La refondation de l’école – Plaidoyer pour une laissée pour compte : la formation continue des personnels

Christian Alin, Professeur d’université émérite en Sciences de l’éducation – UCBL Lyon1CRIS EA 647

Qui supporte longtemps d’avoir des doutes sur le renouvellement des connaissances et des pratiques de son chirurgien ou son médecin ? Qui accepte un instant de monter dans un moyen de transports en se posant des questions sur l’habilitation du bus ou de l’avion et bien sûr du pilote ? Il est un monde où la préoccupation de l’efficacité du personnel est constamment réclamée, à grands cris de slogan de lutte contre l’échec scolaire, celui des métiers de l’éducation nationale.
En revanche, force est de constater que les parents, un grand nombre d’enseignants eux-mêmes, mais aussi et surtout les instances institutionnelles, hors mis la formulation de bonnes et belles intentions, ne se mobilisent pas. Les élèves eux, du plus petit au plus grand, aimeraient bien partager leur vie, d’enfant, d’écolier, de collégien, de lycéen et d’étudiants avec des personnels et des enseignants bien formés et ce tout au long leur vie professionnelle. Pour Philippe Meirieu, « globalement, le projet de loi qui est proposé aujourd’hui n’est pas à la hauteur des besoins éducatifs de notre société… Il ne prend aucune disposition particulière pour la formation continue! C’est un oubli préoccupant : les ESPE1 formeront 30 000 enseignants par an tout au plus, alors que c’est près d’un million d’enseignants et de personnels en activité qui doivent avoir droit à une formation continue2 de qualité!
La formation continue une arlésienne et/ou une délaissée permanente. — On en parle, on l’appelle, on la couvre de bonnes intentions. Le projet de loi, une fois de plus l’inscrit dans ses énoncés (article L 721.2). Force est de constater que ses missions et ses moyens restent dans un grand flou. En France, aux Pays-Bas, en Suède, en Islande et en Norvège, la formation continue constitue une obligation professionnelle mais, dans la pratique, la participation est facultative.3 Surtout, un état des lieux dans les pays européens sur les vingt dernières années fait apparaître une réduction des efforts dans cette direction4. Déjà en 1982 De Peretti5 écrivait « l’effort total accompli représenterait pour les dépenses constatées en 1980, 1,50% de la masse salariale soit un peu plus que ce qui est exigé actuellement en raison de la loi de juillet 1971 mais par ailleurs beaucoup moins que le pourcentage affecté actuellement par de grandes organisations à une action du même ordre (6,18% à EDF) ». Le budget alloué pour la formation continue est depuis de nombreuses années en constante régression alors que celui de l’EDF, par exemple est passé à 7%.
Savary, De Peretti, revenez vite c’est urgent ! — Malgré vos formidables et pertinentes recommandations et 30 ans après, la formation continue des personnels est toujours, en état de coma profond. Relire le rapport d’André De Peretti et constater que ses propositions en matière de formation initiale anticipent une formation universitaire et professionnelle à bac+5, animée par un établissement universitaire professionnalisant. Toutes les problématiques actuelles de
l’éducation et de la formation. Autrement dit, dés 1982 ce rapport proposait déjà des ESPE. En revanche, il écrit : « La formation initiale dans tous les domaines – et quelles que soient les transformations réalisées- ne peut suffire si elle n’est pas prolongée avec vigueur par laformation continue.» Alors, comment comprendre un tel état de fait ? Comment se fait-il que 30 ans après les discours des chercheurs, des experts et des enseignants lambda s’accordent sur la pertinence des problématiques évoquées par ce rapport et que rien n’est bougé. Une telle situation, au-delà même des politiqués économiques malthusiennes (à droite comme à gauche) qui ont freiné et drastiquement réduit la formation continue des personnels de l’éducation nationale est-elle condamnée qu’à n’être que la courroie de transmission des prescriptions
programmatiques de la hiérarchie ? Est-elle condamnée à continuer à ne jamais pendre en compte les besoins et les difficultés individuelles et/ou collectives, locales et/ou génériques, voire les souffrances des personnels au quotidien ? Est-elle condamnée à ne pas prendre en compte les nouveaux enjeux sociétaux qui se sont révélés depuis. (Inter-culturalité, citoyenneté, laïcité, problématique de genre, inclusion des enfants à besoins particuliers, handicap, violence, éducation à la santé, éducation au développement durable, problématique écologique et bien sur l’échec dit « scolaire ».
Le pessimisme de la connaissance n’empêche pas l’optimisme de la volonté — Enseigner est certes un métier qui s’apprend mais c’est aussi un métier qui doit continuer à s’apprendre. L’auteur de ces lignes a consacré sa vie professionnelle aux liens qui lient la recherche, la formation et l’innovation6. Malgré tous les nuages qui s’accumulent, ces jours, sur la refondation de l’école et en particulier sur la formation continue des enseignants, il veut croire que l’intérêt et l’ambition de la réussite scolaire de nos enfants, de nos élèves, de nos étudiants, prévaudront sur les luttes de territoires des uns et des autres et que la formation continue pourra apporter à tous les personnels et intervenants l’expertise et le bonheur d’agir qui font la vie de tout métier.
En cette fin d’article, je ferais donc mienne la célèbre formule d’Antonio Gramsci, tout en demandant à chacun, particulièrement dans cette période de crise politique, économique, écologique et quelle que soit sa place et sa fonction de participer à une éducation au courage7.
1 ESPE : Ecole Supérieures du Professorat et de l’Education
2 Selon l’OCDE, la formation continue est définie comme «l’ensemble des activités qui développent les
compétences, les connaissances et l’expertise d’un individu, sous forme de cours, conférences, ateliers,
séminaires, programmes de qualification, observation de visite d’écoles, participation à des réseaux d’échange
d’expériences, échanges entre pairs, recherche individuelle ou collaborative…».
3 Eurydice, Eurostat – Chiffres clés de l’éducation en Europe 2009, p160
http://eacea.ec.europa.eu/education/eurydice/documents/key_data_series/105FR.pdf – consulté le
9 mars 2013
4 Arnaud Chéron, professeur des Universités en Sciences Economiques (Le Mans) et directeur de recherche sur
l’évaluation des politiques de l’emploi au sein du pôle économie de l’EDHEC. L’évolution de la formation
professionnelle continue : une perspective international, Janvier 2011
http://docs.edhecrisk.com/rsc/110111/EDHEC_Position_Paper_Evolution_de_la_formation_pro
fessionnelle.pdf – consulté le 9 mars 2013
5 André De Peretti (1982), La formation des personnels de l’Education nationale,
Documentation française.
6 Dernier ouvrage— Alin C., (2010), La Geste Formation – Gestes professionnels et Analyse
des pratiques, L’Harmattan, Paris,
7 Fleury C. (2011) La fin du courage, Fayard, Paris.

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