Réforme territoriale : « Nous avons le sentiment de nous être faits duper ».
Intervention de François de Rugy à l’Assemblée nationale le 26 mai 2010
Alors que la réforme territoriale commence à être débattue à l’Assemblée Nationale, François de Rugy s’est longuement exprimé devant ses collègues pour expliquer les raisons qui l’ont poussé à présenter une motion de rejet préalable. Il a par ailleurs dénoncé un texte issu d’une démarche intitale de compromis finalement dénaturé par le Gouvernement.
Madame la présidente, monsieur le ministre de l’intérieur, monsieur le ministre de l’espace rural et de l’aménagement du territoire, monsieur le secrétaire d’État à l’intérieur et aux collectivités territoriales, mes chers collègues, j’interviens avec plaisir dans ce débat car je n’oublie pas que, bien avant d’être député, j’ai été élu local, en l’occurrence conseiller municipal de Nantes pour mon premier mandat, puis adjoint au maire et vice-président de la communauté urbaine de Nantes, et ce dans un contexte intéressant, puisque cette communauté urbaine venait d’être créée. Par ailleurs, je suis libre de toute considération liée au cumul des mandats, lequel, on le sait, est parfois un prisme quelque peu déformant dans ce genre de débat.
S’il est un sujet sur lequel vous ne pourrez pas dire, messieurs les ministres, monsieur le secrétaire d’État, que vous vous êtes heurtés, de la part des écologistes, à une opposition pavlovienne et partisane, c’est bien celui de la réforme des collectivités locales.
Pour préparer cette intervention, et en prélude aux débats qui vont sans doute occuper notre assemblée pendant deux semaines, je me suis replongé dans les notes que j’avais prises à l’occasion des travaux du comité Balladur, lequel avait auditionné tous les partis politiques, notamment une délégation des Verts conduite par Cécile Duflot et dont je faisais partie. Nous étions invités à exprimer notre position, ou plus exactement notre vision de l’organisation politico-administrative du pays, et à exposer les réformes que nous appelions de nos vœux.
De l’avis même des membres de la commission, notre contribution fut cohérente et ambitieuse. Je pense que notre collègue Perben, aujourd’hui rapporteur du texte, s’en souvient, puisqu’il faisait partie du comité Balladur. Cette appréciation était d’ailleurs partagée par des membres de toutes obédiences, si je puis dire, issues du monde universitaire comme du monde politique : je pense notamment à Pierre Mauroy ou à André Vallini, tous deux socialistes. Il faut d’ailleurs noter que Pierre Mauroy s’était déjà vu confier la présidence d’un comité de réflexion et de proposition par Lionel Jospin, alors Premier ministre. Je me souviens également que notre collègue sénatrice Marie-Christine Blandin, qui fut présidente Verte de la région Nord-Pas-de-Calais entre 1992 et 1998, en était membre.
Devant le comité Balladur, nous avions, partageant en cela le diagnostic formulé dans de nombreux rapports sur la nécessaire réforme de nos institutions locales, plaidé pour la clarification et la simplification, dans un même mouvement de décentralisation et de démocratisation de nos collectivités locales. J’insiste sur ces deux termes, démocratisation et décentralisation, car ils sont indissociablement liés : la décentralisation ne peut selon nous s’entendre sans démocratisation ; je reviendrai à ce propos sur la question du mode de scrutin.
Notre analyse n’a pas changé depuis le comité Balladur. Les structures territoriales de notre pays sont caractérisées par une superposition d’échelons aux compétences enchevêtrées. Le système est même devenu illisible ; c’est en tout cas, sans aucun doute, le sentiment de nos concitoyens. Le déficit démocratique est patent, et c’est là le principal problème, l’argument du coût relevant plus, à nos yeux, de l’argument populiste anti-élus, sur lequel tente de s’appuyer le Président de la République pour justifier sa réforme depuis le début.
Le principal problème est donc bien celui de l’illisibilité du système pour nos concitoyens. Or nous sommes convaincus que la démocratie se nourrit d’abord de transparence. Celle-ci suppose une plus grande clarté dans les compétences de chaque niveau de collectivité : l’enchevêtrement des compétences nourrit la dilution des responsabilités, qui est, elle aussi, une entrave à une bonne démocratie.
J’en veux pour preuve un dossier que j’ai bien connu lorsque j’étais chargé des transports à la communauté urbaine de Nantes : le projet de tram-train entre Nantes et Châteaubriant, au nord du département de la Loire-Atlantique, projet pour lequel l’absence d’un pilote clair et unique avait engendré de nombreux retards. Mes collègues lyonnais comprendront, je pense, ce dont je parle, puisqu’un projet de tram-train a aussi vu le jour dans l’agglomération de Lyon. S’agit-il, se demandait-on, d’un transport régional, dont relèvent en principe les trains ? D’un transport urbain, comme le sont les tramways, et relevant à ce titre des compétences de la communauté urbaine ?
S’agissant d’un mode de transport hybride, qui de surcroît franchit les frontières de nos collectivités, ces questions de compétences restaient posées. Chacun souhaitait apporter sa contribution, et trouvait de bonnes raisons pour le faire : la région, puisqu’elle a la compétence pour les trains express régionaux ; le département, puisque, en plus de détenir la compétence relative à l’aménagement du territoire – bien pratique lorsque l’on veut outrepasser ses compétences obligatoires –, il est chargé des cars départementaux, dont les services pouvaient être modifiés par le projet de tram-train ; l’agglomération nantaise, représentée par la communauté urbaine, au titre des transports urbains ; la ville de Nantes et toutes les autres communes traversées par la ligne, puisque celle-ci emportait des conséquences sur l’urbanisme de chacune d’entre elles ; l’État, enfin, indirectement par le biais de Réseau ferré de France et de la SNCF, mais aussi directement, en vertu de ses pouvoirs en matière d’autorisation et de sécurité.
On nous a même expliqué qu’il s’agissait d’une voie ferrée nationale, alors que celle-ci était fermée au trafic – non seulement local, mais aussi national – depuis plus de vingt ans. L’intervention de l’État nous a paru d’autant plus bizarre que les travaux devaient être entièrement financés, ou presque, par les collectivités locales, et que le projet concernait, je le répète, des trams-trains, c’est-à-dire un mode de transport de proximité. Mais c’est ainsi : la législation prévoit que de tels projets s’inscrivent dans le réseau ferré national.
Au total, si j’ai bien compté, nous en étions à sept acteurs au moins pour un seul et même projet. Cette expérience m’a d’ailleurs éclairé sur le rôle particulièrement néfaste, je ne crains pas de le dire, de l’État, lequel n’a jamais cessé de nous imposer des contrôles aussi tatillons que changeants, ce qui en accusait le caractère ubuesque. Si l’État n’apporte plus guère de financements, il a encore un pouvoir d’empêchement.
J’avais alors proposé la création d’un syndicat mixte, afin d’assurer un pilotage unique – car je crois à l’unité de commandement – et un financement clair – car je crois au principe : « qui commande paie ». Non, m’a-t-on répondu, cette solution serait trop compliquée car elle ajouterait un échelon supplémentaire, ce qui par ailleurs était vrai. Mais le résultat, ce sont des années de palabres pour définir le projet et l’équilibre financier. Il aura fallu plus de dix ans entre la décision de principe, c’est-à-dire l’accord des parties prenantes et les premières réunions de comité de pilotage – les fameux « copil » : les services, dans les collectivités, n’ont que ce mot à la bouche ! – et la réalisation concrète. Je note d’ailleurs que la réalisation s’est vraiment enclenchée le jour où le président de la région Pays de la Loire a tapé du poing sur la table et affirmé le pilotage du projet par sa collectivité.
Cet exemple est en fait à l’image de milliers d’autres projets, qui font la réalité quotidienne des élus locaux, donc des citoyens. Oui, la multiplication des strates entraîne l’allongement des délais de réalisation, donc, même si c’est à la marge, des coûts de coordination plus élevés.
Trop souvent, les affaires publiques ne sont pas gérées à la bonne échelle. Oui, nos concitoyens sont souvent perdus dans l’interpénétration des compétences des différents échelons territoriaux, confusion qui est une source de désintérêt, et finalement d’abstention lors des consultations électorales.
Reconnaissons, mes chers collègues, que le système incite à cette dispersion et à cette dilution des responsabilités. Combien de fois les élus locaux n’incitent-ils pas eux-mêmes certaines associations à frapper à la porte d’autres collectivités pour boucler le budget de tel ou tel projet ? Si une telle démarche peut donner l’illusion à ces associations – ou d’ailleurs aux collectivités elles-mêmes – qu’elles disposeront de plus de moyens, celles-ci connaissent aussi le coût du temps perdu dans cette véritable chasse aux subventions. Les collectivités n’ont pas plus de moyens pour autant, puisque la dispersion de leurs interventions coûte finalement aussi cher, quand elle ne sert pas de prétexte à certains élus pour se défausser de leur responsabilité sur d’autres collectivités – nous en avons tous, malheureusement, des exemples en tête.
Les trente dernières années ont été marquées par des réformes essentielles. Il faut d’ailleurs souligner, chers collègues de la majorité, qu’elles sont toutes issues de majorités de gauche. En France, c’est la gauche qui est porteuse de la tradition girondine et décentralisatrice de notre République, tandis que la droite – nous en avons encore malheureusement la preuve depuis trois ans – perpétue la tradition jacobine et centralisatrice, et même, aujourd’hui, « recentralisatrice ».
Quand j’entends M. le ministre de l’intérieur dire qu’il faut faire confiance aux élus locaux, je ne puis que l’approuver, mais pour mieux dénoncer sa propension à stigmatiser, depuis plusieurs années et de façon continue, l’action des élus locaux. Le même Brice Hortefeux, alors secrétaire d’État aux collectivités locales, dénonçait ainsi, lors de la remise des prix du magazine Ville et transports, les projets de transports en commun, au motif qu’ils sont, disait-il, « les danseuses des élus » et qu’ils ne laissent d’autre souvenir que l’augmentation des impôts locaux.
Plus près de nous, Éric Woerth, alors ministre des comptes publics – il faudrait plutôt dire : de la dérive des comptes publics –,dénonçait, en 2007, ce qu’il qualifiait de dérive des comptes des collectivités locales et de mauvaise gestion, par les élus, des budgets communaux, départementaux ou régionaux. C’est un comble, lorsque l’on voit la dégradation continue des comptes de l’État depuis trois ans, dont les élus locaux ne sont nullement responsables ! Comme l’ensemble de nos concitoyens, ils en subissent, au contraire, les conséquences négatives.
Le Grand Paris est un exemple encore plus récent d’une véritable reprise en main par l’État. La création d’une « Société du Grand Paris » l’illustre à merveille. Comment mieux dire que l’on écarte, au profit de gens nommés, les responsables démocratiquement élus qui, eux, rendent des comptes au peuple à intervalles réguliers ?
La gauche, elle, ne s’est pas contentée de paroles ; par des actes forts, elle a profondément modifié le fonctionnement politico-administratif de la France, plus profondément que par n’importe quelle réforme de l’État qui aurait pu être conduite pendant ces mêmes trente dernières années. La vraie réforme de l’État, c’est la décentralisation. Telle est du moins notre conviction d’écologistes.
C’est à la gauche que l’on doit le premier acte de la décentralisation en 1982 avec les lois Mauroy-Defferre. Ce mouvement inégalé de décentralisation, qui a vu la transformation des régions en véritables collectivités locales et le transfert – sans équivalent depuis lors – de compétences de l’État, n’a pas été inspiré par des considérations bassement politiciennes ou électoralistes puisque, lors des élections de 1986 qui ont suivi, comme, ensuite, lors du scrutin de 1992, vingt des vingt-deux régions métropolitaines ont été remportées par la droite, et que près des trois quarts des conseils généraux ont également été dirigés par la droite à la suite de cette réforme.
C’est encore la gauche qui a accompli le deuxième acte fort de la décentralisation, avec la loi sur l’intercommunalité, plus récente puisqu’elle date du début des années 2000.
Notons au passage que la gauche a agi, en la matière, de façon particulièrement « plurielle », puisque ce sont Jean-Pierre Chevènement et Dominique Voynet qui ont défendu ce projet de loi au nom du Gouvernement.
Notons surtout que ce fut l’une des rares lois de la législature 1997-2002 à être adoptée à la suite d’un compromis en commission mixte paritaire, c’est-à-dire d’un compromis entre gauche et droite.
Vous feriez bien, mes chers collègues de la majorité, de vous en souvenir lorsque vous voulez réformer les collectivités locales !
Cette loi a véritablement bouleversé l’organisation locale en accélérant l’intégration intercommunale. Les bienfaits résultant de la mise en commun des moyens et des compétences qu’elle a permise ont eu raison de la plupart des nombreuses peurs agitées par les élus de l’opposition de l’époque et par un certain nombre de maires qui craignaient de perdre leurs compétences et leurs prérogatives. Soulignons aussi les bouleversements intervenus dans l’organisation des services des collectivités puisque, en quelques mois, des dizaines de milliers de fonctionnaires ont changé d’employeur sans que cela pose de problèmes insurmontables.
Cela montre une fois de plus que, quand on décentralise en faisant vraiment confiance, au plus près du terrain, aux élus du peuple, aux élus locaux, les réformes, même de grande ampleur, se passent bien. On ne peut en dire autant de beaucoup de celles menées ces dernières années par le Gouvernement et la majorité de droite.
Il faut aussi noter que le développement de l’intercommunalité se fait en général sur le fondement du principe des compétences propres. Autrement dit, lorsque des communes ont transféré une compétence à la structure intercommunale, elles cessent totalement de s’en occuper, ce qui évite l’enchevêtrement et l’illisibilité. Voilà qui apporte un clair démenti à l’idée, malheureusement reprise tout à l’heure par le rapporteur Dominique Perben, selon laquelle la décentralisation entraînerait toujours empilement et doublons. Regardez les transports, la voirie, l’eau, l’assainissement, la collecte et le traitement des déchets : les communes n’exercent plus de compétences en ces matières dès lors qu’elles ont été transférées aux structures intercommunales. Ainsi l’organisation des services est-elle claire pour nos concitoyens.
Il est clair aussi que, du point de vue institutionnel, nous n’avons pas encore tiré toutes les conséquences de ces deux grands mouvements de décentralisation : l’avènement de la région, collectivité que plus personne ne conteste ; celui de l’intercommunalité, que plus personne ne conteste non plus.
C’est pourquoi nous nous sommes réjouis de la volonté du Gouvernement – du moins, de sa volonté annoncée – de procéder à une réforme globale, et que nous avons avancé, avec d’autres, l’idée d’un troisième acte de la décentralisation, fondé sur ce que je pourrais appeler deux couples dans une organisation institutionnelle aux niveaux clarifiés communes et intercommunalités, d’une part ; régions et départements, d’autre part.
La perspective serait d’affirmer et de renforcer clairement les rôles et les compétences, d’une part, des communautés de communes, et, d’autre part, des régions.
Lorsque le rapport du comité Balladur a été remis, c’est ce même esprit de coopération que nous avions adopté. Parce que nous entendions faire de cette question un sujet qui échappe à toute politique partisane, nous avions même reçu, au siège des Verts, Édouard Balladur, puis, à notre université d’été de l’année 2009, André Vallini, membre du comité, afin de débattre des propositions et conclusions du rapport.
Bien entendu, nous ne souscrivions pas à toutes –elles étaient contestables sur de nombreux points, ou restaient à nos yeux trop timorées –, mais nous ne pouvions que nous féliciter de voir certains points clarifiés, notamment par la création des métropoles, et le rôle de la région renforcé.
L’organisation du « Grand Paris » par la fusion des départements qui forment le coeur de l’agglomération parisienne – Paris, la Seine-Saint-Denis, les Hauts-de-Seine et le Val-de-Marne – était également une proposition intéressante. Cette fusion aurait enfin permis une mise en commun des moyens financiers si disproportionnés entre les départements riches que sont Paris et les Hauts-de-Seine, d’une part, et les départements moins bien dotés que sont la Seine-Saint-Denis et le Val-de-Marne, d’autre part. Les habitants et élus de ces départements ne peuvent nullement être tenus pour responsables de ces inégalités.
Ce ne sont effectivement pas les habitants ou les élus de la Seine-Saint-Denis qui sont responsables des choix de l’État qui, depuis des décennies, ont conduit à la concentration des sièges sociaux des grandes entreprises dans les Hauts-de-Seine.
Ces inégalités, il faut se donner les moyens de les corriger. Or non seulement cette proposition été abandonnée mais, en outre, a émergé entre-temps une sorte de monstre technocratique piloté par l’État, que vous avez appelé « Société du Grand Paris ».
Bref, à la lecture des conclusions du comité Balladur, nous étions décidés à ne pas faire la fine bouche, à saisir toute avancée et à participer pleinement, dans un esprit constructif, aux débats autour du futur projet de loi.
Soyons clairs. Maintenant que l’Assemblée nationale est saisie du texte, nous avons le sentiment de nous être fait duper. S’il n’allait pas jusqu’au bout de la suppression de couches du millefeuille territorial, au moins le rapport Balladur désignait-il en filigrane l’un de nos objectifs : transformer le département en un échelon de proximité à l’intérieur des régions, pour développer ces dernières – transformation qui serait aussi, j’y reviendrai, un gage de solidarité territoriale – et renforcer l’intercommunalité.
Force est de constater que le texte qui nous est soumis efface, quand il ne les nie pas, les avancées des travaux du comité Balladur.
Les réformes proposées ne règlent en rien la problématique du millefeuille. Elles l’aggravent au contraire avec les métropoles, puisque celles-ci ne se substituent pas à l’existant. Les conseils d’intercommunalité continueront, pour leur part, d’être élus au second degré, les citoyens demeurant dans l’incapacité d’en déterminer la majorité, et donc de choisir la politique menée par ces structures.
Plus grave, l’absence d’élection au suffrage universel direct de liste pour les communautés de communes, les communautés d’agglomération et les communautés urbaines empêche la tenue, tous les six ans, d’un véritable débat commun à tous les habitants d’une agglomération ou d’un pays, autrement dit commun à tous les habitants d’un bassin de vie, sur le projet qu’ils souhaitent voir mis en œuvre sur leur territoire. Ce débat reste confisqué par ceux des élus municipaux qui seront délégués dans les établissements publics de coopération intercommunale, et seulement ceux-ci.
Reconnaissons que ces débats si importants pour la démocratie et l’avenir de nos territoires sur les choix politiques, puisque les compétences intercommunales et les budgets des intercommunalités sont de plus en plus substantiels, se perdent trop souvent dans les négociations entre les maires des communes de ces intercommunalités.
De même, le télescopage avec la réforme de la taxe professionnelle est dévastateur, et consacre un recul sur la voie de la clarification et de la simplification au niveau intercommunal. En effet, la loi Chevènement-Voynet avait permis d’accélérer le développement de la taxe professionnelle unique. C’était un vrai pas sur la voie de ce que nous appelons la « caisse commune ». Pour mettre fin aux égoïsmes et aux concurrences stériles, pour faire progresser une vraie solidarité territoriale, le fait qu’une taxe, jusqu’alors perçue par les communes, lesquelles appliquent naturellement des taux différents, soit, grâce à l’intercommunalité, perçue par une seule collectivité correspondant au bassin de vie, selon un taux unique, était un progrès.
Cela permettait en effet une plus grande efficacité économique, une plus grande lisibilité pour les acteurs économiques – les entreprises désireuses de s’implanter sur un territoire ou d’y développer leurs activités –, mais aussi une plus grande solidarité territoriale. Nous savons tous que les personnes qui travaillent dans une commune ne sont pas forcément celles qui y résident, et vice versa. La vie quotidienne ne se borne pas aux limites communales – dont on a parfois l’impression qu’elles sont des frontières.
Nos concitoyens et les acteurs économiques ne vivent plus comme cela. Il était bon que nos institutions locales en tiennent compte dans leur organisation. Il serait bon d’en tenir encore davantage compte demain.
Nous écologistes, pensons qu’il serait logique de mener à son terme ce raisonnement à la fois pragmatique et solidaire en réalisant également la mise en commun des impôts payés par les ménages, autrement dit les taxes foncières et d’habitation, à l’échelle d’une intercommunalité. On ne peut pas continuer à dénoncer régulièrement l’existence de poches de pauvreté dans notre pays, à dénoncer même ce que certains appellent des ghettos de pauvres et des ghettos de riches, et refuser cette évolution, seule à même de sortir concrètement de cet égoïsme.
Faisons preuve, mes chers collègues, mesdames et messieurs du Gouvernement, de lucidité et ayons le courage d’entendre l’appel d’élus de banlieue récemment initié par Claude Dilain, maire de Clichy-sous-Bois en Seine-Saint-Denis. Il sait de quoi il parle, puisque c’est de sa commune que sont parties les émeutes de novembre 2005.
La mise en commun des moyens entre communes riches et communes pauvres d’un même bassin de vie ferait beaucoup plus pour la solidarité urbaine et le règlement concret des problèmes dits de banlieue qu’un énième, et bien mal nommé, plan « Espoir banlieues ».
Nous, écologistes, défendions trois principes simples.
Le premier était la généralisation de l’intercommunalité d’ici 2012, c’est-à-dire le fait que plus aucune commune ne puisse être en dehors de toute intercommunalité.
Le deuxième était le transfert de davantage de compétences des communes vers les intercommunalités. Nous proposions que les communautés de communes soient dorénavant dotées des mêmes compétences que les communautés d’agglomération, que les communautés d’agglomération soient dotées des mêmes compétences que les communautés urbaines, que les métropoles nouvellement créées héritent de nouvelles compétences.
Nous ne pouvons, sur ce point, que déplorer que vous soyez restés au milieu du gué et que vous n’ayez pas voulu mener à son terme la logique selon laquelle les métropoles auraient également eu, sur leur territoire, les compétences des départements et les ressources afférentes.
Le troisième principe était un nouveau partage de compétences, donc la définition d’un nouveau rôle pour les communes. Nous ne sommes pas pour la suppression des communes, et nous croyons à la commune comme cellule de base de la démocratie locale. Nous croyons en l’importance et en l’utilité des élus municipaux, qui jouent un rôle de médiateur entre les citoyens et les autres collectivités.
Naturellement, la logique de ces nouveaux transferts de compétences vers les structures intercommunales, qui seraient devenues des collectivités de plein droit, de plein exercice, aurait abouti à l’élection des élus intercommunaux au suffrage universel direct.
Pour ce qui est des régions, la perspective de l’abandon de la clause de compétence générale, qui, seule, donne une vraie perspective au rôle et au dynamisme des régions, menace un échelon pourtant reconnu comme le plus efficace et le plus dynamique de la vie politique française. Il marque un coup d’arrêt à son avènement de collectivité leader de la décentralisation, alors même que nous savons que seules les régions ont la taille nécessaire pour exercer vraiment des compétences transférées par l’État, donc pour permettre une véritable décentralisation.
Alors que l’on pouvait espérer une articulation faisant des département des échelons de proximité de l’action régionale, c’est l’inverse qui nous est proposé : les futurs conseils régionaux ne seraient plus qu’une simple addition des conseils généraux. Telle est la réalité, telle est la conséquence directe du mode de scrutin cantonal que vous avez choisi, qui achève d’affaiblir la région en la cantonalisant.
Une fois encore, on prive nos concitoyens du vrai débat régional qui a commencé à s’instaurer depuis que les élus régionaux sont élus à l’échelon régional et non plus départemental. L’avenir d’une région ne sera plus vu que par le prisme de l’avenir d’un canton, ce qui est tout à fait dommageable pour l’intérêt régional.
Ce qui renforcerait vraiment les régions, c’est un regroupement des régions et des départements avec un partage des compétences actuelles des départements entre les régions, auxquelles échoiraient toutes les compétences d’aménagement du territoire, d’aménagement et de développement économiques, d’investissement et d’équipement, et les intercommunalités qui, elles, pourraient exercer tout à fait correctement les compétences sociales, avec une plus grande proximité que les conseils généraux.
Évidemment, cela pourrait se faire par étapes, et même de façon différente sur le territoire selon le degré de volonté manifesté par les collectivités. C’est ce que nous appelons pour notre part – mais je ne lancerai pas un débat sur ce point – le fédéralisme différencié, la décentralisation par le bas, en fonction des choix de la population et des élus.
Bref, ce projet de loi ne clarifie rien : il entretient la confusion. Il ne simplifie rien, puisqu’il prétend préserver tous les échelons territoriaux, en organisant de surcroît l’appauvrissement financier de chacun d’eux. Il ne démocratise rien, puisque le mode de scrutin qui nous est proposé est l’un des plus injustes, l’un des moins favorables à la parité et l’un des moins susceptibles de permettre l’expression des petits partis, quels qu’ils soient.
S’agissant des inconvénients du système proposé, je m’arrêterai quelques instants sur le mode de scrutin pour l’élection du conseiller territorial. Nous constatons un double recul, par rapport à la situation existante et par rapport au texte initial du Gouvernement amendé par le Sénat.
C’est un recul de la démocratie, car nos concitoyens n’auront plus l’occasion de s’exprimer sur l’avenir de leur région, ensemble, avec un vrai projet régional, du fait de la cantonalisation.
C’est aussi un recul de la diversité politique et sociale. Reconnaissons-le, le scrutin majoritaire est en général beaucoup moins diversifié dans ses résultats que le scrutin de liste.
Enfin, c’est un recul de la parité. Nous en avons débattu la semaine dernière, à l’occasion d’une proposition de loi de nos collègues socialistes. Lorsqu’il y aura un mode de scrutin uninominal majoritaire à deux tours dans les cantons, nous ne pourrons plus assurer la parité, alors que la démocratie, la diversité politique et sociale et la parité sont assurées par le mode de scrutin actuellement en vigueur pour les élections régionales.
Pour les élections régionales, ce mode de scrutin n’est d’ailleurs pas une nouveauté ; il existait déjà pour les élections municipales.
Enfin, et c’est la cerise sur le gâteau, il s’agit d’un recul en matière de non-cumul des mandats, puisqu’il y aura dorénavant un cumul automatique : le conseiller territorial sera à la fois conseiller général et conseiller régional. On en revient même – c’est un deuxième recul – au possible cumul de trois mandats. En effet, un élu ayant déjà un autre mandat – je ne crois pas que vous ayez prévu de l’interdire –, que ce soit un mandat de parlementaire, de maire, d’adjoint au maire, de vice-président ou de président d’une intercommunalité, aura en plus, automatiquement, deux mandats, peut-être même deux mandats exécutifs ! Un maire parlementaire pourra ainsi être à la fois vice-président d’un conseil général et vice-président d’un conseil régional, ce qui est aujourd’hui impossible. Même chose pour un maire ou un adjoint au maire.
Nous proposons pour notre part un mode de scrutin unique, bien connu et apprécié des Français, vous ne pouvez pas dire le contraire : celui des régionales, qui est aussi, depuis le début des années quatre-vingt, le mode de scrutin des municipales. Qui propose de remettre en cause le mode de scrutin des municipales ? J’aimerais le savoir ! Pourtant, pour ce qui est de la proximité, on pourrait aussi parler dans les grandes villes – pourquoi pas ? – d’un mode de scrutin par quartier. Personne ne le propose, car on sait très bien que la démocratie, c’est le mode de scrutin actuellement existant pour les municipales et les régionales.
Je rappelle que ce mode de scrutin est transparent. Lorsque les gens votent, ils savent que leur vote ne sera pas déformé lors des résultats. Ils savent quelles seront les alliances !
Il n’en va pas forcément de même avec un mode de scrutin proportionnel ou avec un mode de scrutin majoritaire. Nous venons de voir à cet égard ce qui s’est passé en Grande-Bretagne.
Nous proposons un mode de scrutin qui respecte la diversité politique, la parité et la capacité à dégager une majorité stable. Vous ne pouvez pas non plus dire le contraire.
Nous sommes prêts à faire de nombreuses propositions par voie d’amendement, si toutefois vous voulez trouver des positions de compromis, comme, par exemple, un mode de scrutin mixte : uninominal majoritaire à un tour et proportionnel de liste à un tour – ce qui était d’ailleurs votre proposition initiale.
Je sais que nos collègues du Sénat, notamment un sénateur centriste, proposent, comme nous le faisons depuis des années, que chaque électeur, chaque citoyen ait deux voix pour voter selon ces deux modes de scrutin.
Monsieur Marleix, je vous ai entendu dire tout à l’heure qu’un mode de scrutin proportionnel à deux tours, cela n’existait pas. Si, c’est ce qui existe pour les élections régionales ! Il est tout à fait possible d’envisager un mode de scrutin mixte, pour moitié majoritaire uninominal et pour moitié proportionnel de liste à deux tours. Nous avons de nombreux amendements, et il ne tient qu’à vous de les accepter.
Avant d’entrer dans le détail des discussions, il nous faut donc juger si le débat en vaut la peine et si les conditions sont remplies pour que notre assemblée établisse enfin, dans la nécessaire recherche du consensus le plus large sur un tel sujet, un nouvel équilibre des pouvoirs locaux.
Vous nous présentez un texte de circonstance dont la seule véritable visée est électoraliste.
Il n’y a jamais de hasard : c’est dans la foulée d’une élection régionale qui lui a été particulièrement défavorable que le Gouvernement a inséré dans ce projet de loi, par amendement, en commission des lois de l’Assemblée nationale – et après la discussion au Sénat qui avait abouti à une autre conclusion –, une définition complètement bouleversée du mode d’élection des conseillers territoriaux.
Ce changement de pied consiste in fine à faire avaler la potion amère en une seule prise : l’abandon de l’ambition réformatrice en matière de répartition des responsabilités entre les collectivités est la première cuillerée, le mode de scrutin injuste est la deuxième. De ce remède de Diafoirus, nous ne voulons pas ! Notre assemblée n’est pas une simple chambre d’enregistrement destinée à ratifier sans coup férir les mauvais coups du Gouvernement. J’invite d’ailleurs nos collègues du groupe Nouveau Centre à continuer de résister avec nous à ce mode de scrutin, comme ils l’ont fait en commission des lois.
Ce texte, par la seule volonté du Gouvernement, a été dénaturé par l’introduction d’un mode de scrutin improvisé dans l’urgence, au point, monsieur le secrétaire d’État, que vous n’étiez même pas capable de nous présenter en commission le tableau des effectifs des conseillers généraux département par département ! (Protestations sur les bancs du groupe UMP.)
Vous avez proposé, ce qui a été rejeté à l’unanimité de la commission, tous groupes confondus, la procédure que vous souhaitiez introduire : une réforme du mode de scrutin par ordonnance, le découpage par ordonnance et sans consultation des conseillers généraux, pourtant les premiers concernés. Je ne parle même pas des conseils régionaux, car pour vous ils n’existent plus. On connaissait les cavaliers budgétaires, on a là un cavalier institutionnel !
Voilà pourquoi nous nous associerons tout à l’heure à la demande de renvoi en commission, qui sera défendue par Bernard Derosier au nom du groupe socialiste si notre motion de rejet préalable n’était pas adoptée. C’est pourquoi je vous invite maintenant à voter celle-ci, au nom d’un vrai débat sur la décentralisation et la réorganisation politico-administrative de la France, qui ne saurait se réduire à une manipulation électorale mal dissimulée derrière un nouveau fouillis législatif !