Projet de loi de finances rectificative pour 2011
Intervention du sénateur EELV Jean-Vincent Placé
Madame/Monsieur la/le Président(e), Madame/Monsieur la/le Ministre, Madame la rapporteure générale, Monsieur le Président de la Commission, chers collègues,
Le dernier devait être l’ultime. Mais les habitudes s’installent, et voici donc que vient à nous le quatrième collectif budgétaire pour l’année 2011. Si j’ai bien tout compris, alors que le Parlement n’a pas encore voté la loi de finances pour 2012, le Gouvernement nous propose, dans ce rectificatif du budget 2011, de redresser le futur budget 2012…
L’enchevêtrement de ces textes, et l’imbrication de leurs lectures, installent un sentiment de confusion, pour ne pas dire d’impréparation. Certes, on en conviendra, la conjoncture financière n’est pas des plus paisibles. Mais enfin, si le Gouvernement se trouve contraint d’empiler les textes à ce rythme, c’est tout simplement parce que ses hypothèses de croissance sont systématiquement, et donc délibérément, surévaluées !
En septembre, alors que vous présentiez un budget fondé sur une croissance de 1,75%, déjà accompagné d’un premier plan de rigueur, le consensus des prévisions s’établissait autour de 1%.
Par exemple, le budget alternatif que les écologistes ont exposé le 4 octobre devant la presse reposait sur une croissance de 0,8%, qui se situe encore aujourd’hui dans la fourchette des prévisions… L’hypothèse de 1% à laquelle, pour votre part, vous vous ajustez aujourd’hui est, en revanche, cette fois encore un peu trop optimiste…
Tout à sa course folle derrière une note, que nous avons d’ailleurs déjà virtuellement perdue, le Gouvernement échoue ainsi à conserver un cap à une politique qui n’aura pas résisté longtemps à l’épreuve des faits.
M. Sarkozy s’était engagé à diminuer les impôts : les prélèvements obligatoires, sous son quinquennat, ont déjà augmenté de plus de 20 milliards ! Il prétendait cibler sa politique budgétaire sur les économies plutôt que sur les recettes : la dépense publique, représentant 56,6% du PIB, atteint aujourd’hui un niveau record ! Il propose une règle d’or, censée assurer la vertu budgétaire : c’est sous son quinquennat que la dette a explosé, à coup de libéralités accordées aux plus riches !
Les demi-mesures contenues dans ce PLFR témoignent de ces contradictions : plutôt que de diminuer les dépenses, comme vous vous plaisez à l’afficher, ce sont bel et bien des augmentations d’impôts, auxquelles vous procédez, mais sans aller au bout de leur logique !
Vous augmentez le taux de l’impôt sur les grandes sociétés, mais vous oubliez que la plupart d’entre elles échappent en fait méthodiquement à son assiette. Vous augmentez le taux du prélèvement forfaitaire libératoire sur les intérêts et les dividendes, sans pour autant aller jusqu’à intégrer ces revenus dans le barème de l’impôt progressif. Vous gelez indistinctement ce barème, faisant ainsi porter l’effort par tous, plutôt que d’y ajouter une tranche supérieure pour les plus hauts revenus. Vous sacrifiez, enfin, à une augmentation partielle de la TVA, prélèvement injuste entre tous, qui frappe chacun indépendamment de sa capacité contributive.
Cette politique d’austérité, que vous préconisez pensant rassurer les marchés, n’est pas seulement injuste. C’est avant tout une erreur. Vous considérez que les politiques sociales et la redistribution sont des luxes de pays riches, des freins à l’économie, à l’investissement, à la sacro-sainte croissance…
En réalité, que constate-t-on ? Comme le démontre un récent rapport de l’Organisation Internationale du Travail, les profits, ces dernières années, n’ont cessé de croître, et ils ont été accaparés par le capital, au détriment des salaires et de l’investissement. Les baisses d’impôts des néo-libéraux n’auront donc essentiellement servi qu’à alimenter la spéculation des marchés et à renforcer la précarité des salariés.
Or c’est la conjugaison de ces deux phénomènes qui est à l’origine de la crise ! Certes, les marchés ont été par trop dérégulés, mais cette crise n’est pas que financière, c’est aussi une crise de la répartition des richesses. C’est parce que des travailleurs américains ont été contraints de s’endetter plus que de raison, qu’est survenue la crise des subprimes.
En Europe, les déficits structurels des pays montrés du doigt ne sont que la contrepartie des excédents structurels de pays comme l’Allemagne. Or c’est parce qu’elle affiche des salaires très bas par rapport à sa productivité, et recèle de grandes inégalités sociales, que l’Allemagne est à même de dégager de telles marges. Une politique de sortie de crise ne pourra pas faire l’économie d’un meilleur partage de la valeur ajoutée entre travail, investissements et dividendes.
L’autre déterminant, totalement ignoré, de cette crise, c’est bien sûr la crise écologique. Alors que s’achève la conférence de Durban, éclipsée par la conjoncture financière, on apprend que les émissions de dioxyde de carbone, loin de s’être stabilisées comme on avait pu le croire un temps, ont atteint en 2010 le niveau inégalé de 9,1 milliards de tonnes.
La fonte des glaciers non seulement se poursuit mais s’accélère, les épisodes cycloniques se multiplient dans les zones tropicales, la France a connu en 2011 des records de sécheresse qui ont provoqué des pénuries de fourrage. Le climat est sur une trajectoire de réchauffement de 3,5 degrés, alors que la communauté internationale avait fixé le plafond à ne pas dépasser à 2 degrés.
L’empreinte écologique mondiale est aujourd’hui de l’ordre de 1,3. Cela signifie que chaque année l’humanité consomme en ressources naturelles l’équivalent d’environ une planète un tiers. Concrètement, cette année, c’est le 27 septembre que nous avons achevé de consommer les ressources que notre environnement est à même de produire en une année sans compromettre leur renouvellement. Depuis cette date et jusqu’au 31 décembre, nous vivons à crédit écologique.
Alors, certes, il n’est venu à l’idée d’aucune agence de notation d’en tenir rigueur aux Etats des pays écologiquement les plus dispendieux. Et pourtant… Ce déficit est autrement plus grave que le déficit budgétaire ! La dette financière reste une abstraction, avec laquelle l’homme peut composer. Notre climat, nos aliments, notre santé environnementale, tout cela ne se restructure pas.
Comme la crise sociale, la crise écologique est un soubassement de la crise financière. Lorsque dans les années 70, les néo-libéraux ont cru bon de financer par l’endettement la création de valeur qu’ils accaparaient ensuite au profit d’une minorité, on a vu croître dans un même mouvement les dettes des Etats et la consommation des énergies fossiles. Les courbes se superposent !
Aujourd’hui, les matières premières, et notamment les matières agricoles, deviennent les dernières valeurs refuges de marchés déboussolés, causant parfois de grandes tensions financières sur des produits essentiels à la survie des populations. Même en France, on a vu ces dernières années le prix du pain considérablement augmenter.
Répondre à la crise écologique et restaurer une justice sociale sont des conditions absolument nécessaires à une sortie de crise. Malheureusement, votre politique, Madame/Monsieur la/le Ministre, ne va pas dans ce sens. Vous tenez les considérations sociales et écologiques pour des suppléments d’âme.
Vous devriez plutôt y voir les limites intrinsèques du modèle libéral-productiviste que vous défendez sans discernement, alors qu’il est de toute façon condamné à se désagréger rapidement. Quoi qu’il en soit, votre politique d’austérité, fût-elle européenne, ne le sauvera pas, mais sa chute risque en revanche d’être dramatique pour les peuples.
A Europe Ecologie-Les Verts, nous avons depuis longtemps compris que la solution sera nécessairement européenne. Mais ce n’est pas celle que vous préconisez ! Votre Europe ne porte que sur la discipline budgétaire et vous nous proposez une concertation inter-gouvernementale comme horizon indépassable de la démocratie !
Les écologistes appellent de leurs vœux des institutions véritablement démocratiques, élues au suffrage universel européen, et tiennent pour inéluctable le cheminement une plus grande intégration économique. Elle devrait reposer sur :
- Une mutualisation des dettes et l’émission d’obligations européennes,
- Une gestion concertée des divergences macro-économiques (les pays vertueux n’étant pas toujours ceux que l’on croit, je parlais de l’Allemagne tout à l’heure),
- Une harmonisation fiscale reposant sur la majorité qualifiée,
- Et enfin, un budget fédéral bénéficiant de ressources propres pour entamer, à l’échelle européenne, la reconversion écologique de l’économie.
Malgré la gravité de la situation, des chemins existent donc, à la fois démocratiques et soutenables. Les écologistes ne vous suivront donc pas, Madame/Monsieur la/le Ministre, sur celui de l’austérité.
Ne vous laissez pas obnubiler par le AAA des agences de notation. Souvenez-vous plutôt de celui de Danton : « De l’audace, encore de l’audace, toujours de l’audace ! »
Belle intervention bien équilibrée. J’inviterais cependant Jean-Vincent Placé (ainsi que l’ensemble des responsables d’EELV) à penser à bien se démarquer de tout amalgame avec des propos tenus par d’autres sur l’Allemagne. Il est essentiel, pour qu’il n’y ait aucune confusion possible avec les dérapages cocardiers ou les tentations populistes xénophobes, d’exercer une claire distinction entre le peuple allemand et la direction conservatrice CDU-FDP bloquée sur ses idées fixes au service du capitalisme libéral. Je reviens de Berlin et je peux témoigner qu’en matière de vie quotidienne, d’organisation des transports, de gestion des déchets, de respect des minorités et, d’une manière générale, de qualité dans les relations humaines, la culture allemande a des atouts qui n’ont rien à voir avec les profits de Volkswagen ou de Siemens…
cordialement,
Didier Crico
Lyon