Projet de loi de finances 2013 au sénat : « Nous voterons pour avec réserves »
Intervention de Jean-Vincent Placé en séance publique, le mercredi 7 novembre 2012.
« Monsieur le Président,
Monsieur le Ministre,
Monsieur le rapporteur,
Mes chers collègues,
Cette première loi de programmation du quinquennat est particulièrement significative puisqu’elle impulse une stratégie de long terme et fixe les grands objectifs à atteindre.  Comme vous le savez, l’écologique politique s’envisage sur le long terme, aussi je sais combien cette loi de programmation doit être analysée avec attention. D’autant plus qu’aujourd’hui, nous sommes à un carrefour : le chemin dans lequel nous nous engageons déterminera, certes, les objectifs de l’équilibre budgétaire, mais aussi et surtout, l’évolution de notre modèle de société, de notre qualité de vie et de notre environnement.
L’objectif du désendettement, je le partage, la marche forcée… beaucoup moins. En effet, ce projet de loi traduit l’obligation d’arriver à un déficit effectif de 3% pour 2013 et à un équilibre structurel pour 2016. Alors oui, la France doit honorer ses engagements européens, mais vous ne m’empêcherez pas de penser que cette trajectoire est précipitée et que les conséquences pèsent trop lourd pour être supportées sans séquelles. S’il semble pertinent de chercher à réduire la dette au vu de la charge que constitue le service de ses intérêts, on peut se demander quel est l’intérêt de se lier les mains sur ce point pour tout le quinquennat.
De plus, les écologistes, comme la plupart des économistes, ne se font pas d’illusion sur la croissance, même le FMI, table seulement sur 0,1 % en 2012 et 0,4 % en 2013. Or, les prévisions de croissance, sur lesquelles est assise cette programmation, sont très optimistes : 0,3 % en 2012, 0,8 % en 2013 et 2 % à partir de 2014. Mes prévisions me portent donc à croire que nous n’arriverons pas à atteindre les objectifs fixés de réduction du déficit. Nonobstant, la loi de programmation s’impose des mesures de correction permettant de rattraper la prévision de trajectoire en deux ans, au plus, en cas d’écart constaté. Les règles imposées par la Loi organique, votée la semaine dernière, sont suffisamment contraignantes, alors pourquoi encore durcir le mécanisme de correction automatique des écarts?
Reste toutefois la possibilité de s’écarter temporairement de la trajectoire définie en cas de « circonstances exceptionnelles », cette disposition est positive mais j’ai peur qu’on ne s’en saisisse trop tard: faudra-t-il attendre d’être englué dans une crise sans précédent, que nous aurons nous mêmes accentuée, avant de réaliser que l’austérité n’est pas souhaitable ?
Bref, gardons-nous d’imaginer le pire. Regardons plutôt ce que prévois le projet de loi pour les dépenses dans les années à venir… Monsieur le Ministre, vous avez dit qu’il était difficile de faire plus d’économies. Je confirme, nous atteignons déjà un seuil inquiétant :
Entre 2012 et 2015, c’est :
Moins 7.5% de crédits de paiement pour la Culture ;
Moins 5.7% pour le Logement et l’égalité des territoires ;
et même, moins 4.8% pour le Travail et l’emploi (malgré les effets d’annonce).
En 2013, on annonce aussi moins 6% pour les crédits de fonctionnement du ministère de l’enseignement supérieur alors que les universités sont déjà dégradées et, de plus en plus, en concurrence avec les écoles privées, remettant en cause notre modèle égalitaire d’enseignement supérieure…
Je regrette aussi, comme vous pouvez l’imaginez, que l’écologie ne fasse pas partie des priorités du Gouvernement, avec l’éducation, la jeunesse, l’emploi, la justice et la sécurité. Mais que voulez-vous, notre candidate écologiste n’a pas remporté l’élection présidentielle ! Mais pire que d’être oubliée, l’écologie est réellement sacrifiée!
Moins 11.5% : c’est la baisse des crédits pour la mission « Écologie, développement et aménagement durable » prévue entre 2013 et 2015. Lorsque l’on sait que le ministère concerné est en charge de l’énergie, du climat, de l’eau, de la biodiversité, du développement durable, de l’aménagement… -et j’en passe- , on a de sérieuses raisons de croire que, même si le ministère de l’écologie n’est pas le seul concerné, la transition écologique : ce n’est pas pour maintenant, ni pour demain d’ailleurs.
Dans cette mission budgétaire, il y aussi les transports : que fait-on, dans ces conditions, pour le développement du fret ferroviaire, laissé à l’abandon au profit du transport routier de marchandise ?
Que fait-on pour le transport collectif de voyageur dans les grandes villes et dans les campagnes ?
Que fait-on enfin, sur le Grand Paris, qui préoccupe tous les franciliens ?
Lors de la conférence environnementale, le président de la République a pourtant donné un cap très clair en faveur de la transition écologique. Associations et élus s’en étaient félicités car elle représente une chance, notamment en période de crise. La transition écologique permet de réduire les dépenses énergétiques, de dynamiser l’industrie, de créer d l’emploi, de trouver de nouvelles recettes à la fois utiles et justes, de financer les investissements d’avenir et de soutenir les PME innovantes… De quelle manière le Gouvernement pourra–t-il s’engager sérieusement dans cette voie, sans les moyens humains et matériels nécessaires ?
Dans la loi de programmation, nous avions bien des propositions d’amendement pour équilibrer les crédits entre les missions, mais comme vous le savez, l’article 40 nous en empêche. Il est d’ailleurs frappant de constater la faiblesse des marges de manœuvre des parlementaires sur nos finances publiques.
L’écologie a pourtant toute sa place dans la Loi de Programmation des Finances Publiques car il est primordial d’envisager la transition dans une stratégie de long terme et au travers de réformes structurelles.
J’anticipe quelque peu sur le débat que nous aurons au moment du PLF mais, à l’heure où l’on doit faire des économies et trouver des recettes rapidement, dans la justice, qu’attend-on pour s’attaquer aux niches fiscales dommageables à l’environnement et à la fiscalité écologique ?
Le président socialiste de la commission du développement durable de l’Assemblée nationale, Jean-Paul Chanteguet, estime que « si on n’attaque pas sérieusement ce chantier d’ici à la fin 2013, il sera trop tard : la fiscalité écologique ne verra jamais le jour pendant ce quinquennat ».
J’ai bien entendu le Premier ministre annoncé une nouvelle fiscalité écologique à l’occasion du débat sur la compétitivité, et je m’en réjouis. Cependant, pourquoi attendre 2016 ?
La crise économique que nous traversons ne doit pas nous faire oublier que nous sommes aussi confrontés à une grave crise climatique et environnementale, elles sont profondément liées. Comme Monsieur Moscovici, je crois qu’ « opposer l’économique et le social n’a pas de sens, c’est même une faute », mais c’est exactement pareil pour l’environnement.
Monsieur le ministre des finances, ayant entendu mes inquiétudes sur ce sujet, m’a affirmé en commission des finances que le Gouvernement n’abandonne aucune de ses ambitions, je compte sur lui… et lui peut compter sur moi pour rester vigilant.
Je salue, par ailleurs, le souci global du Gouvernement d’arbitrer le budget dans le sens de plus de justice, en ayant à cœur de préserver les couches populaires, les couches moyennes et les PME.
C’est, en effet, sur le développement de nos entreprises de taille intermédiaires, susceptibles de créer des millions d’emplois – notamment dans l’économie verte- , et suffisamment grosses pour développer des produits innovants, qu’il faut compter.
À cet égard, les Régions françaises, cheffes de file du développement économique ont un rôle considérable à jouer. Je m’inquiète d’ailleurs des impacts de la loi de programmation pour nos collectivités territoriales et pour les impôts locaux. Les couches populaires, le tissu économique local et l’action de terrain, ne risquent-ils pas d’être considérablement affectés par la baisse des dotations de l’État ?
Je l’ai dit, il y a des dépenses gelées, ou diminuées, mais il y en a aussi qui augmentent, et de façon très significatives:
D’une part, on observe l’augmentation de crédits alloués, pour les années à venir, à des secteurs importants, trop longtemps délaissés par la droite : je pense à la jeunesse avec une hausse de 14.3% en trois ans, à la justice (+ 4.9%), l’enseignement scolaire (+2.6%), à la solidarité (+9.6%), à la sécurité (+3.3%), mais aussi à la recherche et l’enseignement supérieur (+2.9%). Monsieur le ministre nous a assuré que les effectifs allaient augmenter dans ces secteurs prioritaires : c’est une bonne chose. Après les dégâts causés par la RGPP, menée aveuglément par la droite, je crois que la France en avait bien besoin. Ces agents supplémentaires permettront d’assurer un service public de qualité, mis à mal pendant ces cinq dernières années.
Les dépenses fiscales et niches sociales seront également mieux évaluées et les projets d’investissement public, notamment d’infrastructures, feront l’objet d’évaluations poussées.
Les écologistes se réjouissent de la mise en place d’une nouvelle procédure d’évaluation socio-économique pour les investissements de l’État, des établissements publics et des établissements de santé ; ainsi que de la contre-expertise obligatoire, au-delà d’un certain montant.
Il s’agit d’une très bonne initiative, comblant une véritable lacune. Il n’y avait pas jusque-là évaluation systématique et indépendante des projets d’investissement, fussent-ils d’ampleur. Afin de compléter cette avancée, nous proposons d’ailleurs d’étendre le champ de l’évaluation aux impacts environnementaux.
Pour conclure,  je crois que cette loi de programmation marque un choix judicieux : celui de préférer faire, pour un tiers seulement, des mesures d’économie et, pour deux tiers, des mesures fiscales, partagées entre les ménages et les entreprises. On aurait, peut-être, même pu imaginer moins diminuer les dépenses de l’État ; mais en tout état de cause, une solution 50/50 aurait été désastreuse pour le pays.
J’ai eu, néanmoins, l’occasion de le dire lors du débat sur le TSCG, je crois qu’une stratégie rigide « des 3% » n’est pas la bonne. Le Ministre des finances nous a demandé de le juger aux résultats, ce que nous ferons : nous verrons d’ici quelques mois ce qu’il en est. Le pire n’est jamais sûr, nous espérons avoir tort, car l’aggravation de la crise économique, sociale et environnementale ne va dans l’intérêt de personne.
Le Gouvernement fait le choix de cette trajectoire, nous les écologistes, nous avons fait le choix de lui faire confiance et la confiance ne se divise pas.
Avec toutes les réserves que j’ai évoquées précédemment, nous voterons donc pour le projet de loi de programmation. »