« Vous affaiblissez la France »
Intervention de François de Rugy à l’Assemblée nationale le 8 décembre 2009
Au cours du débat parlementaire sur l’identité nationale, FDR s’est exprimé pour condamner un débat instrumentalisé et électoraliste, convoqué en toute hâte par un ministre qui « à trop vouloir briller, risque de se brûler les ailes ». Il a rappelé l’attachement des écologistes à ce que la République reconnaisse toutes les identités individuelles, et leur donne les moyens de s’épanouir et d’enrichir la communauté nationale.
Monsieur le Président,
Monsieur le Ministre,
Mesdames et Messieurs les députés,
Chers collègues,
Tout a été dit, Monsieur le Ministre, sur votre manœuvre pré-électorale autour de l’identité nationale. Les Français le ressentent d’ailleurs profondément et il y a fort à parier qu’ils vous le renverront en boomerang lors des élections régionales de mars prochain. A trop vouloir briller, on finit par se bruler les ailes, Monsieur le Ministre.
Que les choses soient bien claires : la question de l’identité n’est pas un sujet tabou. Nous sommes même très à l’aise pour en parler. Ce qui nous étonne tout d’abord c’est votre obsession à parler d’identité nationale en reléguant au second plan la République et ses valeurs : liberté, égalité, fraternité.
Auriez-vous un problème avec la liberté ? Sans doute.
Avec l’égalité ? Assurément.
Avec la fraternité ? ce n’est malheureusement même pas la peine d’en parler.
Contrairement à vous, nous ne réduisons pas la question de l’identité à la question de l’identité nationale. Par ailleurs, nous refusons un débat déclenché artificiellement d’en haut, organisé sur ordre par les Préfets.
La réflexion sur l’identité, qui est d’abord une réflexion personnelle de chacun, cette réflexion-là est permanente. qui aurait imaginé qu’elle serait commandée, imposée même par l’Etat et le gouvernement.
L’identité de chacun ne se réduit pas à l’identité nationale. Nous défendons une visions autrement plus complexe qui intègre et respecte l’histoire personnelle, familiale et sociale de chacun. C’est l’honneur de la France que de respecter cette liberté essentielle.
Bien sûr, il y a aussi une dimension collective. La force de la France est aussi de permettre à chaque trajectoire individuelle de participer à une histoire collective, elle-même toujours en perpétuelle construction.
C’est pourquoi nous voulons rapprocher la question de l’identité de celle du sentiment d’appartenance. En France, le sentiment d’appartenance à cette communauté de vie et de destin qu’est la Nation, ce sentiment-là n’est pas exclusif d’autres sentiments d’appartenance : on raille parfois l’esprit de clocher, mais de la commune, parfois même du quartier, au monde, en passant par la région, la France ou l’Europe, les sentiments d’appartenance s’additionnent et s’imbriquent subtilement.
Pour les écologistes, s’il y a bien quelque chose à cultiver, c’est ce sentiment de multi-appartenance, y compris par un apprentissage, en plus de la langue française, de différentes langues, des langues régionales aux langues des pays d’origine, trop souvent ignorées dans notre enseignement.
Quand je disais que ce débat, ce questionnement sur l’identité, doit être permanent, je voulais souligner à quel point il est lié aux différentes décisions ou choix politiques que l’on fait. On ne peut pas monter de toutes pièces un débat sur l’identité nationale sans faire le lien avec les valeurs de la République ou encore les choix politiques sur des sujets aussi essentiels que la solidarité nationale, l’école, la sécurité sociale, les services publics ou bien même et surtout la fiscalité. Oui aujourd’hui, l’école publique, la Poste ou la SNCF sont autant constitutifs de l’identité française que le drapeau bleu, blanc rouge ou la Marseillaise!
A quoi bon parler de l’identité nationale, si on ne fait pas de la cohésion sociale un objectif prioritaire. Il n’y aura pas de cohésion nationale sans cohésion sociale. Il n’y aura pas de cohésion nationale sans cohésion territoriale. Comment parler d’une France une et indivisible quand on a laissé se créer des ghettos, quand on laisse les banlieues et les quartiers en difficultés sans perspectives ?
Comment oser d’identité nationale quand on en est à demander des certificats de nationalité à certains Français qui viennent faire renouveler leur carte d’identité dans les mairies ou les Préfectures ?
Croyez-vous vraiment qu’en érigeant en dogme le bouclier fiscal, on renforce le sentiment d’appartenance à la Nation ? Quel plus terrible symbole que de s’attaquer à l’impôt juste et équitable qui est pourtant à la source de notre République ?
Votre soit-disant débat est un bien triste cache-misère de toutes vos politiques qui vont à l’encontre du pacte social dans lequel se retrouvent la très grande majorité des Français.
La question de l’identité est complexe.
C’est cette complexité qui fait sa richesse.
C’est cette richesse qui fait la force de la France.
En réduisant la question à une manoeuvre politicienne pré-électorale, vous appauvrissez ce qui fait la substance de la France. En un mot, vous l’affaiblissez.