Joël Labbé : « Notre coopération avec le Mali doit s’inscrire sur le long terme et reposer sur des valeurs d’éthique »
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Intervention militaire au Mali
Débat au Parlement
Joël LABBE
Monsieur le Président, Cher collègues,
J’interviens aujourd’hui en tant que parlementaire écologiste mais également en tant que président du groupe d’amitié France-Mali de notre assemblée. La France intervient militairement au Mali en soutien aux forces armées maliennes. Cette intervention s’inscrit dans la continuité de la résolution adoptée fin décembre par le conseil de sécurité de l’ONU et répond à l’appel du Président malien par intérim.
Si nous jugeons que le recours à ce type d’opération militaire n’est jamais souhaitable, l’offensive sur la ville de Konna qui a eu lieu au début du mois et le risque de voir ces groupes armées destabiliser davantage le pays – avec les conséquences que l’on imagine pour les populations civiles – nous conduisent à soutenir, à ce jour, le choix du Président de la République.
La crise malienne est la résultante d’une déstabilisation accrue de toute la bande sahélienne découlant du conflit libyen. En effet, celui-ci a déjà permis à certains groupes de s’armer dangereusement.
De fait, l’intervention militaire en libye n’a pas été accompagnée d’une véritable politique française et européenne de développement en direction des pays de la région, notamment le Mali et le Niger et nous en connaissons les conséquences aujourd’hui. Il est primordial d’en tirer les leçons. Nous ne créerons jamais les conditions de l’avènement d’un état de droit par l’intervention militaire. Notre collègue Daniel Cohn-Bendit l’a justement fait remarquer au Parlement européen hier.
La population au Nord Mali vit dans un extrême dénuement. Cela favorise notamment les trafics tels ceux des armes et des drogues. Et les liens entre pauvreté et terrorisme sont malheureusement bien connus.
Par conséquent la mise en place d’une politique de développement sur le long terme est urgente.Carla vraie question, au-delà de l’opération militaire maintenant en cours, est celle de tirer des leçons de l’échec du « soutien à l’état de droit » au Mali et du manque d’une véritable politique de développement. La clef de la politique française dans ses relations avec le Mali a jusqu’ici été celle de la gestion des flux migratoires au détriment d’investissements dans une politique de développement concertée avec les populations et les Etats.
Notre coopération avec le Mali doit s’inscrire sur le long terme et reposer sur des valeurs d’éthique, de respect de notre partenaire. C’est particulièrement important de le réaffirmer dans la mesure où le sol malien est riche de matières premières et que la tentation de certains sera grande d’accaparer ces richesses. L’uranium de cette région pour ne prendre qu’un seul exemple, attise les convoitises. Un tiers des centrales nucléaires françaises fonctionnent grâce à de l’uranium extrait au Niger, pays voisin.On le sait, cette exploitation ne profite quasiment pas aux populations. Les maliens en ont parfaitement conscience et ne sont pas dupes.
J’ai rencontré il y a quelques années, l’ancienPrésident de l’Assemblée Régionale de Kidal, Abdoussalam Ag Assalat qui m’avait alors raconté sa lutte contre le projet d’une entreprise australienne qui souhaitait acheter et exploiter une mine d’uranium dans la région. Il leur avait répondu que la terre de ces ancêtres n’était pas à vendre et que la richesse qu’il s’était engagé à protéger était celle de la ressource en eau. Il
m’a alors dit un proverbe touareg qui prend tout son sens : « Tu peux dire ce que tu veux à celui qui a soif, il te demandera toujours de l’eau ».
Il est temps, comme a commencé à le faire le ministre délégué chargé du développement, de revoir toute l’architecture des aides de la France aux pays qui en ont besoin et notamment ceux du Sahel.
Pour finir, le temps imparti au groupe écologiste sur ce débat étant réduit, je souhaitais porter ici la parole de ma collègue Kalliopi ANGO ELA, sénatrice représentant les Français établis hors de France.
Membre de la Commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, ayant résidé plus de vingt-cinq années en Afrique subsaharienne, elle tenait à ce que soient précisés divers points, vision que je partage évidemment. Il nous semble effectivement important que l’accent soit mis sur la nécessaire reconstruction de la paix, et sur le fait que l’aide au développement devrait alors également prendre la forme d’un accompagnement de sortie de conflit ayant pour objectifs le bien être de tous les peuples et sociétés vivant au Mali (notamment, Touareg, Maures, Peul, Songhaï, Bozo…) dans le respect des identités de chacun. C’est dans ce cadre que devra s’inscrire une paix durable.
S’il est fondamental que les actions menées sur le territoire malien le soient sous conduite des forces africaines, et qu’elles s’engagent dans le multilatéralisme, la gestion du post conflit devra elle aussi impliquer différents acteurs.
En outre, nous regrettons avec ma collègue Kalliopi ANGO ELA que trop peu d’informations précises ne nous parviennent du terrain, en particulier l’absence d’éléments relatifs aux victimes civiles.
Enfin, nous ne pouvons oublier d’évoquer la protection de la communauté française résidant au Mali, souvent conjoints et familles de maliens, qui ne peuvent pas ou ne veulent pas nécessairement être rapatriés ou venir en France.
Kofi Annan le dit ainsi et nous partageons cette réflexion : « Il n’y a pas de développement sans sécurité et de sécurité sans développement et il ne peut y avoir ni sécurité ni développement si les droits de l’homme ne sont pas respectés ».
Je vous remercie