Réponse d’Eva Joly à l’association Habicoop

Madame, Monsieur,

 

Je vous remercie de m’avoir adressé votre lettre ouverte et vous adresse mes réponses à vos cinq sujets d’interpellation pour développer l’habitat participatif et résorber la crise du logement. Je vous invite également à prendre connaissance de mon programme consacré au logement et à la ville à cette adresse : http://evajoly2012.fr/le-projet/

 

 

Le logement n’est pas un bien spéculatif

 

Avec la hausse vertigineuse des prix de l’immobilier, le logement ces dernières années est devenu une source d’enrichissement pour certains. Au-delà de la consommation d’un service de logement pour satisfaire un projet de vie, l’immobilier est devenu, plus qu’avant, un placement pour l’avenir, une valeur refuge et une promesse de plus-value. Cette évolution est le symptôme de marchés profondément dérégulés, qui occasionnent, au gré des cycles et des retournements de tendances, des pertes ou des gains aussi spectaculaires qu’immérités. Elle témoigne avant tout de la fragilisation de notre système de protection sociale, qui tend à faire de la propriété immobilière la condition sine qua non d’une retraite confortable. Enfin, elle renvoie à des inégalités de revenus et de patrimoine considérables, qui permettent à quelques-uns d’investir des montants considérables dans le logement pour suivre la pente ascendante des prix, pendant que la majorité des autres restent à l’écart.

Face à cela, il revient à la puissance publique de lisser les évolutions de l’immobilier, de calmer les angoisses des habitants au moment de chercher un logement. L’immobilier a besoin de prévisibilité, les bailleurs ont droit à des rendements locatifs corrects et stables. Au lieu de faire quelques gagnants et beaucoup de perdants, le marché de l’immobilier doit avant tout répondre aux besoins légitimes de la population : de la sécurité, du confort, un cadre de vie choisi, des dépenses maîtrisées, une empreinte écologique raisonnable, un accès partagé aux richesses collectives et le respect des choix de vie de chacun-e. Aussi longtemps que les marchés de l’immobilier fonctionneront comme un casino, des mal-logés resteront sur le bord du chemin.

 

 

Les citoyens doivent devenir acteurs de leur habitat

 

Le logement est trop souvent vécu comme un bien de consommation de masse, standardisé, alors qu’il fait partie d’un cadre de vie à la fois intime et collectif, c’est-à-dire qui doit être adapté aux aspirations de chacun et négocié en commun entre ceux qui partagent un même quartier, une même ville, une même planète. C’est pourquoi nous prônons une plus grande implication des habitants qui le désirent dans leur habitat, à toutes les étapes, de la conception du logement à la vie en commun au sein d’un quartier.

Qu’il s’agisse de la place des associations de locataires dans le parc social, de la démocratisation des copropriétés ou de la participation des habitants à la gestion de leur quartier, en allant jusqu’à la mise en place de référendums décisionnels dans les opérations de rénovation urbaine, nous estimons que la ville ne peut pas être le produit d’un tête-à-tête entre élus et promoteurs. L’ouverture du dialogue à toutes les parties prenantes, au premier lieu les habitants, constitue d’ailleurs le gage le plus efficace d’une plus grande transparence dans ce domaine, notamment pour y faire reculer la corruption. Du point de vue de l’empreinte écologique également, les écoquartiers, pour prendre en compte en amont les aspirations et les modes de vie réels des habitants, doivent être des modèles de démocratie participative, sous peine de décevoir les attentes. En matière de maîtrise de l’énergie en particulier, rien ne peut être fait sans les habitants, pour leur permettre d’adapter leur habitat et leur consommation.

 

De même, dans le domaine des rapports locatifs, nous sommes partisans d’un « miroir des loyers » à la française. Cette proposition inspirée de l’Allemagne commence à faire débat en France. Au-delà de la maîtrise et de l’encadrement des loyers, un miroir des loyers incite les acteurs du logement à dialoguer et à trouver des compromis pour fixer ensemble les loyers de référence pour tel type de logement à tel endroit. Ces commissions, qui réunissent bailleurs et locataires, fonctionnent en Allemagne. En France, où les corps intermédiaires sont traditionnellement moins puissants – en ce qui concerne les locataires – et moins « constructifs » – en ce qui concerne les bailleurs privés regroupés au sein de l’UNPI par exemple -, une telle mesure constituerait une révolution de la concertation et de la transparence, et permettraient de sortir du tête-à-tête inégal entre le locataire et son bailleur.

 

De manière plus générale, le logement est un secteur où les inégalités d’accès à l’information renforcent des rapports de force déjà très inégaux selon les ressources des ménages. Dans ce cadre, les associations qui agissent sur le terrain doivent être renforcées, qu’il s’agisse de prévenir les expulsions locatives, d’empêcher les abus de certains bailleurs ou agences immobilières, de faire connaître différentes aides ou de résoudre les contentieux locatifs.

 

J’insiste également sur la prise en compte des aspirations des sans domicile fixe à la gestion du système d’hébergement et d’insertion. La contrainte, un temps envisagée par le gouvernement actuel, est toujours un échec dans ce domaine. Les sans abris ont besoin d’un toit mais ils ont aussi besoin de dignité, d’écoute et de participation aux décisions qui les concernent. Les communautés Emmaüs depuis cinquante ans nous montrent d’ailleurs le chemin d’une insertion sans paternalisme. Puisse le secteur de l’hébergement d’urgence s’en inspirer, à condition de lui donner les moyens budgétaires de le faire. Dans le même esprit, les foyers de travailleurs migrants doivent être rénovés tout en favorisant une certaine forme d’autogestion collective par les communautés qui y vivent, loin de toute tentation de standardisation de ces lieux de vie alternatifs.

 

Enfin, l’habitat participatif au sens large doit être encouragé partout où cela est possible, sous toutes ses formes, en prenant soin de ne pas réduire la diversité qui fait sa force. Pour les jeunes, pour les seniors, pour les familles, pour les artistes, l’habitat groupé, l’autopromotion voire l’autoconstruction sont des solutions économes, en espace en énergie et en argent, permettent des modes de vie plus communautaires. Je ferai aussi la promotion de l’usage temporaire des locaux temporairement vides, en particulier quand il s’agit d’immeubles publics en attente de travaux ou de projet, afin d’y faciliter l’installation provisoire d’artistes, de lieux associatifs ou d’habitation.

 

 

Les collectivités doivent mieux maîtriser leur foncier

 

L’accès à un foncier abordable est la clé du développement de l’habitat participatif, et de la résorption de la crise du logement de manière générale. Nous proposons une intervention plus forte de la collectivité dans l’allocation de cette ressource précieuse.

La plupart des compétences doivent être confiées aux intercommunalités, sans quoi la balkanisation à l’extrême des centres de décisions au niveau des 36 000 communes de France nous mène tout droit à l’éclatement des villes, étalées, ségréguées et inégalitaires, et à un gaspillage irréversible du foncier. Ce sont les intercommunalités qui pourront planifier l’urbanisation, délivrer les permis de construire là où c’est nécessaire et imposer des secteurs de mixité sociale face aux promoteurs, avec des prix de sortie maîtrisés. Nous souhaitons également systématiser les établissements publics fonciers dans chaque région et les doter de moyens conséquents.

Enfin, pour éviter la captation indue de la rente foncière, nous taxerons fortement et progressivement dans le temps les terrains classés constructibles, pour éviter la rétention foncière, mieux répartir les fruits de l’urbanisation et densifier là où c’est nécessaire pour éviter l’étalement urbain.

 

 

Il faut encourager l’habiter coopératif

 

Les écologistes prônent un plus grand équilibre entre propriété, locatif privé et parc social, pour donner à chacun le choix de sa façon d’habiter. Mais EELV relaie et encourage aussi depuis longtemps les expériences de coopératives d’habitants et les revendications d’Habicoop. Pour inventer une nouvelle façon d’habiter, alternative à la location et à la propriété individuelle, nous pouvons nous inspirer des expériences issues de notre passé, comme les Castor, de notre présent, comme le Village Vertical de Villeurbanne, ou de l’étranger, comme la Suisse ou bien sûr la Norvège.

 

En France, le verrou est avant tout politique. C’est pourquoi les députés écologistes ont déposé une proposition de loi consacrée au « tiers secteur de l’habitat », qui restaure en particulier un statut de coopérative d’habitants (voir : http://www.assemblee-nationale.fr/13/propositions/pion1990.asp).

 

Je ferai tout mon possible pour que la reconnaissance des coopératives d’habitants soit à l’agenda de la nouvelle Assemblée nationale aussi vite que possible. En matière d’habitat, si tout ne peut pas venir de l’Etat, les pouvoirs publics ont pour rôle de rendre possibles les initiatives de terrain.

Pour développer ces coopératives, les groupes porteurs de projets ont en particulier besoin de foncier. Les collectivités doivent pouvoir leur en attribuer, en vente à un prix raisonnable ou en location sous forme de baux emphytéotiques. Pour encourager des groupes à se former, des collectivités peuvent aussi, par exemple sur des ZAC, réserver une partie des terrains à l’habitat coopératif et les attribuer suite à un appel à candidature. En contrepartie, les coopératives doivent prévoir des clauses anti-spéculatives, pour mieux réguler les prix et pour que cette aide de la collectivité ne soit pas captée par des individus. De plus, les coopératives devront accueillir en leur sein des profils sociaux variés. En effet, les aides publiques, sous quelque forme qu’elles soient, doivent avoir des contreparties sociales, sous peine de perdre leur légitimité sociale, surtout si on les met en parallèle avec les besoins pressants en logement social.

 

Enfin, la puissance publique aura à cœur de soutenir les réseaux de l’habitat participatif, sans se substituer à eux, en subventionnant ses acteurs principaux, du moins le temps de structurer ce secteur, et en créant un fonds de garantie pour aider les groupes pionniers à se lancer dans des projets originaux, au nom du droit à l’expérimentation. La ville de demain est encore embryonnaire, mais elle existe.

A vous de l’inventer, à nous de vous y aider.

 

 

Très sincèrement.

 

Eva Joly.

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