Réponse d’Eva Joly au Forum Citoyen pour la Responsabilité Sociale des Entreprises

 

  1. A.    Reconnaître la responsabilité juridique de la société mère d’une société multinationale à l’égard de l’activité de ses filiales et sa chaine de sous-traitance, en France comme à l’étranger :

 

Le nouveau Président devra répondre à une question cruciale : comment faire évoluer le droit encadrant la relation entre les maisons-mères, ses filiales et ses sous-traitants dans le cadre d’un groupe de sociétes. En effet, le droit des sociétés tel qu’il est conçu aujourd’hui, à travers les deux principes que sont  l’autonomie juridique de la personne morale et la responsabilité limitée, empêche de pouvoir considérer juridiquement responsable une holding ou une maison-mère pour les agissements de ses filiales à l’étranger. Bien qu’un groupe d’entreprises soit une réalité économique, chaque entité le composant, bien souvent domiciliée dans un pays du Sud, est isolée juridiquement. Cette séparation juridique (corporate veil en anglais) se traduit par l’impossibilité, d’un point de vue juridique, de reconnaitre les responsabilités de la maison-mère pour les violations des droits de l’Homme et de l’environnement perpétrées par ses filiales.

 

Si vous êtes élu(e) Président(e) de la République, vous engagez-vous à :

 

  1. Lever la séparation juridique entre la maison-mère et ses filiales, en établissant un régime juridique propre aux groupes de sociétés en instaurant, par exemple, la responsabilité du fait d’autrui propre aux personnes morales contrôlantes ou dominantes ;

 

OUI JE M’ENGAGE A DEFENDRE CETTE MESURE SI JE SUIS ELU-E

 

 

Vous engagez-vous également à :

 

  1. Renforcer le cadre juridique français en l’alignant a minima sur les normes internationales tels que le cadre « Protéger, respecter, réparer », adopté par le Conseil des droits de l’Homme des Nations unies en juin 2010 et les Principes directeurs de l’OCDE à l’intention des entreprises multinationales, révisés en 2011 ;

 

                  OUI JE M’ENGAGE A DEFENDRE CETTE MESURE SI JE SUIS ELU-E

 

  1. Garantir que les fonds publics ne soient ni à l’origine de violations des droits de l’Homme, ni des droits des travailleurs, ni de l’environnement, en obligeant les entreprises bénéficiaires de subventions et/ou de capitaux publics à entreprendre des études d’impacts concernant l’environnement et les droits de l’homme en amont du financement de projet.

 

                  OUI JE M’ENGAGE A DEFENDRE CETTE MESURE SI JE SUIS ELU-E

 

 

 

En tant que candidat-e à la présidence de la République, quelle est votre position sur cet enjeu crucial de la lutte contre l’impunité des multinationales ?

 

Derrière le concept de responsabilité sociale de l’entreprise, qui, depuis les années 1930 ressurgit en période de crise et de défiance à l’égard de la « grande entreprise », pointe celui de responsabilité globale. Depuis l’apparition de la « Société Anonyme », ses propriétaires et ses dirigeants, accompagnés de leurs avocats, de leurs fiscalistes, de leurs experts comptables, n’ont eu de cesse d’élargir ses marges de manœuvre, son « droit à opérer » et à l’affranchir des conséquences sociales et environnementales de ses actions. Avec l’avènement des firmes multinationales dans la seconde moitié du XXème siècle, nous avons assisté à un changement de dimension dans cette quête de l’irresponsabilité. Cette quête est devenue globale : prédation planétaire des ressources naturelles, chasse au moins disant salarial, comme au moins disant juridique ou fiscal, etc. Il est plus que temps d’affirmer la volonté démocratique d’une économie pacifiée, humaine, d’une économie verte.

Pour ce qui concerne la lutte contre ce que vous appelez l’impunité des multinationales cela passe effectivement par leur responsabilisation globale. Cela suppose que la structure de tête de chaque groupe multinational soit responsabilisé sur les agissements de toutes ses filiales, où qu’elles soient.

Les circuits financiers, les systèmes de refacturation intra groupe, les opérations d’optimisation fiscale sont à la fois sans limite et globalisés à l’intérieur d’un même groupe multinational. La responsabilité sociale en revanche, y est étroitement contenue : le temps est venu de la libérer, de faire en sorte qu’elle ne soit plus « limitée ».

De ce point de vue, je suis très intéressée par les pistes ouvertes notamment par Blanche Segrestin et Armand Hatchuel, tous deux professeurs à Mines Paris Tech, qui, avec d’autres chercheurs, au sein du programme de recherche pluridisciplinaire « L’entreprise, formes de propriété et responsabilité sociales » proposent de « refonder l’entreprise ».

 

Votre proposition n°3 concerne l’usage de l’argent public. Vous le savez je suis très sensible à cette question. Les élus écologistes dans les collectivités locales, et notamment dans les conseils régionaux, travaillent à développer l’éco conditionnalité des aides. Je soutiens, et ils et elles soutiennent avec moi, l’idée que l’argent public ne saurait financer des activités dont l’impact serait contraire à l’intérêt général. C’est à un véritable changement de paradigme que vous invitez les pouvoirs publics avec cette proposition. Sa mise en œuvre suscitera des débats dans la société, et c’est précisément ce que nous recherchons lorsque nous appelons à replacer l’entreprise sous contrôle démocratique. Il est temps.

 

 

  1. B.    Garantir la transparence et l’accès à l’information sur les activités et les impacts des entreprises en matière de droits de l’Homme, d’environnement et de fiscalité.

 

L’accès à l’information pour les parties prenantes (consommateurs, populations concernées par l’activité économique, les syndicats, les Etats, les ONG, etc.) demeure faible. L’absence de transparence empêche également le développement de pratiques qualitatives d’investissement socialement responsable (ISR). Il est donc nécessaire d’établir une obligation de transparence concernant la mise en œuvre par les entreprises des procédures de diligence raisonnable[1] en matière de droits de l’Homme, sur la base d’indicateurs précis, fiables, pertinents et comparables entre entreprises d’un même secteur et dans le temps (la fragmentation et les différences méthodologiques renforçant l’opacité et rendant la lecture des données difficiles). Si en France, grâce au processus Grenelle, certains progrès en la matière ont été accomplis et ce en dépit de fortes oppositions des organismes patronaux, il reste à clarifier la méthodologie du reporting et le devoir de communiquer ces informations pour chaque filiale étrangère d’un même groupe.

 

Si vous êtes élu(e) Président(e) de la République, vous engagez-vous à :

 

  1. Elargir l’obligation de reporting extra-financier au périmètre international (pour qu’il inclue l’ensemble des entités composant le groupe et qu’il soit comparable au périmètre de consolidation comptable). Il doit comprendre des indicateurs précis, fiables, pertinents et comparables, en impliquant l’ensemble des parties prenantes. Ce dispositif, pour qu’il soit crédible, doit être assorti d’une vérification par des tiers indépendants et de sanctions ;

 

                  OUI JE M’ENGAGE A DEFENDRE CETTE MESURE SI JE SUIS ELU-E

        

 

Vous engagez-vous également à :

 

  1. Imposer aux entreprises transnationales la publication d’informations comptables pays par pays ;

 

                  OUI JE M’ENGAGE A DEFENDRE CETTE MESURE SI JE SUIS ELU-E         

 

  1. Encourager la mise en place d’un cadre national régulant la concertation entre les entreprises et leurs parties prenantes externes.

 

                  OUI JE M’ENGAGE A DEFENDRE CETTE MESURE SI JE SUIS ELU-E

 

En tant que candidat-e à la présidence de la République, et en considérant leur poids économique et le contexte de mondialisation, quelle est votre position sur cet enjeu crucial de la transparence des entreprises ?

 

Les premiers efforts politiques dans le domaine du reporting social et environnemental des entreprises datent d’un peu plus d’une douzaine d’année. En France c’est sous l’impulsion de Dominique Voynet qu’a été introduite dans la loi « Nouvelles Régulations Economiques » l’article 116 créant l’obligation, pour les entreprises cotées en France, de publier dans leur rapport annuel des informations sur l’impact sociale, environnemental et territorial de leur activité. Le décret d’application de cet article de loi a été élaboré lorsqu’Yves Cochet était Ministre et publié juste à temps, en février 2002. Dans les années qui ont suivi, tous les efforts pour avancer, que ce soit en France, en Europe, ou au plan international, ont été contrecarré par les lobbys patronaux. 
La loi Grenelle 2 a, un moment, ouvert une perspective qui aurait fait bouger les lignes, mais là, comme dans tant d’autres domaines, les intentions initiales ont été battues en brèche sous la pression du MEDEF et de l’AFEP. L’article 225 portant sur le reporting extra financier des entreprises a été largement vidé de sa substance. Et son décret d’application, qui aurait dû, finalement, être publié fin 2010 est toujours en attente, du fait des manœuvres des organisations patronales.

Il est temps d’ouvrir un nouveau cycle, tant en France, à l’issue des élections présidentielles et législatives, mais aussi au plan mondial à l’occasion de RIO +20. Dis ans après le Sommet de la Terre de Johannesburg, où les entreprises ont été en première ligne, sans que les choses n’aient, depuis beaucoup bougé, le nouveau Sommet de la Terre devrait être le moment d’un nouveau départ. Il faudrait que le FCRSE fasse partie de la délégation des organisations de la société civile française.

 

  1. C.     Lever les obstacles à l’accès à la justice pour les victimes

 

Aujourd’hui les victimes de violations de droits de l’homme ne peuvent obtenir réparation en France pour les préjudices causés par des filiales étrangères de groupes français. De surcroît, elles sont souvent soumises à des pressions psychologiques, voire menacées de mort lorsqu’elles déposent plainte contre une grande entreprise. Dans les pays du Sud, le système judiciaire est souvent faible et exposé à la corruption. Ainsi,  même si certaines entreprises européennes se rendent complices d’expropriations, de déplacements forcés de population, de travaux forcés voire d’assassinats, le risque est grand que les tribunaux du Sud prononcent des non-lieux ou déclarent l’entreprise non coupable. Il est donc nécessaire de garantir l’accès à la justice aux victimes des multinationales en leur permettant de s’adresser aux tribunaux du pays de la société-mère.

 

Si vous êtes élu(e) Président(e) de la République, vous engagez-vous à :

 

  1. Soutenir la réforme du Point de contact national de l’OCDE, en le dotant de moyens d’investigations (sur les violations potentielles), en renforçant les mécanismes de transparence et en associant les acteurs de la société civile aux dispositifs de consultation ;

 

                  OUI JE M’ENGAGE A DEFENDRE CETTE MESURE SI JE SUIS ELU-E

 

Vous engagez-vous également à :

 

  1. Mettre en place un fonds d’aide aux victimes pour financer les procédures d’accès à la justice ;

 

                  OUI JE M’ENGAGE A DEFENDRE CETTE MESURE SI JE SUIS ELU-E

 

  1. Lever les obstacles en matière procédurale : s’assurer de l’existence de procédures d’appel (notamment quand le parquet a l’opportunité des poursuites) et s’assurer que la charge de la preuve ne pèse pas sur la victime ;

 

                  OUI JE M’ENGAGE A DEFENDRE CETTE MESURE SI JE SUIS ELU-E

 

  1. Créer « l’action de groupe » par l’introduction dans le droit national de la possibilité d’action de groupe, permettant ainsi à un ou plusieurs demandeurs d’intenter une action en justice au bénéfice d’un groupe de personnes ;

 

                  OUI JE M’ENGAGE A DEFENDRE CETTE MESURE SI JE SUIS ELU-E

 

  1. Ratifier le Protocole facultatif du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (PIDESC) afin de permettre aux victimes d’avoir un droit de recours ;

 

                  OUI JE M’ENGAGE A DEFENDRE CETTE MESURE SI JE SUIS ELU-E

 

  1.  

    Né en 2004 pour favoriser une expression convergente d’organisations de la société civile ainsi que pour développer un centre d’expertise commun, le Forum citoyen pour la RSE (FCRSE) s’est fixé comme enjeu d’introduire la possibilité d’un contrôle démocratique sur les impacts sociaux, environnementaux et sociétaux de l’activité des entreprises. Le FCRSE milite en faveur d’une responsabilité effective des sociétés mères pour les dommages causées par leurs filiales en France ou à l’étranger, un accès à la justice pour les victimes des les pays du Sud et une obligation de transparence sur les impacts des activités des entreprises.

    Les organisations membres sont :

    §  pour le domaine environnemental : Les Amis de la Terre France, Greenpeace France, France Nature Environnement (FNE) et WWF France;

    §  pour les droits de l’Homme : Amnesty International France, la Ligue des Droits de l’Homme (LDH) et Sherpa;

    §  pour la solidarité Nord-Sud : le Comité Catholique contre la Faim et pour le Développement – Terre Solidaire (CCFD-Terre Solidaire), le Centre de Recherche et d’Information pour le Développement (CRID), Peuples solidaires-ActionAid;

    §  pour les organisations syndicales : la Confédération Française et Démocratique du Travail (CFDT) et la Confédération Générale du Travail (CGT) ;

    §  le journal Alternatives économiques et le Centre Français d’Information sur les Entreprises. (CFIE).  

     

    Renforcer le mécanisme de résolution des litiges au sein de l’OIT en s’inspirant de celui de l’Organisation mondiale du commerce (OMC).

 

                  OUI JE M’ENGAGE A DEFENDRE CETTE MESURE SI JE SUIS ELU-E

 

 

 

En tant que candidat-e à la présidence de la République, quelle est votre position sur cet enjeu crucial de l’accès à la justice pour les victimes non-européennes des multinationales françaises ?

 

Soyons clairs : il s’agit d’un enjeu de civilisation. C’est en rendant justice aux victimes que l’on peut avancer vers une économie pacifiée et humaine. Pour y parvenir il faut rendre possible l’accès à la justice pour les victimes non européennes des multinationales françaises.


[1]           Diligence raisonnable : pièce maitresse du cadre des Nations unies « protéger, respecter, réparer », à savoir, le devoir pour les entreprises de prévenir et réparer les incidences négatives que leurs activités peuvent avoir sur les droits de l’Homme.

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