Chantier 4 : Démocratie
Chantier 4 – Démocratie
5.4.1 Note générale sur le chantier démocratie
1. Avertissement: la présente note n’a pas pour objet de formuler des éléments programmatiques, mais de poser les problématiques et le périmètre du chantier démocratie dans la perspective des journées d’été de Nantes. Dans le calendrier politique qui nous conduira jusqu’en 2012, il sera tout aussi important de définir notre idéal que d’arrêter un socle de propositions fortes qui devront constituer l’ossature d’un accord programmatique avec le reste de la gauche.
2. Le constat Notre pays vit une crise grave de son histoire démocratique. Les institutions de la V république nées dans le contexte de la décolonisation, dont le présidentialisme a été ensuite renforcé par le général de Gaulle, ne correspondent plus aux aspirations et aux exigences de la société française à l’heure de la mondialisation. L’inversion du calendrier électoral souhaitée par Lionel Jospin en 2001 a fini d’assujettir le parlement au pouvoir exécutif. L’hyper présidence de Sarkozy a renforcé cette situation en réduisant encore le rôle des contre-pouvoirs, institutionnels comme médiatiques (nomination du Président de France télévisions). Le Parlement fonctionne mal handicapé par la pratique du cumul des mandats. Il se contente d’entériner des projets de loi rédigés dans les cabinets ministériels. La crise de la représentation politique est forte ; la sociologie des élus de la République est très éloignée de celle de l’image de la société. L’abstention et la présence de l’extrême droite sont les symptômes les plus évidents de ce désenchantement civique et de ce que certains qualifient déjà de « démocratie d’abstention ».
À l’échelle locale, l’actuelle réforme territoriale marque un coup d’arrêt au mouvement de décentralisation initié par les lois de 1982/1983, poursuivi par les lois Raffarin de 2004. Le mode d’élection du futur conseiller territorial est un recul pour la parité. La confusion est renforcée entre le conseil général maintenu et l’échelon régional affaibli. Les intercommunalités qui concentrent les compétences de la vie quotidienne font l’impasse sur la démocratie; leurs représentant/es ne sont pas élu/es au suffrage universel direct.
Quant à l’évaluation des politiques publiques, elle reste très faible, à l’image de celle des contrepouvoirs dans un pays marqué par le jacobinisme. A titre d’exemple, le rapport de Dominique Dron en 2000 sur l’évaluation de la politique agricole en terme d’environnement est resté lettre morte. Le conseil économique, social et environnemental, au niveau national comme dans les régions, ressemble trop souvent à une juxtaposition de lobbies.
Quatre chantiers pour les JDE de Nantes : Vers la 6ème République
1. Vers un régime parlementaire et fédéral
Les écologistes ont toujours été hostiles à la personnalisation du pouvoir, une 6ème république doit consacrer une France fédérale et girondine qui reconnaisse le rôle des régions et restaure les pouvoirs du Parlement, avec un gouvernement issu de la majorité parlementaire. L’instauration de la proportionnelle doit garantir la représentation de toutes les sensibilités politiques et la parité. Le sénat doit se transformer en chambre des régions. Cette réflexion sur le régime parlementaire, doit s’accompagner d’un renforcement des pouvoirs du Parlement européen dans le cadre d’une Europe elle aussi fédérale.
2. Une révolution démocratique des pouvoirs locaux
Les écologistes font de l’Europe et de la Région des niveaux pertinents. La nouvelle architecture des pouvoirs locaux doit être une nouvelle étape de la décentralisation en veillant à donner à chaque échelon une autonomie fiscale. Quel est l’avenir du département? Son échelle territoriale semble obsolète mais c’est aujourd’hui la collectivité locale qui assume des dépenses sociales essentielles pour les plus fragiles. On peut imaginer un schéma de maintien de l’échelon de base qu’est la commune, l’élection au suffrage universel des intercommunalités qui deviennent collectivités à part entière, la disparition des conseils généraux et le renforcement du pouvoir régional. Cette nouvelle architecture des pouvoirs locaux devra s’accompagner d’une réflexion sur le rôle et les compétences de l’Etat garant de la cohésion sociale. Ce scénario doit être organisé dans le temps, s’accompagner d’une attention particulière portée à la place des dépenses sociales et à l’égalité des chances et être appuyée par une réforme du statut de l’élu. La promesse du droit de vote des résident/es étrangers doit devenir réalité.
3. Faire vivre les contre-pouvoirs
Les contre pouvoirs se sont à la fois les contre pouvoirs institutionnels à un exécutif omniprésent et les contre-pouvoirs qui se structurent au sein de la société, médias et mobilisations citoyennes (on peut penser au rôle de RESF en matière d’immigration..). Au rang des contre-pouvoirs institutionnels figurent évidemment l’organisation d’une justice indépendante (y compris en ce qui concerne les juges des comptes), un rééquilibrage des responsabilités législatives entre pouvoir exécutif et parlementaire et une obligation de transparence renforcée concernant l’exécutif (les affaires récentes illustrent la nécessité d’une définition de ce qu’on entend par exemplarité du pouvoir, charte éthique concernant l’exécutif, etc.)
Le rôle des autorités indépendantes et la réalité de leur indépendance ( en comparaison avec les exemples étrangers) est essentiel. La régression observée sur la HALDE, la faiblesse des moyens accordés à la CNIL au moment de la généralisation des technologies sans contact et des réseaux sociaux mettent à mal le droit à l’oubli, les conditions de la nomination du contrôleur général des lieux de privation de liberté et là aussi son absence de moyen d’inspection sont significatives d’un Etat qui bafoue et rogne les moyens et les missions des institutions et organismes qui protègent les droits des citoyens. Le rôle des médias alternatifs (Médiapart) pour donner aux mobilisations citoyennes une ampleur plus forte, les liens qui peuvent s’établir entre citoyen/nes et représentant/es élu/es au niveau national ou européen sont également un point important de la réflexion sur les contre-pouvoirs.
L’hyperprésidence actuelle a en effet suscité le désir de contre-pouvoirs y compris au sein du Parlement. Il reste à faire le lien entre ces aspirations à une démocratie pour tous et toutes.
4. Redonner une perspective à la citoyenneté
Aujourd’hui c’est dans les quartiers les plus frappés par la précarité, et l’absence d’accès aux droits que le niveau d’abstention est le plus élevé. C’est l’un des symptômes les plus marquants de la crise démocratique que nous vivons. Restaurer le principe d’égalité sur l’ensemble du territoire français, redonner aux habitants des quartiers la considération que mérite tout citoyen, reconnaître leur créativité et leurs initiatives mais aussi restaurer des services publics dignes de ce nom, sont quelques-unes des conditions nécessaires à un retour de la confiance démocratique.
Nous ne pouvons-nous projeter que dans une perspective démocratique européenne et mondiale. Les relations entre Français et étrangers, l’accès à la citoyenneté française, la définition d’une citoyenneté qui représente pour les jeunes générations un horizon pertinent et suscite leur désir d’engagement est essentiel.
5.4.2 L’écologie pour résoudre la fracture urbaine : diversité et biodiversité
Contexte : la « France d’en bas » au centre des mouvements sociaux et électoraux
Il est à craindre que la fenêtre de tir favorable à l’écologie qui s’était ouverte au milieu de la décennie (Rapport Stern, GIEC, films de Al Gore et consorts, Pacte de N. Hulot, Grenelle de l’Environnement, etc…) se referme prochainement pour cause de crise, d’austérité et de repli identitaire (voire de grandes peurs plus ou moins apocalyptiques dans lesquelles l’écologie est malgré elle plus ou moins partie prenante). Cela rappellerait le précédent des années 60-70 qui avaient vu l’émergence et l’écho formidable alors rencontré par ces thématiques, précédent qui s’était clôt par la crise pétrolière, le chômage de masse, l’affaissement de la classe ouvrière et le retour du libéralisme comme force hégémonique.
Nous sommes en train de sortir de cette séquence, et il n’est pas à exclure que, reflux des acquis socio- démocrates et de l’Etat-Providence aidant, nous connaissions un scénario qui nous rapproche cette fois plutôt des années 20-30. Dans ce contexte, il est fort à parier que « les banlieues », « la jeunesse », « l’islam », « la sécurité », « l’identité » soient des thèmes structurants lors des élections à venir. Y compris lorsque le bilan du Président sur un certain nombre de ces thèmes est catastrophique. Mais n’oublions pas qu’il l’était déjà en 2007, et que cela ne l’a pas empêché de remporter les élections en capitalisant sur eux. C’est que la société française est profondément troublée par ces questions, et pas seulement par la communication qui en est faite. Et que les autres thématiques peinent à émerger, faute de leaders crédibles, que cela soit sur la crise sociale (effondrement de la société industrielle et du travail comme norme socialement structurante, et conséquemment des forces qui historiquement portaient ces combats), ou sur le crise environnementale (comprise par tous, mais portée par des forces qui sociologiquement apparaissent aux couches populaires et moyennes/basses comme des « bobos » construisant un monde vert sur leur dos). Or, rappelons que 1995 avait été gagnée sur le thème de la « fracture sociale », 2002 sur la « sécurité », 2005 (référendum) contre le « plombier polonais », et 2007, notamment suite aux émeutes de 2005, aussi sur la sécurité (et le « travailler plus… »). A chaque fois, les couches populaires ont été au centre de ces élections, soit qu’elles étaient draguées par la droite, soit qu’elles s’abstenaient de voter à gauche. 2012 n’échappera pas à la règle. Dès lors, il convient pour les écologistes de faire émerger des thématiques que les autres forces de gauche ne parviennent pas à valoriser.
Mixité sociale/économique, diversité culturelle et biodiversité environnementale
La France du XXIème siècle est déchirée par une fracture urbaine qui exclut des millions de français du marché du travail, de la culture dominante et d’une qualité de vie minimum. Au cœur de cette fracture, des populations entières sont en voie de ghettoïsation. Ces ghettos sont en train de devenir un abcès de fixation de l’ensemble des crises de la société française (éducation, transports, logement, travail, multiculturalisme…). De facto, ils sont le laboratoire du futur du pays. Soit le laboratoire explose (comme en 2005), soit on y fera des découvertes qui structureront la société à venir. Nous devons miser sur la seconde hypothèse. Dans celle-ci, nous devons proposer une société qui finit par comprendre que nous sortirons de la crise du mode de vie occidental (qui concentre toutes ces fêlures dans ces quartiers populaires) en misant à la fois :
– sur une relocalisation partielle de l’économie autour d’activités économiques de proximité (activités de réparation base d’une économie circulaire), l’action sociale renforcée par le principe d’équité géographique (plus de moyens là où il y a plus de besoins, en particulier dans le logement et les transports pour mettre fin au « zonage », et plus de mixité sociale)
– sur la prise en compte de la diversité culturelle comme faisant à la fois partie de l’identité française (fondement de la tradition écologiste : diversité des cultures régionales, diversité et supranationalité politique européenne, diversité culturelle et métissage/créolisation des « nouveaux Français » considérés comme des outils d’émancipation face à l’aliénation consumériste, diversité des modèles de développement au-delà du seul modèle économique occidental…)
– biodiversité environnementale et transition vers une « écologie de marché local » misant sur la qualité de vie et la richesse des territoires/terroirs.
Ces projets sont à même, ni plus ni moins, d’amorcer une refondation post sociale-démocrate, qui poursuive cette tradition, comme elle-même a poursuivi la tradition révolutionnaire française en complétant ses apports en matière de liberté par la prise en compte de la question de l’égalité. Reste à mettre en œuvre la pièce manquante de ce triptyque : la fraternité. L’écologie peut y pourvoir en explorant comment, en situation de mondialisation de plus en plus féroce (pour cause de raréfaction des ressources), l’humanisme du XXIème siècle devra imaginer une société enfin diverse et qui ne fasse plus planer sur l’universalisme la suspicion de n’être qu’une des figures de l’homme occidental imposée au reste du monde.