Les marchés financiers doivent-ils décider de nos vies?
par Jerome Gleizes, intervention au débat Copernic de Clermont Ferrand
Chers amis,
Je remercie cette initiative qui permet aux forces de gauche de confronter ses analyses et ses solutions car si souvent les objectifs politiques sont communs, les moyens d’y parvenir divergent et parfois l’analyse des causes.
La situation politique internationale est grave. Et l’Europe est une nouvelle fois en retard. Je ne me limiterais pas à la question des marchés financiers pour éviter toute forme de fétichisme qui nous éloignerait des raisons fondamentales de la crise. Les marchés financiers ne sont pas une fin en soi mais un moyen au service aujourd’hui d’une minorité, d’une oligarchie. Comme je le disais en introduction, l’analyse est souvent commune. Une tribune a même été récemment publiée par trois députés européens, Pascal Canfin, pour EELV, Jean-Luc Mélenchon pour le Front de Gauche et Liem Hoang Ngoc pour le Parti socialiste, « l’Europe dans la spirale des plans de rigueur ».
Le renforcement du Pacte de Stabilité que vient de voter le Parlement européen ne va pas régler la crise financière actuelle. Bien au contraire, on peut prévoir que la situation va empirer. Les dirigeants européens font preuve d’un autisme inquiétant, et donc d’une irresponsabilité, liée à de hypocrisie où on ne dit pas ce que l’on fait ! L’irresponsabilité, c’est de faire croire que la dette grecque va être remboursé. Pourtant, des économistes de tout bord anticipent un défaut de paiement, y compris les marchés financiers avec les primes sur les fameux CDS. Nous ne sommes pas ici dans de la spéculation mais dans de la pure logique économique et comptable. La charge des intérêts de la dette est telle que mécaniquement le déficit budgétaire augmente, aggravé en cela par la baisse drastique des dépenses publiques qui amplifie la crise économique et la baisse des rentrées fiscales. Ce cercle vicieux alimente la hausse de la dette, du moins relativement par rapport au PIB, à la richesse produite. Il y a certes dans ce renforcement du pacte de stabilité que nous avons tous condamnés une prégnance de l’idéologie libérale avec un plan d’ajustement à l’européenne mais c’est surtout de l’aveuglement qui n’annonce pas des lendemains qui chantent. L’effacement de la dette est inéluctable de gré ou de force. De force, cela passerait par une sortie de la zone euro de la Grèce. Ce serait une décision politique comme effacer une partie de la dette l’est aussi. Cet aveuglement peut nous rappeler celui de la crise de 1929. L’Europe est en train de commettre une grave erreur politique qu’on ne peut pas mettre sur le compte de la seule pression des marchés financiers.
Les EU sont plus pragmatiques dans la gestion de leur dette qui est bien plus importante que la dette grecque, plus de 14 000 mds de dollars contre 360 mds d’euros. Pour rappel, en 1985, les EU, avec les accords du Plaza, ont pu imposer une réévaluation de la monnaie japonaise et allemande, ce qui a mécaniquement dévalué aussi la dette américaine détenue principalement par le Japon ou l’Allemagne. Aujourd’hui, la Chine qui est l’un des principaux détenteurs de la dette américaine, n’est pas prêt à laisser réévaluer sa monnaie. Contrairement au Japon ou à l’Allemagne, il n’y a pas de bases militaires américaine en Chine ! Le pragmatisme américain, on le retrouve dans la gestion de la crise financière de 2007 ou de la faillite de la Californie. Après la crise financière et économique, le gouvernement, républicain dans un premier temps puis Obama dans un second temps, a massivement relancé son économie, plus de 10 % de son PIB et a ciblé sur des États faibles comme celui de la Californie. Nous, en Europe, on laisse les États s’effondrer… Le pragmatisme américain, on le retrouve aussi ailleurs. Je ne suis pas certain en Europe qu’on laisse disparaître une banque de la taille de Lehmans Brothers. Mais là, n’est pas mon propos. La crise de 2007-2008 a mis fin aussi au compromis china-amérique. Pour schématiser la consommation américaine était rendue possible par les exportations chinoises. Cela permettait à la fois de maintenir le mode de vie américain et à la Chine de maintenir un taux de croissance indispensable pour éviter une explosion sociale en donnant du travail à une population active croissante. Sur le plan financier, les dollars du déficit commercial américain étaient réinjectés aux EU en achat de bons du Trésor et autres titres financiers américains. Avec la crise, c’est terminé mais le pragmatisme américain est sans limite. Pour compenser la réduction d’achat chinois, C’est la Réserve fédérale, la banque centrale américaine qui achète les titres de sa propre dette. C’est ce que les économistes appellent, la politique monétaire non conventionnelle ! L’hypocrisie est telle ici que la Banque centrale européenne en fait autant, sans le reconnaître. Il faut dire qu’au pire de la première crise grecque en 2010, Obama avait du appeler Merkel pour qu’elle ne bloque pas les initiatives européennes. Quand il y a urgence, on peut s’assoir sur les Traités européens car la première mission d’une banque centrale est de maintenir la confiance dans sa monnaie, pour nous de l’Euro. Sinon, on a une crise comme l’Argentine l’a vécu dans les années 2000.
Aujourd’hui, l’Europe doit devenir un acteur politique car sinon nous entrerons dans une période de plus en plus trouble. L’Europe est en danger. Nous n’avons pas besoin de moins d’Europe mais de mieux d’Europe. N’oublions pas que l’Union européenne s’est construite pour mettre fin à la guerre sur notre continent. Les politiques d’aujourd’hui peuvent être désastreuses pour demain. On oublie notre passé. Keynes qui était aussi un acteur politique avait en 1919 critiqué les conséquences économiques du Traité de Versailles et en cela anticipait les tristes conséquences politiques des deux décennies à venir. Nous ne devons jamais oublier qu’une manière d’effacer la dette peut-être la guerre. Il faut avoir aujourd’hui le courage de sortir de cette période trouble mais pas par un repli nationaliste. Il faut sortir de tous les dogmatismes, y compris des nôtres pour revenir à une politique qui ne soit pas hors sol mais répondent aux enjeux de la période.
Ne pas être hors sol, c’est dire que les politiques des années 30 ne suffisent pas à sortir de la crise car la crise n’est pas que financière. La crise financière pour les écologistes n’est même que la conséquence indirecte de notre mode de développement. Il s’est mis en place dans les années 90, un compromis libéral-productiviste, notamment aux EU. Les crédits « subprimes » ne sont dans ce contexte non pas responsables de la crise financière mais un des moyens de la reproduction de la régulation néo-libérale. La modération salariale et une montée de la précarité n’étaient possibles qu’à la condition d’un accès facilité au crédit, une inflation jugulée et des taux d’intérêt bas. La croissance américaine n’a donc pu se réaliser que grâce à un endettement massif des ménages américains qui est passé entre 2000 et 2005 de 580 milliards à 1 250 milliards. Les crédits « subprimes » étaient bien une condition du maintien de la croissance de la consommation américaine. Or aujourd’hui, une relance par la consommation, y compris par une hausse des salaires, va buter sur les crises écologiques. La reprise de cette année a créé un record de l’émission des GES. Le prix du pétrole augmentera avec sa raréfaction. On a besoin de plus d’Europe et de plus de politique car les crises ne se résorberont pas tout seul.
Que faire aujourd’hui,
Il convient tout d’abord de soutenir la lutte du peuple grec contre les mesures d’austérité imposées par le gouvernement. Ils méritent autant que les Islandais de décider démocratiquement de leur avenir. Nous devons notamment soutenir la demande d’audit de la dette grecque comme l’Équateur l’a fait. Il faut lever le voile sur la rôle de Goldman Sachs dans le maquillage de la dette grecque, sur le poids des dépenses militaires.
Il faut contrôler les marchés et pas seulement dans les discours. Cela passe par la suppression des paradis fiscaux. La politique monétaire européenne doit être réorientée et il faut donc modifier les traités européens, en inscrivant dans le droit ce que les institutions européennes ont fait de manière exceptionnelle : La Banque centrale européenne doit pouvoir prêter directement aux États, racheter des bons du trésor nationaux.
Il faut renforcer le budget européen et avoir une meilleure coordination des politiques budgétaires nationales. Il faut des politiques structurelles européennes qui permette de répondre à la crise écologique et qu’ils permettent comme dans les années 1970-80, des transferts financiers vers les pays les plus faibles de l’Union européenne pour réduire les inégalités entre les pays. Il faut par ailleurs remplacer des politiques de concurrence fiscale par une harmonisation européenne fiscale
La crise n’est pas une fatalité mais celle-ci étant singulière, la crise du modèle libéral-productiviste, elle nécessite des solutions nouvelles et surtout une volontarisme politique.
Jérôme Gleizes