(La Croix) Projet européen de directive sur la transparence des industries extractives
Tribune cosignée par le ministre de l’économie et des finances, M. Pierre Moscovici, et le ministre délégué au développement, M. Pascal Canfin, dans le quotidien «La Croix» – Paris, 3 décembre 2012
Il se joue actuellement dans les coulisses de Bruxelles une partie dont le résultat aura des répercussions immédiates sur les pays en développement. Le Parlement européen, la Commission européenne et les États membres négocient la mise en place d’une obligation de transparence pour les industries extractives – pétrolières, minières, gazières – et forestières européennes qui opèrent dans ces pays. Cette perspective, celle de la transparence pays par pays et projet par projet, permettrait de donner à la société civile la capacité de connaître les recettes tirées de l’exploitation des ressources de leur pays. Les revenus tirés des industries extractives sont aujourd’hui la première source de recettes pour nombre de pays en développement. Ces recettes excèdent largement les montants d’aide au développement.
Pourtant, trop souvent encore, l’industrie extractive opère dans des conditions opaques. Ce défaut de transparence emporte d’importantes conséquences pour les populations des pays en voie de développement. Dans les pays d’extraction, les angles morts du cadre de reporting financier actuel font obstacle au contrôle, par les citoyens, de l’utilisation des revenus associés à l’exploitation des ressources naturelles. Exiger de leurs dirigeants qu’ils en rendent compte, vérifier que les sommes dégagées sont allouées à des objectifs légitimes, s’avère aujourd’hui difficile. Accroître la transparence permettrait donc de donner de nouveaux pouvoirs à la société civile et de s’assurer que les richesses extraites du sous-sol de ces pays, par nature limitées, contribuent effectivement à leur développement. Ce message, la lauréate du prix Nobel de la paix Aung San Suu Kyi l’a rappelé lors de sa venue à Paris. Il a été entendu par le président de la République François Hollande, qui a alors réaffirmé son engagement en faveur d’une transparence financière accrue.
Le moment est venu pour les États de négocier une directive ambitieuse avec le Parlement européen. Certains de nos partenaires refusent d’avancer au nom de la compétitivité des entreprises européennes. Pourtant, l’Europe n’a rien à gagner à refuser que l’on pose des règles à la mondialisation. Quelles chances ont nos entreprises dans un monde sans règles, elles qui doivent publier leurs comptes, qui sont soumises à des règles en matière de corruption, de concurrence, de reporting social et environnemental ? L’intérêt de l’Europe est dans la construction de standards mondiaux ambitieux, qui permettent à nos entreprises d’évoluer dans un cadre le plus homogène possible lorsqu’elles vont sur les marchés mondiaux.
L’Europe peut d’autant moins rester immobile que les États-Unis ont, dès cet été, fait un grand pas vers une meilleure transparence des industries extractives. Le projet de texte proposé par la Commission européenne est ainsi pleinement en cohérence avec la réglementation mise en oeuvre aux États-Unis dans le cadre de la grande réforme financière (Dodd-Frank Act) qui s’appliquera à toutes les entreprises cotées aux États-Unis, quelle que soit leur nationalité. L’Europe ne peut pas faire moins. Les États-Unis et l’Europe pourront ainsi porter cette exigence de transparence dans les industries extractives auprès de leurs homologues du G8 et du G20.
Nous pourrons également continuer à oeuvrer pour la diffusion à l’échelle mondiale de pratiques saines en matière de responsabilité sociale des entreprises et de contrats d’exploitation. Ainsi, lors de la réunion des ministres des finances de la zone franc que nous avons organisée le 5 octobre à Paris, la France et la Banque mondiale ont annoncé qu’elles allaient mettre en place une facilité d’assistance juridique et technique pour permettre aux pays en développement ou à faible revenu de négocier des contrats plus équitables, en particulier dans le secteur des industries extractives.
Il nous appartient – États, entreprises, institutions communautaires – de travailler à une mondialisation plus juste et plus équilibrée. En voici une occasion concrète. Ne manquons pas à nos responsabilités : saisissons-la !