant les coûts et les procédures pour les entreprises d’une part, et en protégeant les travailleurs d’autre part. Sauf accord bilatéral entre la France et un pays-tiers, un expatrié bénéficie des droits du pays d’accueil pour son contrat de travail et sa protection sociale. En cas de long séjour, ceci est normal, d’autant que l’entreprise employeuse lui offre souvent un « bonus » avec une aide au logement ou un salaire revu à la hausse. Le détachement lui dure 45 jours en moyenne. Dans le cas d’un séjour court, il est inutile et coûteux, pour l’employeur comme pour la salarié, de changer de contrat de travail et de sécurité sociale pour effectuer une mission aussi courte. Ce sont bel et bien les abus, comme l’embauche de travailleurs détachés pour des missions longues, qui sont scandaleux !

« C’est la faute de Bruxelles »

Faux. Si c’est bien la Commission qui propose les lois européennes, « Bruxelles » n’est pas une entité abstraite, mais un projet politique incarné par des dirigeants nommés par les gouvernements européens. Qui dirige la Commission européenne ? José Manuel Barroso, un libéral portugais élu par la droite européenne, dont l’UMP. Il s’était engagé à proposer une révision de la directive de 1996 pour son deuxième mandat (2009-2014), mais il n’a pas tenu parole ! Qui siège au Conseil de l’UE ? Les représentants des gouvernements nationaux, majoritairement conservateurs. Ceux-ci se sont toujours opposés à la révision de la directive. Qui est majoritaire au Parlement européen depuis 1999 ? Les conservateurs et les libéraux. La gauche et les écologistes réclament quant à eux une révision de la directive de 1996 depuis de nombreuses années, mais n’ont jamais eu de majorité politique pour le faire.

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