Pourquoi le report de l’accessibilité #handicap est un véritable leurre.
Pourquoi le report de l’accessibilité #handicap est un véritable leurre.
Publié le 27 février 2014 par Philippe Steinier
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A l’issue de trois mois de concertation, le gouvernement français a finalement annoncé (sans surprise) le report de l’obligation d’accessibilité au handicap prévue dans la loi de 2005 sous forme d’un « Agenda d’accessibilité programmée » (Ad’AP) qui introduisent des délais supplémentaires pour se mettre aux normes sans encourir de sanctions.
Ce report s’étale de trois ans pour les commerces à  six ans pour les écoles et jusqu’à  neuf ans pour les transports ou les «patrimoines complexes ». Un projet de loi doit être déposé en ce sens le 2 avril 2014.
Dès la sortie de la loi handicap 2005, Handimobility avançait déjà ses pronostiques (alors que l’euphorie existait bel et bien à ce moment dans la majeure partie du monde du handicap) en affirmant que les 10 ans à venir ne permettraient pas à la France de se rendre accessible.
Manque de temps ? Absolument pas ! Le problème est bien ailleurs : il manque à ce pays (comme il manquera encore dans 9 ans) 5 qualités essentielles ? Lesquelles ?
1ère qualité : Capacité des décideurs d’agir efficacement sur de grands enjeux de société non économiquement rentable. La crise économique que nous vivons (depuis la fin des années 70) a vu les décideurs politiques prendre en compte essentielements les thèmes économiquement et socialement rentables, ce qui n’est évidement pas ici le cas.
2ème qualité : Capacité de se distancier de l’influence des lobbies. Ce n’est un secret pour personne, l’influence des groupes de pression économiques et financiers dans le monde politique ne fait que se conforter. La thématique de l’accessibilité est majoritairement combattue par de grands lobbies immobiliers et par toute les personnes qui doivent investir financièrement dans ce cadre précis. La pression de ces grands opérateurs est sans commune mesure avec celle qui peut être générée par les représentants du monde du handicap.
3ème qualité – Capacité de tenir compte de tous les groupes électoraux qu’ils soient sur-représentés ou minoritaires. C’est un fait acquis, la population handicapée est peu intéressante électoralement parlant. Le monde politique est prioritairement sensible aux couches sociales très actives au sein du monde médiatique surtout si elles représentent une large part des citoyens. Or la population handicapée ne correspond pas à ces critères. L’affaiblissement de l’état de santé physique ou psychique éloigne en général cette population de l’intérêt qu’elle porte au monde politique mais aussi, malheureusement, de l’intérêt que porte le monde politique à cette couche précise de la population.
4ème qualité : Capacité de la société à générer une image du handicap sous son angle inclusif non institutionnel. – A l’inverse des Etats Unis, l’image française (et généralement Européenne) liée au handicap est celle d’une personne dépendante, jouissant de très peu d’autonomie, économiquement faible et peu intégrable dans la société. Cette image particulièrement négative continue desservir le monde du handicap. Cet état d’esprit fait que la France a toujours répondu en général aux besoins du monde du handicap non de façon inclusive mais en institutionnalisant et en externationalisant ses réponses (institutionnalisation des hébergements, des loisirs, des transports, de l’enseignement). Ce type de réaction a créé deux types de sociétés distinctes, le monde des valides et celui du handicap avec très peu de passerelles entre elles. Deux mondes différents qui se sentent si distincts l’un de l’autre que c’en est presque impossible de progresser efficacement socialement parlant
5ème qualité : Capacité de poursuivre un but commun et unanimement reconnu. Les intérêts contradictoires du monde de la santé continuent à être particulièrement contreproductifs. Parler accessibilité devrait générer un consensus entre toutes les parties or il n’existe pas dans le monde du handicapUNE accessibilité mais bien DES accessibilités parfois très différentes (liées à la multiplicité des types de handicap). De plus, le monde des praticiens du monde de la santé s’oppose parfois de façon très virulente à toute demande de mise en accessibilité. Il suffit de lire sur ce site les commentaires parfois assez virulents du monde médical contestant l’obligation de mise aux normes des cabinets médicaux pour se rendre compte que le monde de la santé et du handicap sont loin d’avoir des buts communs ou des intérêts communs. Ces divisions minent tout aussi négativement les tentatives d’amélioration de la condition des personne handicapées.
Pour qu’une société ou un pays puisse mettre en oeuvre efficacement un grand projet national de mise en accessibilité il faut qu’elle réunisse préalablement et prioritairement ces 5 grandes qualités. Si celles-ci sont présentes alors il s’agit de trouver les moyens financiers pour la mise en oeuvre, ce qui devient dès lors plus facile vu le consensus social de départ.
Voila pourquoi, sans vouloir jouer les pessimistes que nous pouvons encore affirmer (et nous aimerions nous tromper) que les 9 années à venir ne changeront rien à la situation. Ce report nous apparait plus comme un « encomissionnement » de la problématique, une mise au frigo qui s’étend sur presque une décennie. L’accessibilité devenait trop encombrante pour le pouvoir qui aurait du montrer dès aujourd’hui sa capacité à tenir une politique offensive, voila que l’on est enfin tranquille pour la décennie à venir.
Croyez-vous encore très naïvement que les secteurs réfractaires et les opposants à l’accessibilité universelle vont profiter de ce laps de temps pour améliorer la situation ? Non bien sur, je peux déjà vous livrer ici et aujourd’hui le contenu des futurs discours qui nous expliqueront pourquoi ce terme de 9 ans n’a pas pu améliorer l’accessibilité voici : crise économique, priorité budgétaires, absurdité des normes, nécessité de dérogations … Ce seront les mêmes papiers (sans doute un peu plus jaunis) que ceux qui ont servi à nous expliquer aujourd’hui pourquoi le terme de 2015 était irréaliste.
Enfin il y a toujours une certaine justice en ce bas monde et beaucoup d’opérateurs, de responsables, le lobyistes, de politiques (qui sourient ou se sentent soulagé aujourd’hui), qui sont à l’origine de ce fiasco ou qui ont oeuvrés pour sa mise en place n’auront que leurs yeux pour pleurer leur vie inclusive à tout jamais perdue lorsqu’ils seront eux-même confronté à un handicap qu’il soit de nature sensoriel ou physique. Même si cela ne fait pas notre affaire, ils auront alors de nombreuses années pour continuer à pleurer sur leur sort et à méditer le fameux… « ah si j’avais su ! ».