Eva Joly répond à Bretoned Sant-Gwilherm : langues régionales et fédéralisme

Bretoned Sant-Gwilherm (Association des Bretons de Science Po Paris): Le patrimoine commun de la France puise sa richesse au travers des diversités qui la traverse. Les cultures régionales, empreintes de l’histoire, vivent aujourd’hui un renouveau sur les territoires. Menacées en raison de l’insécurité juridique qui fragilise les langues minoritaires, êtes-vous favorable à l’avènement d’un cadre légal? Sous quelle forme et selon quelles conditions?

Eva Joly: Les langues et les cultures régionales font partie non seulement du patrimoine de la France, mais de celui de l’humanité. Or, comme le souligne l’UNESCO la plupart des langues “régionales” de France sont en sérieux danger d’extinction, du fait d’une politique d’État d’abord hostile jusqu’aux années 1950 puis passive depuis lors. Depuis 2008, l’article 75-1 de la Constitution reconnaît certes l’existence des langues régionales, mais seulement en tant que « patrimoine ». Cette modification constitutionnelle n’octroie de fait aucun droit nouveau aux locuteurs de langues régionales, et nous devons bien reconnaître qu’elle n’a débouché sur aucune modification législative. Encore une fois, derrière un vernis de réforme, c’est l’immobilisme voire la régression qui caractérise le bilan de Nicolas Sarkozy.

Mon ambition est de permettre aux locuteurs de langues régionales et minoritaires de transmettre leur langue, et de l’utiliser dans tous les aspects de leur vie quotidienne. Pour cela, je prône une réforme constitutionnelle permettant la ratification de la Charte européenne des langues régionales et minoritaires, de même que de la Convention-cadre pour la protection des minorités nationales, et la possibilité pour toute région de définir sa ou ses langue(s) régionale(s) comme coofficielle(s) avec le français. Une loi-cadre devrait également être votée, établissant un statut juridique stable et ambitieux en termes de moyens mis en oeuvre. Les priorités sont le développement des langues régionales dans l’enseignement, les médias et les relations publiques. Ce programme n’est en rien radical. Il s’agit ni plus ni moins que d’aligner la France sur les normes européennes en matière de diversité linguistique, de donner les même droits aux Français qu’à leurs voisins, de sortir de cette fascination anachronique de la France pour l’unification linguistique. Et je suis persuadée qu’une telle politique volontariste, paradoxalement, renforcera la langue française, langue à laquelle je suis très attachée, en rendant plus crédible le discours français en faveur de la diversité linguistique à l’échelle mondiale.

 

Bretoned Sant-Gwilherm: Alors qu’une tension pèse sur les finances publiques, l’affirmation de pouvoirs locaux semblent appeler à un remodelage des pratiques démocratiques. Considéreriez-vous qu’un compromis pourrait être trouvé entre des régions plus autonomes et une République recentrée sur ses prérogatives régaliennes? Dans cet esprit, êtes-vous favorable à l’idée de repenser le contour institutionnel des régions, par exemple l’Alsace-Lorraine à 6 départements, la Bretagne à 5 départements ou la Normandie à 5 départements? Le cas échéant, selon quelle méthode et quels moyens, pour quels pouvoirs et contreparties?

Eva Joly: Je suis favorable à une 6e République qui fonctionnerait sur une base fédérale. Je souhaite donc un renforcement significatif du pouvoir des régions, et effectivement un recentrage de l’État sur ses prérogatives régaliennes (dont l’organisation d’une péréquation financière équitable entre les régions). Le fédéralisme que j’appelle de mes vœux sera toutefois différencié dans le sens où la distribution des compétences et des formes d’organisation territoriales pourra varier d’une Région à l’autre en fonction des aspirations, et qu’il sera accordé une large place à l’expérimentation régionale (normative, fiscale, politique). Encore une fois ce n’est en rien un programme radical, vu que nous nous rapprocherions ainsi de l’organisation territoriale de nos voisins, tout en rapprochant le pouvoir (et donc la démocratie) du citoyen. Mais ce serait effectivement prendre le contre-pied de la dynamique recentralisatrice anachronique mise en place par Nicolas Sarkozy.

Concernant le contour institutionnel des régions, je suis favorable à l’amélioration des possibilités de redécoupage et de fusion de régions. Vu que mon projet vise à renforcer l’autonomie des régions, il est important démocratiquement et culturellement que le contour de celles-ci corresponde aux aspirations des citoyens. Je soutiens donc la démarche de mon ami François de Rugy à l’Assemblée nationale, qui permettrait notamment de faciliter la réunification de la Bretagne. À l’instar de ce qu’il propose, il me semble important toutefois que ce soient les habitants qui aient le dernier mot, par le biais de référendums (qui devraient pouvoir être d’initiative populaire si besoin).

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