Revenir aux sources de la République
Tribune de Cécile Duflot publiée sur Le Monde.fr le 6 septembre 2010
Longtemps, les écologistes se sont défiés de l’utilisation du thème républicain par ceux qui l’avaient préempté. Issus de Mai 68, rébellion sociale et libertaire face à un Etat gaulliste finissant, nous donnions le sentiment d’avoir jeté le bébé avec l’eau du bain. Pour nombre d’entre nous, la République, c’était l’Etat contre la société, la république coloniale, l’écrasement des cultures régionales et les massacres de la Commune. Cette époque-là est révolue. Non pas que nous ne tirions un bilan contrasté de l’histoire de notre République. Mais, dans un monde dominé par un système productiviste et prédateur, nous avons besoin de revenir aux sources du projet républicain pour bâtir notre projet de société, de faire une synthèse, à l’instar de Jaurès, entre la République et l’écologie.
Pour paraphraser le tribun socialiste, l’écologie proclame que la République politique doit aboutir à la République sociale, car notre famille politique apparaît comme seule capable de résoudre la contradiction fondamentale de la société présente entre la finitude de la planète et la démocratie politique. Jaurès évoluait dans le cadre d’une mondialisation marquée par la révolution industrielle. Nous sommes, nous, confrontés à une crise globale, financière et économique mais surtout préemptée par la crise énergétique et climatique qui brise le mythe d’une République universelle se développant harmonieusement grâce au progrès, à la production et à la croissance.
Par contre, ce qui ne change pas, cent ans plus tard, c’est la politique des forces antirépublicaines qui usent toujours des mêmes ficelles : utilisation des boucs émissaires : juifs, Italiens au début du XXe siècle. Roms, Arabes ou Noirs en ce début du XXIe siècle ; stigmatisation des plus pauvres, des « classes dangereuses », restriction des droits démocratiques, attaques contre la presse, soumission au complexe militaro-industriel. Les noms ont changé : Areva, Veolia, Bouygues, Dassault n’existaient pas ; mais l’oligarchie est toujours la même.
Elle n’a que faire de la République et du peuple souverain. Pour ces prédateurs, la liberté est celle de la liberté du renard libre dans le poulailler, l’égalité un principe à combattre, et la fraternité, l’équivalent de la charité. Quant à la laïcité, elle n’a rien à voir avec les tenants de l' »apéro saucisson-pinard » et de l’islamophobie. Elle ne se transforme pas en machine de guerre contre la deuxième religion du pays, l’islam. La laïcité n’est pas l’athéisme mais l’organisation de la cité hors l’emprise de la religion.
Tout le contraire du discours du Latran (en décembre 2007) d’un président qui revient sur la séparation de l’Eglise et de l’Etat, tout en étant obtus face aux évêques de France quand ils lui demandent d’appliquer la doctrine sociale de l’Eglise contre les discriminations.
Notre République n’est pas figée dans le marbre des nationalismes. Elle est européenne et fédéraliste et se nourrit de la pluralité des cultures, des identités, à commencer par la reconnaissance des langues et des cultures régionales. Notre République, celle de Condorcet, de Pascal Paoli ou d’Olympe de Gouges, défend le droit des minorités, parce que, comme disait Camus, la démocratie n’est pas forcément la loi de la majorité, mais toujours la protection de la minorité.
Défendre les valeurs de la République, menacées par la montée des intolérances, est pour les écologistes un combat essentiel. De même que nous défendons la biodiversité, nous n’acceptons pas que la folie des hommes réduise la diversité à l’échelle de la société. Supprimer la diversité, on sait comment cela commence mais on ne sait jamais comment cela finit. Nous sommes pour une République qui rassemble et réconcilie ceux qui ont été divisés par un gouvernement réactionnaire.
Ces dernières semaines, le caractère nauséabond des propos et des pratiques de l’Etat Sarkozy ont déstabilisé la République et son patrimoine : le bien commun, la liberté comme non-domination, la séparation des pouvoirs, l’égalité devant la loi.
En République, les détenteurs du pouvoir sont responsables devant le peuple, pas devant les lobbies, les grandes entreprises ou les amis ou parents du président. Nicolas Sarkozy est en train d’imposer une vision de la République en rupture avec les bases fondamentales de notre démocratie. En cassant les reins aux corps intermédiaires, en bafouant les droits des minorités, en instrumentalisant la loi à son profit exclusif, ce Bonaparte bling-bling abaisse la République et s’attaque au carré magique de la démocratie française : droit de l’homme, modèle social français, exception culturelle, indépendance.
La xénophobie d’Etat, la mise en cause de tous les acquis sociaux depuis 1945, la soumission de la communication aux copains des chaînes privées, la vassalisation par l’OTAN sont les signes que le président n’hésitera pas à brader les valeurs de la République pour sauver son clan et se faire réélire en 2012. Les écologistes ne laisseront pas faire. Nous voulons non seulement conforter les fondements du pacte républicain mais libérer la République de l’emprise des forces qui la transforment en un régime fondé sur la peur, l’autoritarisme et les intérêts privés.
Après le 4 septembre et la mobilisation en défense de la République, c’est au nom des mêmes valeurs que nous défilerons le mardi 7 septembre, ceux d’une République écologiste et solidaire, fidèle aux principes républicains du Conseil national de la Résistance. Appliquons le principe de précaution : il y a des limites à ne pas dépasser pour que notre démocratie ne soit pas contaminée par le virus de l’exclusion et du racisme d’Etat ; elles sont aujourd’hui atteintes.
Cécile Duflot, Secrétaire nationale des Verts