Eva Joly répond au questionnaire de l’AJSPI

Association des Journalistes Scientifiques de la Presse d’Information

I – Depuis plus de 20 ans, tous les gouvernements ont affiché l’objectif d’un effort de R&D de 3% du PIB. Ils ont tous échoué, cet effort dépasse de très peu les 2%. Quel objectif vous fixez-vous, et en quelles proportions pour la recherche publique en part de réalisation d’ici 2017 ?

Je tiens tout d’abord à souligner à quel point la création et la diffusion des savoirs sont au cœur de la pensée écologiste. Faire davantage de recherche, c’est participer à la quête de connaissances qui fait partie intégrante de l’aventure de l’humanité ; c’est aussi s’ouvrir de nouvelles perspectives dans un monde en mutation et face aux défis nouveaux posés par les crises sociale et environnementale. Les objectifs quantitatifs sont un préalable, mais ne doivent pas masquer les objectifs qualitatifs : quelles recherches, quelles innovations ? La société doit pouvoir s’exprimer sur ces questions, encourager certains axes de recherche et de développement, encadrer strictement les innovations susceptibles d’impacts non désirés. En parallèle, il faut assurer l’autonomie des chercheurs face à tous les pouvoirs, qu’ils soient économiques ou politiques.

Même si l’objectif européen de 3% avait été fixé en 2000 sous de bien mauvais auspices (ceux de la concurrence généralisée et de la connaissance perçue d’abord comme source de valeur économique), il n’en est pas moins intrinsèquement pertinent. Très rares sont les pays à l’avoir atteint, mais pratiquement tous les pays développés ont significativement augmenté leur effort de R&D ces dernières années. Tous… sauf la France qui stagne à peine au-dessus des 2%. Ce constat signe un échec majeur des gouvernements de droite successifs, d’autant plus cinglant que des sommes considérables ont été mises sur la table. Mais au lieu de l’être pour la recherche civile publique – dont le budget net, désormais sous les 0,6% du PIB, est en régression selon les chiffres de l’OCDE ! – ou de manière ciblée en direction des PME et des entreprises fortement innovantes, elles ont pris la forme explosive du Crédit d’impôt recherche, cadeau fiscal indifférencié et dont toutes les études quantitatives démontrent l’impact négligeable.

Je fixe pour ma part un objectif de 1% du PIB pour la recherche publique civile à l’horizon 2017, atteint notamment grâce à un redéploiement d’une grande partie du CIR et des investissements militaro-industriels, dans l’aérospatial et le nucléaire (ramenés à 0,2% environ). Pour stimuler l’effort privé, j’engagerai une politique ciblée sur les PME et tenant compte des besoins réels du pays en matière d’innovation.

 

II – Le gouvernement sortant a réorganisé l’Enseignement supérieur et la recherche, et modifié son mode de financement (LRU, ANR, AERES, IDEX…). Allez-vous conserver, changer ou abroger ces dispositifs ?

Les structures nouvelles et les milliards supplémentaires de l’ère Sarkozy promettaient un nouvel âge d’or. La réalité est tout autre : au lieu de consacrer leur temps à leurs missions statutaires – chercher, former les plus jeunes, s’ouvrir à la société – les chercheurs et enseignants-chercheurs croulent désormais sous des avalanches d’appels à projets, doivent multiplier les réunions préparatoires, courir d’un guichet à l’autre pour décrocher les contrats qui leur rendront les moyens de travailler, et participer à toutes sortes de comités où ils évaluent leurs collègues et, faute d’argent disponible, retoquent la très grande majorité de leurs demandes de crédits. Et quand ils en obtiennent, cela a pour principal effet de faire exploser les contrats précaires (personnels administratifs et techniques, jeunes chercheurs…), les postes pérennes disparaissant en même temps que les financements récurrents. Quant aux structures porteuses de ces évolutions, elles ont complexifié inutilement le paysage de la recherche. Ces niveaux de décision intermédiaires s’affranchissent des principes de collégialité et de démocratie qui sont le cœur du fonctionnement du monde académique ; et le système d’appels d’offre et de benchmarking permanent ouvrent au gouvernement la possibilité d’un contrôle poussé sur les faits et gestes des établissements, à l’opposé des discours  exaltant « l’autonomie » – une première illustration a été fournie il y a quelques semaines avec la suppression brutale du programme ANR sur la santé environnementale, dont les résultats auraient pu menacer certains intérêts privés. La situation est telle que c’est une véritable refondation de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche qu’il faut envisager.

Après des années de décisions autoritaires, la communauté de l’ESR et plus généralement toute la société doivent retrouver le chemin du dialogue et de la confiance : je convoquerai donc des États-généraux chargés notamment de préparer le remplacement de la loi LRU et de définir les modalités d’une évaluation transparente et collégiale. Le principe d’autonomie sera assuré non seulement pour les universités, mais aussi pour les chercheurs et enseignants-chercheurs, ce qui passe par des moyens majoritairement récurrents pour les organismes et établissements d’enseignement supérieur publics, et par un large plan de titularisation : le statut permanent des personnels est en effet un énorme atout pour la prise de risque scientifique et la projection dans des travaux de long terme. L’AERES sera supprimée, l’évaluation pouvant être assurée de manière plus transparente et collégiale par les différentes instances démocratiques existantes. La politique des investissements d’avenir sera non pas accélérée mais entièrement revisitée, sans préjudice de moyens pour les lauréats actuels. Quant à l’ANR, je souhaite en faire un organisme au périmètre réduit, centré sur des missions précises : financer, à titre de complément, des sujets définis comme prioritaires aux termes d’un débat démocratique, ainsi que des recherches partenariales associant laboratoires académiques et associations.

 

III – La France produit actuellement un peu moins de 10.000 docteurs es-sciences par an, dont environ un quart d’étudiants étrangers, un chiffre stagnant depuis près de 20 ans. Voulez-vous, durant votre quinquennat, maintenir ou augmenter ce chiffre ? A combien doivent se chiffrer le nombre et le montant des contrats de doctorants financés par l’État ?

Bâtir une société de la connaissance suppose un fort développement de la formation par la recherche. Cela passe par l’augmentation du nombre de docteurs : le nombre de doctorats délivrés devrait progresser de 1000 par an pendant 10 ans, soit un doublement à cette échéance. Mais cette évolution n’aura de sens que si le doctorat est correctement valorisé dans l’ensemble du tissu socio-économique : j’engagerai également une action résolue en ce sens.

Dans la grande majorité des cas, un doctorat est une première expérience professionnelle de la recherche : celle-ci doit se dérouler dans de bonnes conditions matérielles et en réelle interaction avec une équipe de recherche. Nombre de préparations de thèse s’éternisent en longueur car le futur docteur, faute de financement approprié, manque de moyens matériels de travail et/ou doit exercer une activité rémunérée – et trop souvent, cela a lieu au sein des universités, dans des conditions de forte précarité. Je porterai progressivement le nombre de contrats doctoraux accessibles à 10000 chaque année, et développerai les mécanismes incitatifs des contrats CIFRE pour atteindre les 3000 contrats annuels. L’harmonisation des contrats doctoraux avec le droit du travail (congé maternité par exemple) doit être achevé, le financement par libéralités interdit en pratique et pas seulement dans les textes. La charte des thèses sera incluse dans le contrat doctoral, notamment la clause limitant le nombre de thèses encadrables par un responsable doctoral donné.

Il faut sortir du cliché qui voudrait que le seul débouché des docteurs soit la recherche publique. Premièrement, les docteurs ont vocation à irriguer l’ensemble de la fonction publique : pour cela, le doctorat entrera dans les grilles de la fonction publique, et la durée effective de la thèse sera systématiquement intégrée dans les calculs d’ancienneté requis pour  divers concours de la haute fonction publique. Deuxièmement, je ferai appel aux partenaires sociaux, comme prévu par la loi, pour organiser la reconnaissance du doctorat dans les conventions collectives et promouvoir le recrutement de docteurs, y compris en SHS, dans les entreprises. Enfin, la poursuite de carrière hors académie des docteurs bénéficiera d’une politique volontariste et ciblée de soutien à l’innovation, centrée sur les PME innovantes, qui permettra de faire enfin décoller la R&D privée

 

IV – C’est la croissance des PME qui crée l’emploi, et non les grands groupes. Mais cette croissance est difficile en France. Allez-vous contraindre les marches publics à recourir pour une part aux PME et défendre au niveau européen une telle mesure?

Je souhaite en effet mettre en place une déclinaison française, et à terme européenne, du « Small Business Act » américain, qui réserve notamment certains marchés publics aux PME. Ce dispositif a fait la preuve de son efficacité et est parfaitement documenté : il n’y a aucune raison de ne pas le décliner en France et en Europe, si ce n’est l’intérêt de grands groupes qui ont su jusque là bloquer toute initiative ambitieuse en ce sens. Il faut d’ailleurs noter qu’un « SBA » existe en Europe depuis 2008, mais le nom est trompeur puisqu’il ne s’agit que d’un ensemble de simplifications réglementaires, certes utiles, mais en aucun cas à la hauteur de l’enjeu.

Plus précisément, je souhaite promouvoir cinq mesures :

Réserver les marchés publics d’un montant inférieur à un seuil de l’ordre de 50 000 à 70 000 €, aux PME, sauf lorsque l’acheteur public peut établir qu’aucune d’entre elles ne peut offrir les produits ou services attendus,

–       Clarifier les conditions de sous-traitance. En effet, une partie des marchés publics est aujourd’hui attribuée à de grandes entreprises qui en sous-traitent la réalisation à des PME. Mais, bien souvent, ce mécanisme a des effets pervers : d’une part, l’acheteur paye plus cher car il supporte la marge que la grande entreprise ajoute au prix de ses sous-traitants. D’autre part, ceux-ci se font « étrangler » au passage par leur donneur d’ordre. Certes, pour l’acheteur, il est plus confortable de n’avoir qu’un seul interlocuteur, mais le même bénéfice pourrait être obtenu en passant un marché avec un maître d’œuvre en charge de coordonner les intervenants, le tout dans des conditions économiques globales probablement plus satisfaisantes. Aux USA, la grande entreprise titulaire du marché doit, avant signature, présenter son plan de sous-traitance et le faire agréer : on pourrait mettre en œuvre le même dispositif en Europe.

–       Protéger la capacité d’innovation des PME alors que certains grands groupes ont la mauvaise habitude de se servir des sous-traitances qu’ils passent, pour « siphonner » la R&D de leurs partenaires.

–       Clarifier la notion de « mieux disant » : les services de la Commission Européenne travaillent actuellement sur un projet de directive qui demande de prendre en compte, dans le calcul des prix proposés, la totalité du cycle de vie des produits : fourniture, maintenance, démantèlement ou recyclage en fin de vie. Cette notion devrait à mon avis être traduite dans le Code des Marchés Publics français, sans délai.

–       Monter un Service chargé d’animer les relations entre acheteurs publics, grandes entreprises et PME, pour fluidifier les relations et faire en sorte que les engagements pris au titre d’un SBA soient respectés. Certains acheteurs publics ont commencé, par exemple, à organiser des réunions pour présenter les projets de marché qu’ils ont pour l’année en cours, et pour mieux connaître les PME susceptibles de les assurer. Cette initiative devrait, je pense, être généralisée.

Je dois aussi préciser que ce sujet du SBA est trop sérieux pour faire l’objet de rodomontades et de déclarations menaçantes envers l’Europe, comme vient de le faire le candidat Sarkozy lors de son meeting de Villepinte. Nous souhaitons convaincre nos partenaires Européens, la mise en demeure n’est pas la plus efficace des méthodes. Dans le même temps, nous utiliserons les marges de manœuvre que laisse la réglementation Européenne, notamment pour les marchés de « petit » montant, pour avancer rapidement. C’est tout le sens du « Pacte de Développement » que nous proposons pour les PME.

 

V – Le Crédit d’impôt recherche a été présenté comme un outil majeur de l’État pour développer la recherche privée, et son montant a été augmenté jusqu’à près de 5 milliards par an. Allez-vous le conserver dans son principe (toute recherche privée est a soutenir) ? Allez-vous garder ou modifier son mode de calcul actuel qui favorise les grandes entreprises ?

La majorité des observateurs estime que les capacités réelles d’innovation technologique se sont de longue date déplacées des laboratoires et bureaux des grands groupes pour se nicher préférentiellement dans les petites et moyennes entreprises (PME), voire dans les toutes petites entreprises (TPE) ou même chez des individus dans certains secteurs comme le numérique. Je suis donc très prudente avec les « grands projets industriels » tels que la France en a mené au cours du XXe siècle et dont l’issue a été parfois positive mais souvent aussi un échec au coût démesuré.

Ce type de politique d’État perdure : appel à projets pour la création d’instituts de recherche technologique (IRT), où de très grandes entreprises comptent sur un prétendu « écosystème » comprenant de plus petites entreprises et des laboratoires publics de recherche pour se développer ; pôles de compétitivité rassemblant des laboratoires publics et des PME autour de  grands groupes industriels ; et surtout la formidable niche fiscale (4 à 5 G€ par an) que constitue aujourd’hui le crédit d’impôt recherche (CIR) dont les grands groupes – au premier rang desquels les banques et assurances – et leurs filiales souvent créées à cet effet sont les principaux bénéficiaires, sans qu’à aucun moment une évaluation qualitative n’en soit effectuée, ni que la masse de la R&D privée développée en France n’en soit statistiquement augmentée.

Nous avons donc besoin d’une autre politique de l’innovation, bien plus sélective, moins coûteuse pour les budgets de l’État et des collectivités publiques. Elle devra se concentrer sur les PME, TPE et projets individuels et permettre l’émergence d’activités et d’entreprises innovantes dans les secteurs économiques du futur. Toute approche écologiste d’une politique de l’innovation s’accompagne nécessairement d’une réflexion approfondie sur les processus qui font passer les innovations technologiques des étapes du concept et de l’expérimentation à la mise à disposition (ou à l’imposition) du public ou à l’introduction sur le marché. A côté des intérêts financiers et/ou politiques habituellement seuls à l’œuvre, la question doit être enfin posée de la façon dont pourrait s’exprimer un avis citoyen sur l’intérêt des innovations proposées.

Sur le CIR lui-même, la réponse est simple : je réviserai profondément son mode de calcul, en le plafonnant au niveau des groupes, introduirai une réelle obligation de recrutement de docteurs, et le modulerai en fonction de l’intérêt social et environnemental des projets développés. Pour privilégier les innovations socialement utiles, des mécanismes nouveaux seront à explorer. Des appels à candidatures seront lancés vers les entreprises afin qu’elles orientent leurs efforts de recherche vers l’atteinte d’objectifs contractuellement définis : les entreprises retenues à concourir seraient dédommageables de leurs dépenses en fonction et après contrôle des moyens réellement investis, les plus performantes recevant des prix dont l’importance pourrait dépendre du régime juridique adopté par l’entreprise en matière de protection ou de mise en biens communs des résultats obtenus.

 

VI – Allez-vous poursuivre les recherches sur des réacteurs nucléaires de Génération IV, maintiendrez-vous ou stopperez-vous le programme Astrid (réacteur de démonstration a neutrons rapides du CEA) ?

Le sigle Génération IV a servi à entretenir le mythe de réacteurs nucléaires sûrs et ne produisant plus, ou pratiquement plus, de déchets. Les écologistes n’ont jamais été abusés par cette opération de communication techno-scientifique, pas davantage qu’ils ne croient au mythe du « soleil en boîte » des réacteurs de fusion : si certains réacteurs de Génération IV pourraient peut-être réduire la tension sur les ressources naturelles en uranium, c’est au prix d’une complexité, et donc d’un coût et d’un risque de défaillance, largement accrus, et de la manipulation à bien plus  grande échelle qu’aujourd’hui de substances hautement radio-toxiques, tout cela sans rien régler de la question des déchets. Astrid est exemplaire de cette tromperie : il ne s’agit ni plus ni moins que d’une resucée de Superphénix, accompagnée de la renaissance de l’industrie du plutonium. Je mettrai un terme à ce programme, orienterai la R&D nucléaire vers la création d’une filière d’excellence en matière de démantèlement et de gestion des déchets, et ferait du CEAEA un véritable Commissariat aux Énergies Avancées qui se tournera de plus en plus vers les énergies réellement renouvelables et l’efficacité énergétique.

 

VII – Comment rendre plus efficace le soutien public dont l’innovation a besoin ? Considérez-vous qu’il faille réorienter la recherche publique vers les besoins de l’économie et des entreprises ?

La recherche publique n’a pas vocation à être mise au service de l’économie : sa mission première est l’exploration des frontières de la connaissance. Des collaborations, sur la base de partenariats équilibrés, sont bien évidemment souhaitables ; et s’il importe de faciliter le passage des découvertes vers les applications, c’est en restant dans le cadre du principe constitutionnel de précaution, donc en veillant à ce que toute industrialisation et mise sur le marché soit assortie de garanties objectives sur l’innocuité environnementale et sociétale des produits (la question de l’innocuité sociétale se pose par exemple pour les aspects de vie privée liés à la banalisation des nanotechnologies).

Pour les écologistes, le lien entre recherche et innovation ne passe pas par le rapprochement forcé des structures, comme tente de le mettre en place le gouvernement avec la politique dite de « clusters » dont le plateau de Saclay est l’archétype. L’exemple de la Silicon Valley est d’ailleurs éloquent : une dynamique endogène s’y est développée entre jeunes industriels et scientifiques ayant fréquenté les mêmes bancs universitaires, alimentant une culture et des réseaux partagés entre chercheurs et monde entrepreneurial. Le gouvernement américain a su accompagner cette dynamique ; il n’aurait jamais pu la créer de toutes pièces comme on prétend le faire aujourd’hui en France. Ce dont la France a besoin, ce n’est pas de politiques déplaçant universités et industries sur un plateau, mais de faire entrer des cadres formés par la recherche à la tête de nos entreprises (et des décideurs politiques) pour encourager la créativité, le désir d’innover et celui de développer de nouvelles entreprises.

 

VIII – L’innovation doit aussi être sociale et d’organisation, comment la favoriser par une politique publique 1′accompagnant jusqu’à son déploiement ?

A mes yeux, l’important est de libérer la créativité des individus qui est sans bornes pour peu qu’on ne la réprime pas. C’est en grande partie une question culturelle et qui dit culture dit aussi éducation. L’éducation doit dès le plus jeune âge encourager la prise d’initiatives et non le conformisme et le formatage. Au-delà de l’initiative individuelle, il y a la puissance de l’intelligence partagée, de la contribution participative. Que les projets soient à but lucratif ou non, mobiliser les citoyens pour qu’ils s’impliquent dans tel ou tel sujet qui les passionne et les motive est une source renouvelable d’innovations de toutes sortes. Celles-ci peuvent se concrétiser au niveau le plus local comme avec l’appropriation et l’utilisation des données publiques qu’il faut absolument rendre facilement réutilisables par le plus grand nombre : c’est la responsabilité des collectivités locales comme de l’État décentralisé. Mais c’est également vrai des niveaux national et européen. De ce point de vue, la France doit faire preuve de volontarisme pour que ce que certaines collectivités réussissent à mettre en œuvre puisse « passer à l’échelle ». Il faut s’inspirer de ce qui a montré son efficacité ailleurs comme il faut donner à voir les expériences réussies ici en terme d’innovation sociale. Je pense par exemple à des villes comme Brest, Mouans-Sartoux dans le sud ou Loos-en-Gohelle dans le nord, où des élus écologistes font la preuve de ce que l’innovation socialement utile est de leur côté. Chaque territoire a ses enjeux et ses potentialités. L’expérimentation doit être non seulement encouragée mais facilitée, y compris par des crédits spécifiques qui peuvent provenir de fonds régionaux, nationaux ou européens. Les citoyens doivent dans tous les cas être au centre des préoccupations et de la mise en mouvement, faute de quoi l’innovation socialement utile que nous appelons de nos vœux ne pourra se faire.

 

IX – La société s’est interrogée sur la pertinence de la mise en œuvre d’innovations comportant des risques controversés. Quelle sera votre politique concernant les domaines controversés des OGM, des nanotechnologies, de la biologie de synthèse ? Comment la France pourra-t-elle garder l’expertise scientifique et le poids nécessaire pour défendre ses points de vue ?

Je défends l’application stricte du principe de précaution : toute mise sur le marché de produits doit être précédée d’une démonstration contradictoire de leurs impacts possibles. Cette politique n’est pas obscurantiste, comme certains se plaisent à le répéter : elle est au contraire formidablement génératrice de connaissances et de science. Tous les champs de la connaissance ont vocation à être explorés, et je m’engage à veiller jalousement à garantir l’indépendance des chercheurs, car la recherche, les universités, comme la justice, sont des lieux très importants de contre-pouvoirs. Ce sont des lieux de défense des fondements d’une démocratie. Les juges, les étudiants, les jeunes, les chercheurs, les artistes doivent pouvoir faire preuve d’impertinence, inventer et ré-inventer, critiquer. Cela concerne tous les champs du savoir,  des économistes qui doivent s’écarter des chemins orthodoxes pour comprendre la crise aux lanceurs d’alerte dont le rôle a été tellement important, crucial même pour mettre dans le débat public des interrogations fondamentales (Gilles-Eric Seralini, André Cicolella, Rachel Carson, pour n’en citer que quelques-uns : grâce à eux sont sortis des analyses contradictoires, gênantes, sur l’amiante, l’éther glycol, les OGM ou l’état de l’environnement).

Au-delà de ces principes, il nous faut inventer une véritable démocratie scientifique, qui donne la parole à des citoyens qui sont aujourd’hui bien formés, cultivés, désireux de s’exprimer et parfois même de contribuer à l’évolution des sciences et des techniques. Je souhaite mettre en débat les grands choix scientifiques et techniques, avec des mécanismes participatifs divers dont les conférences de citoyens sont un exemple. Les futures évolutions de la bioéthique devront impérativement se faire dans le cadre d’un véritable dialogue avec la société, de même que des sujets à soutenir plus particulièrement peuvent être déterminés de manière ouverte et démocratique.

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