Le Pen et l’argent

La mainmise du clan Le Pen sur le Front National est particulièrement frappante d’un point de vue financier. On peut véritablement dire que le FN n’a été qu’un moyen pour Jean-Marie Le Pen de faire fortune. Il a fait de son parti sa PME familiale. Et s’il n’a jamais cherché à contracter d’alliances, c’est autant par idéologie que parce qu’il souhaitait pouvoir continuer d’utiliser son parti pour s’enrichir, notamment grâce à l’héritage Lambert.

Hubert Lambert et Jean-Marie Le Pen se connaissent depuis les années, depuis que Le Pen à créer le Front National pour l’Algérie en 1958. Il devient un intime des Le Pen et décide de financer dès la création de l’autre Front National en 1972 ce qui n’est alors qu’un groupuscule. Par un habile jeu de séduction, le président du Front National se retrouve sur le testament d’un héritier du ciment[1] (100 millions de francs selon Pierrette Le Pen, dont une partie en Suisse). De nombreux membres du FN de l’époque considèrent qu’il s’agissait d’un héritage politique, mais pas Jean-Marie Le Pen, qui décide de s’approprier à son seul profit cet héritage, ce qui provoqua au sein du parti un tollé. Selon son ancien conseiller communication Lorrain de Saint-Afrique, il récupérerait plusieurs héritages par an initialement destiné au FN.

Comme celui d’Henri Bussière, s’il n’avait pas été annulé par la cour d’appel de Nancy en 1997. Yvonne Perrot, la sœur du défunt, ulcérée à l’idée que «tout cet argent aille dans les poches de Le Pen», avait porté plainte. Dans un courrier, Jean-Pierre Reveau, alors secrétaire administratif et financier du FN, explique qu’instituer M. Jean-Marie Le Pen comme légataire universelle est « la seule façon de laisser vos biens au Front national ».[2] Preuve s’il en fallait une que la frontière entre Jean-Marie Le Pen et son parti n’existe pas.

Jean-Marie Le Pen n’est donc pas le mieux placé pour critiquer la corruption dans la classe politique. Pourtant, dans sa longue carrière, il n’a jamais cessé de se présenter comme irréprochable, allant même jusqu’à mentir à la télévision sur sa fortune. Lors de « l’Heure de vérité » du 16 octobre 1985, Jean-Marie Le Pen déclarait :

« Mon patrimoine est tel que je ne suis pas astreint à faire la déclaration sur les grandes fortunes »

Le Canard enchaîné n’a en effet pas laissé passer l’occasion de le mettre devant ses contradictions. L’hebdomadaire révèle, le 25 octobre 1985, qu’il s’est contenté d’acquitter… 412 francs au titre de l’impôt sur le revenu pour 1982 ! Et qu’après une enquête administrative, ce sont au total 3,6 millions de francs délibérément escamotés que le fisc lui a réclamés. En 1994, il décide enfin de déclarer l’ensemble de son patrimoine.[3]

Ardent défenseur de la transparence en politique, il s’insurge contre les micro-partis lorsque le scandale. « Ça me choque beaucoup », s’offusquait-il sur RTL le 19 Juillet 2010. En 1988, Jean-Marie Le Pen a créé une association nommé Jean-Marie Le Pen-Cotelec, en vue de recevoir les dons des sympathisants du Front National. Le système comprend également  un microparti, Cotelec[4], auquel la première association reverse tout (ou partie) des dons, dans une opacité la plus totale. C’est une entreprise qui dure encore aujourd’hui. En 2007, le parti engrange 451 387€  et quatre fois plus sou forme de prêt à 3%. Finalement, la Cotelec peut ensuite donner, mais plus généralement prêter à des taux importants, au Front National. En décembre 2010, Jean Marie Le Pen rassurait les généreux donateurs en leur disant qu’il restait bien président de la Cotelec. De cette manière, il garde un certain pouvoir sur son parti.

Mais c’est bien toute la famille qui profite du parti. En 1992, pour l’organisation de la fête Bleu-Blanc-Rouge, le FN fait appelle à un fournisseur privé, Atouts Stands, qui appartient au mari de Marine Le Pen. Bien que tout le monde sache au FN que l’entreprise va mal, c’est elle qu’on choisit. Le parti doit avancer 10 000 des 20 000 francs demandés. Peu après, la boite dépose le bilan et les organisateurs doivent aller chercher ailleurs, découvrant que les prix de l’entreprise étaient près de 40% supérieur à la concurrence et qu’évidemment, l’ancien patron ne remboursera pas les arrhes.[5]

Si la majorité des informations sont quelque peu anciennes, c’est qu’il est difficile de ne recouper que des données sérieuses et qui ne pourront pas être contestées. Ce qui est certain, c’est qu’aujourd’hui plus que jamais, le système Cotelec est un moyen de pour Jean-Marie Le Pen comme pour Marine de s’enrichir. C’est d’une importance capitale, car il permet de bien apprécier la distance que la famille, et surtout le père, vis-à-vis du pouvoir.

 



[1] Pour un historique détaillé de l’affaireLambert, on peut lire Marine Le Pen, Un nouveau Front National, de Laszlo Liszkai, Favre.

[2] Source : Les Dégâts de la Marine, hors série du Canard Enchainé

[3]

[4] Un bon résumé du système Cotelec sur l’Express

[5] Source : Les Dégâts de la Marine, hors série du Canard Enchainé

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