Tunisie : un an après la Révolution de Jasmin

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Le 14 janvier 2011, Ben Ali quittait le pouvoir en Tunisie après un mois de soulèvement populaire. Un an après la Révolution de Jasmin, quelle est la situation politique dans le pays ? Comment l’Union européenne peut-elle agir pour aider les citoyens tunisiens et accompagner le pays dans sa transition démocratique ? Interview d’Hélène Flautre, eurodéputée EELV, investie dans le soutien aux démocrates tunisiens depuis plus de dix ans.

Un an après la révolution et la fuite de Ben Ali, quel est votre sentiment sur la situation politique en Tunisie ?

Je me suis passionnée pour ce pays depuis 1999. Je m’y suis rendue plusieurs dizaines de fois. Soit dans le cadre institutionnel du Parlement européen, soit au nom du groupes des eurodéputés Verts/ALE afin d’apporter notre soutien à des opposants persécutés par le régime de Ben Ali. Aujourd’hui, du point de vue des libertés, les choses ont largement changé. Les Tunisiens n’ont plus peur de donner leur avis sur les sujets politiques et d’ailleurs ils ne s’en privent pas ! Pour autant, dans ce domaine comme dans d’autres, la révolution est loin d’être achevée. Ainsi et même si c’est à l’agenda du gouvernement provisoire, la réforme du tout puissant Ministère de l’intérieur reste à faire. Elle fait figure d’urgence démocratique dans un pays qui a subi 24 ans de dictature avec la police comme bras armé.

Aujourd’hui encore, les écologistes continuent de dénoncer, grâce notamment à des résolutions votées au Parlement européen, les cas de personnes maltraitées par les forces de l’ordre. La réforme de la justice ou la mise en place d’un pole anti-corruption sont également des priorités, comme la formation des journalistes permettant une liberté de la presse effective. On sent que sans une volonté politique de fer, il va être difficile de faire changer les choses de manière efficace, c’est à dire d’impulser une culture de la démocratie dans tous les services de l’Etat, par exemple en rendant la petite ou la grande corruption hors la loi dans les faits.

Justement, pensez-vous que la troïka au pouvoir a cette volonté ?

Composée des trois partis – Enhada, CPR et Ettakatol – cette troïka gouvernementale sait qu’elle doit obtenir des résultats sans attendre, que ce soit en terme de lutte contre la corruption, de construction de l’Etat de droit ou dans le domaine social. Le chômage hante les familles tunisiennes et une population qui vit à 10 dinars (5 euros) près n’est pas spécialement patiente et c’est bien normal. Aujourd’hui, les répercussions de la révolution se font encore largement sentir dans le secteur du tourisme et la guerre en Libye n’a pas épargné les quelques 200 000 Tunisiens employés en Libye avant la révolution libyenne.

Enfin, il y a en ce moment en Tunisie des centaines de projets, notamment portés par des femmes, qui attendent un coup de pouce via un micro-crédit pour commencer à créer de la richesse. Il est d’ailleurs intéressant de noter que nombre de ces projets concernent des activités qui touchent à l’agriculture biologique. La Commission européenne travaille actuellement afin d’aider à la mise en place de ces micro-crédits. Le problème des institutions tunisiennes gouvernementales ou législatives, c’est qu’elles doivent mener tous les chantiers de front : les questions sociales, l’emploi, les libertés, le débat sur la constitution…

Que pensez-vous du compromis politique passé entre une partie de la gauche (le CPR et les socialistes d’Ettakatol) et le parti Ennahda pour la formation du gouvernement ?

Il est vrai que le résultat des élections du mois d’octobre 2011, qui ont placé le parti islamiste en tête, a désarçonné tant à l’intérieur qu’à l’extérieur du pays. Dans une moindre mesure, le bon score du CPR de Moncef Marzouki, devenu depuis Président de la République, a également été une surprise. Ce que chacun peut noter depuis quelques semaines, c’est que le parti Ennahda, et ses représentants gouvernementaux ou parlementaires, lancent des ballons d’essai qui suscitent, fort heureusement, une grande mobilisation de l’opposition mais aussi de la société civile. Ainsi, le Premier ministre qui entendait nommer des directeurs de médias a été contraint de reculer devant le tollé engendré par cette annonce. De la même manière, ses déclarations sur le sixième califat ont reçu un accueil très hostile.

On le sent, le principal écueil pour ce compromis serait la tentation hégémonique d’Ennahda. Il est en effet crucial que ne se recrée pas un « Parti-Etat » à l’image du RCD de Ben Ali. Je pense que les partenaires gouvernementaux d’Ennahda, le CPR et les socio-démocrates, ont conscience de ce risque et que l’opposition, notamment à l’Assemblée constituante, se chargera de le leur rappeler.

Enfin, j’ai le sentiment que la société civile et l’opposition s’organisent, chacun à leur place, afin d’exercer une vigilance citoyenne et en s’implantant dans l’ensemble du pays. Ce qui me donne confiance en l’avenir, c’est cette vivacité de la société civile qui a décidé d’aller de l’avant en débattant, en créant, en proposant. Hier comme aujourd’hui, tous les démocrates en Tunisie peuvent compter sur notre soutien indéfectible et bien sûr, sur notre vigilance.

Quels sont les liens qui existent entre le Parlement européen et l’Assemblée constituante ? Et plus généralement, quel est le rôle de l’Union européenne en Tunisie ?

L’Assemblée constituante vient de se mettre au travail. Les parlementaires doivent d’abord se pencher sur leur fonctionnement interne. C’est une grande étape dans la mise en place d’un système démocratique et je pense que le Parlement européen a un rôle d’accompagnement à jouer dans ce domaine. J’ai rencontré récemment de nombreux élu-e-s tunisiens très intéressés par le fonctionnement de l’Assemblée européenne, notamment dans la dimension de la recherche permanente d’une majorité qui évite bien des affrontements stériles.

Ce dialogue doit être renforcé afin d’amener une aide concrète à nos collègues parlementaires. En terme de relation institutionnelle, il existe, depuis 1995, une Assemblée parlementaire euro-méditerranéenne. Elle réunit des parlementaires nationaux et européens des deux côtés de la Méditerranée. C’est la première fois que l’Assemblée « Euromed » va travailler avec des parlementaires tunisiens qui représentent la pluralité du paysage politique du pays et pas juste avec des VRP du « benalisme en marche » : les débats promettent d’être passionnants.

D’une manière générale, l’Union européenne est liée avec la Tunisie par un accord d’association. Ce texte, signé également en 1995, pose les bases des relations économiques, sociales et culturelles entre les deux parties. Il est renforcé par un programme d’action national dans le cadre de la politique de voisinage de l’Union européenne. Ce dispositif est aujourd’hui en cours de négociation. C’est un enjeu capital car, en fonction de ses orientations, il permettra ou non de changer radicalement les relations entre l’UE et la Tunisie.

La négociation sur les relations migratoires entre la Tunisie et l’Europe est de ce point de vue emblématique. Nous plaidons par exemple pour une orientation des fonds budgétaires en fonction des besoins réels du pays et du peuple tunisien, notamment en rendant accessibles les moyens de financements européens aux projets de la société civile qui poussent à la création de richesse, mais également à la consolidation de la démocratie. A deux heures et demi de Bruxelles, la Tunisie peut devenir le laboratoire de la nouvelle politique de voisinage de l’Union européenne.

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