Syrie, l’urgence d’agir
Attendus :
Le soulèvement du peuple syrien est né dans le sillage des bouleversements politiques et recompositions géopolitiques qui secouent le Maghreb et le Machrek depuis le 17 décembre 2010, balayant une série de régimes dictatoriaux dans cette région. Ce mouvement de liberté, d’exigence de dignité et de justice sociale qui a traversé une grande partie du monde marque la fin d’une période néocoloniale et s’inscrit dans les crises multiples que connaît notre système mondialisé, sur fond de raréfaction des ressources. Mais, alors que le peuple renversait les dictateurs, en Tunisie, en Libye et Égypte, le pouvoir syrien décidait de réprimer dans le sang l’aspiration de son peuple à la démocratie.
L’utilisation, jusqu’à preuve du contraire, par le régime de Bachar El Assad de gaz chimiques contre un quartier d’habitation de Damas, le 21 août dernier, en violation des conventions internationales, (d’autres témoignages et enquêtes confirment l’usage de ces gaz chimiques depuis avril dernier) marque un nouveau stade dans l’horreur, la fin d’un tabou international que réprouvent même les soutiens de B. El Assad, Iran et Russie et constitue un crime contre l’humanité. Il est urgent d’agir pour la Syrie.
Depuis le début du soulèvement populaire contre la dictature, en mars 2011, la Syrie vit une tragédie : 100 000 morts, 2 millions de réfugiés et plusieurs millions de déplacés. Ces réfugiés et déplacés, qui représentent près d’un tiers de la population syrienne, vivent dans des conditions effroyables et les organisations humanitaires ne peuvent accéder à l’ensemble du territoire syrien, ce qui constitue une violation du droit humanitaire.
Selon le rapport du haut Commissariat aux réfugiés (HCR) du 2 septembre dernier, la moitié des deux millions de réfugiés sont des enfants de moins de 17 ans. Cet afflux vers les pays voisins n’a cessé de croître au fil des derniers mois. A ces réfugiés et déplacés s’ajoutent tous ceux qui n’ont aucun moyen de subsistance et qui restent encore dans leur foyer au cœur même du conflit, à défaut de pouvoir fuir. L’aide humanitaire envoyée par l’Union Européenne n’arrive pas, elle est confiée au croissant rouge syrien… qui le distribue exclusivement dans les zones sous contrôle du régime participant ainsi indirectement à le renforcer.
La Syrie est aujourd’hui un pays en ruine. Les bombardements et les pilonnages de l’armée syrienne ont conduit à la destruction d’un million et demi des logements et des nombreuses infrastructures urbaines. L’Unesco fait des appels sans succès pour que cessent les bombardements du patrimoine incommensurable qui se trouve en Syrie.
Cette situation humanitaire terrible est la conséquence de la fuite en avant du régime dans la violence et le crime contre des manifestations pacifiques. Face à cette répression, la population civile s’est organisée. Mais, après 43 ans de dictature, les partis politiques’ étaient faibles et l’opposition peine à se doter d’organes politiques représentatifs prenant en compte son hétérogénéité autour du Conseil National Syrien puis de la Coalition Nationale Syrienne(CNS) et de la Coordination Nationale Syrienne pour le Changement Démocratique(CNCD).
Les hésitations de la communauté internationale à reconnaître la C N S comme interlocuteur légitime n’ont pas aidé à stabiliser cette coalition. De même, les hésitations répétées concernant le soutien financier et l’aide en matière de moyens de communication et d’armement demandée par une parti de l’opposition syrienne modérée et démocratique ont donné l’occasion aux branches islamistes radicales syriennes et étrangères de rejoindre les rangs de la rébellion. L’intrusion de djihadistes puissamment armés tant par l’Arabie Saoudite que le Qatar, a justifié l’inaction, malgré l’absence de soutien de la population syrienne à ces groupes.
La France et le Royaume-Uni, lors de précédentes exactions particulièrement choquantes, avaient annoncé des possibles livraisons d’armes à l’opposition, mais il n’en a, apparemment, rien été. Pourtant, en Syrie, se déroule déjà une intervention extérieure, menée par l’Iran et la Russie, impliquant des groupes armés au sol, Libanais (Hezbollah), Irakiens et Iranien avec la présence d’experts militaires Russes et la livraisons d’armes lourdes en quantité.
Une autre « certitude » a joué dans ce manque de volonté, l’illusion que Bachar El Assad défendait les minorités, en particulier chrétiennes, que son départ entraînerait des violences ou un éclatement du pays. Pourtant, ce danger ne tient pas compte de la longue histoire de la Syrie, de son multiculturalisme… L’instrumentalisation des appartenances par le régime sert à diviser, à monter les communautés les unes contre les autres et à paralyser la communauté internationale et son opinion publique.
Le risque de déstabilisation régionale a aussi justifié l’inaction. Or, la déstabilisation des pays limitrophes, en particulier le Liban et la Jordanie est déjà une réalité. Contrairement à l’image qui est donnée, ce n’est pas le risque de chute du régime Assad mais son maintien qui réactive le conflit géopolitique entre l’Iran chiite et l’Arabie Saoudite sunnite.
Sur le plan diplomatique, le blocage actuel du conseil de sécurité de l’ONU, du fait des vetos russes et chinois, empêche d’agir dans le cadre Onusien. L’échec de Genève 1 et le report successif d’une conférence dite Genève 2 montre que faute de pression sur les acteurs du conflit, aucune solution politique n’émergera d’elle-même.
C’est pourquoi nous devons réfléchir à toutes les possibilités à l’aune de nos principes de non-violence, en ayant conscience du cynisme de la politique des grandes puissances, des intérêts peu ragoutants de nombre de protagonistes, mais avec la conscience de ce qui se trame en Syrie et de l’acte terrifiant qui vient de se commettre et ne manquera pas d’être répété, en l’absence de réaction de la communauté internationale.
Il ne s’agit pas de « punir » comme l’a dit François Hollande, ni de simplement sanctionner, mais d’arrêter cette guerre et de parvenir à des négociations multilatérales, permettant l’avènement d’une Syrie apaisée et démocratique laissant la place à toutes les communautés qui compose ce pays, en particulier les kurdes.
Pour autant, la méfiance de chacun-e est légitime face à des gouvernements, incapables de gérer la crise, inféodés aux puissances économiques et capables des pires mensonges comme l’ont montré la guerre en Irak, avec les résultats catastrophiques que l’on constate aujourd’hui en Irak comme en Afghanistan. Comment croire aux motivations « morales » de pays qui ont soutenu, tant qu’elles servaient leurs intérêts, les dictatures qu’ils prétendent combattre aujourd’hui ?
Nous connaissons la longue stratégie occidentale de contrôle du Moyen-Orient qui a pour objectif principal de garantir la sécurité d’approvisionnement en hydrocarbures de bonne qualité et à bas coût d’extraction. D’ailleurs, un événement plus confidentiel a précipité les choses en 2013 : le lancement de la construction d’un gazoduc Iran-Irak-Syrie permettant d’alimenter les marchés européens directement par la Méditerranée, en concurrence avec le gaz du Qatar, prisonnier géographique du long trajet Golfe persique – océan indien – mer rouge – canal de Suez. Pourtant, le Qatar a aussi un projet concurrent de gazoduc terrestre, soutenu par l’Europe qui casserait ainsi le monopole gazier de la Russie, cheminant par la Turquie qui soulagerait sa dépendance au gaz iranien, par Israël qui deviendrait aussi fournisseur de l’Europe à la suite des récentes découvertes de gaz au large de ses côtes. Ce projet qatari et alliés aurait son centre à Homs, dont on saisit ainsi l’importance stratégique.
Comment, d’ailleurs, ignorer le “deux poids , deux mesures” qui régit les réactions internationales ? Au Bahrein et en Arabie Saoudite, la population chiite est opprimée. Dans les monarchies du golfe, la démocratie n’existe pas. En Égypte, un coup d’état militaire a renversé un gouvernement de frères musulmans avec l’appui de l’Arabie saoudite (avec laquelle, d’ailleurs, l’industrie d’armement française vient de signer une vente d’armes d’1 milliard d’euros…), pendant que la Qatar soutient des forces syriennes, proche des frères musulmans. Et bien sûr, la Palestine, toujours en attente du respect des résolutions de l’ONU et du droit international.
L’initiative actuelle de la Russie, après la menace de frappes occidentales, de proposer une négociation sur les armes chimiques, acceptée par le gouvernement syrien, écarte pour le moment l’option militaire. Le gouvernement syrien devrait adhérer tout d’abord à l’Organisation pour l’interdiction des armes chimiques( OIAC) , ensuite dévoiler les lieux de production et de stockage de l’arsenal chimique, enfin, faciliter l’accès à des inspecteurs internationaux pour décider des modalités de destruction.
Il faut se saisir ce nouvel espace de négociation malgré les réticences que peuvent susciter les déclarations de Poutine, écartant d’emblée la responsabilité du régime dans l’attaque du 21 aout, et celles des l’Armée Syrienne libre (ASL) qui refuse un plan n’abordant pas la question de la saisine de la Cour pénal internationale pour les responsables de l’attaque chimique.
D’autant qu’une discussion bilatérale entre les ruses et américains, sans participation ni du représentant des Nations Unis pour la Syrie, ni d’autres pays, doit attirer toute l’attention des écologistes quant au jeu complexe qui se joue entre les deux grandes puissances.
Mais si nous devons être lucides sur l’état du monde et sur la nécessité impérieuse d’en modifier absolument le fonctionnement, nous ne pouvons abandonner un peuple aux massacres. Nous ne devons pas oublier que, à la différence de l’Irak, c’est le peuple syrien qui s’est soulevé. Il faut dé-régionaliser ou dé-géopolitiser le conflit syrien et revenir à l’essentiel, le droit du peuple syrien à l’autodétermination et à choisir ses dirigeants.
Motion :
Le Conseil Fédéral d’Europe Ecologie – les Verts, réuni les 14 et 15 septembre :
1) souhaite qu’une position conjointe avec les partis verts européens soit recherchée
2) considère que si ’utilisation d’armes chimiques contre sa propre population est avérée, la dictature syrienne aurait franchi un nouveau seuil dans la barbarie,
3) soutient la saisie de la CPI pour enquêter sur tous les crimes de guerre et les crimes contre l’humanité commis en Syrie, quels qu’en soient les auteurs, et traduire les responsables de ces crimes devant la justice internationale
4) demande la convocation du Conseil de sécurité pour condamner l’usage et la possession des armes chimiques, prohibées depuis 1925, interdiction précisée et renforcée par la Convention sur les armes biologiques (1973) et celle sur les armes chimiques de 1993.
5) demande le renforcement du soutien diplomatique et financier de la France en direction des différentes forces démocratiques au sein de l’opposition syrienne (Coalition Nationale Syrienne et Coordination Nationale pour le Changement Démocratique).
Le Conseil Fédéral d’Europe Ecologie – les Verts, réaffirmant que le programme d’EELV préconise la prévention des conflits et la négociation politique comme seul moyen de parvenir à la paix, demande :
1) l’utilisation de l’ensemble des leviers diplomatiques, politiques, pour protéger le peuple syrien et créer les conditions d’une solution politique,
2) le renforcement du régime de sanctions notamment bancaires et commerciales, l’amélioration de leur surveillance et de leur exécution,
3. la convocation d’une conférence de paix auxquelles doivent être d’ores et déjà invitées toutes les parties prenantes, sans exclusive, y compris l’Iran,
4. souhaite que cette conférence soit une véritable négociation, posant toutes les questions qui bloquent le règlement du conflit, au niveau régional et international.
Sur la négociation sur les armes chimiques, le conseil fédéral se prononce :
1) – poursaisir la proposition russe sur le contrôle des armes chimiques souhaitant qu’elle sorte d’un cadre bilatéral et que le représentant pour la Syrie des Nations Unies y soit présent,
2) -pour la convocation du Conseil de Sécurité pour acter l’accord intervenu, dans des courts délais et avec un calendrier précis.
Sur la question d’une éventuelle intervention militaire, le conseil fédéral demande au gouvernement français de ne pas participer à l’intervention militaire hors mandat onusien.
En tout état de cause, en cas d’intervention, le conseil fédéral demande :
1) De consulter toutes les forces politiques et militaires de la résistance démocratique syrienne,
2) De fonder son intervention sur les éléments de preuve du rapport des experts des Nations-Unies, ainsi que de rendre public tous les éléments disponibles permettant d’établir l’utilisation d’armes chimiques par le régime syrien.
3) De soumettre toute intervention au vote préalable du parlement français.
4) De définir un objectif politique clair à cette intervention qui doit :
a) contribuer à protéger le peuple syrien, non seulement contre l’usage des armes chimiques mais aussi contre les bombardements et l’aviation du régime.
b) permettre un changement du rapport de force diplomatique, afin de ramener l’ensemble des parties prenantes du conflit autour de la table des négociations, pour définir une solution politique à la crise qui offre des garanties à l’ensemble des parties.
c) définir des modalités d’intervention précises qui excluent explicitement l’envoi de troupes au sol et limite l’opération dans le temps
d) en cas d’intervention dans le cadre de l’ONU dans le cadre du Chapitre VII, mise en œuvre d’un Etat Major avec des forces d’interposition conséquentes (casques bleus)
e) agir dans un cadre multilatéral et en recherchant la coalition la plus large possible notamment auprès des pays de la ligue arabe
5) d’Interdire l’utilisation de l’uranium appauvri.
Concernant la situation humanitaire, le CF demande
1) A l’Union Européenne et, en particulier à la France, d’augmenter leur contribution et leur aide d’urgence pour venir en aide aux déplacés et réfugiés ;
2) A la communauté internationale, de rappeler à l’ensemble des belligérants l’impératif de respecter le droit humanitaire international et assurer l’accès des organisations humanitaires à l’ensemble du territoire syrien. D’exiger des corridors humanitaires capables d’acheminer l’aide sanitaire et alimentaire.
3) Aux pays européens et, en particulier, à la France d’ouvrir ses frontières aux réfugiés syriens et de prendre des engagements chiffrés pour leur venir en aide, notamment en activant la directive européenne de 2001 dite de « protection temporaire », qui permettrait d’ouvrir largement les frontières de l’Europe face à cette situation d’urgence.
4) A la société civile, aux ONG et collectif des actions civiques des nations : par exemple,
Mettre un bateau hôpital dans les eaux internationales au large de la Syrie, avec un couloir humanitaire jusqu’au sol sous l’égide de l’ONU. Et ce immédiatement, avant les frappes, pour les prévenir.
A plus long terme, le CF rappelle :
1) l’impératif de modifier la constitution qui n’oblige pas la consultation et le vote de la représentation nationale en cas d’opération militaire extérieure
2) l’urgence d’élargir le nombre de pays membre du conseil de sécurité et d’en faire évoluer le fonctionnement notamment en ce qui concerne l’exercice du droit de veto, celui-ci étant désormais totalement inadapté à la géopolitique du monde actuel
3) La nécessité de renforcer l’intégration européenne en matière de diplomatie et de défense.
4) La nécessité de promouvoir dans les pays du Moyen-Orient l’adhésion au projet de Protocole de Rimini sur la gestion mondiale des hydrocarbures
5) L’urgence également de s’engager sur tous les continents y compris au Moyen Orient dans le désarmement nucléaire, qui constitue une menace encore supérieure à celle des armes chimiques. (JM Matagne)
6) œuvrer pour la tenue à une date rapprochée de la Conférence sur un Moyen-Orient sans armes de destruction massive (nucléaires, biologiques et chimiques) qui aurait dû se tenir en Finlande avant la fin de 2012
En interne, le conseil fédéral
1) charge le Bureau exécutif de mobiliser les populations à travers nos réseaux d’élu-es, militant-e-s, adhérent-es pour une solidarité active avec le peuple syrien et qui vît une crise humanitaire sans précédent.
2) Charge le Bureau Exécutif d’envoyer la résolution des euro Parlementaires Verts (résolution mise en annexe de la présente motion
Pour : 38, contre : 8 blancs : 20
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Motion adoptée au Conseil fédéral des 14 et 15 septembre 2013
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