40 ans d’histoire de Front National

Connaître l’histoire du Front National est important pour comprendre ce qu’il est aujourd’hui, ce qui dans son histoire a fait que ce parti est pu devenir aussi puissant, dans les urnes premièrement, mais surtout dans la représentation que l’on peut avoir du monde. Car pour Erwan Lecoeur, la principale victoire du Front National, c’est la victoire des idées. Depuis maintenant bien longtemps, les thèmes qui sont favorable à son succès sont ceux qui sont le plus repris par les politiques de droite comme de gauche, mais également dans les journaux télévisés où les sujets sur l’immigration et l’insécurité prédominent.

 

De la création aux premiers succès

 

Lors du deuxième congrès d’Ordre Nouveau, les 10 et 11 juin 1972, les membres décident la création d’une structure capable de fédérer l’extrême-droite en vue des élections de 1973, et votent à 78,89% pour le nom de « Front National ».

A cette époque, Jean-Marie Lepen n’est pas membre d’Ordre Nouveau. C’est lors de la création officielle du parti le 5 Octobre de la même année qu’il est désigné comme président du FN, avec pour objectif de rassembler une droite extrême divisée et ayant perdue la bataille des idées.

Mais, les élections sont peu satisfaisantes, même si Le Pen obtient tout de même 5,75% dans le 15° arrondissement de Paris. Des crispations apparaissent et certains membres d’Ordre Nouveau critiquent le rôle de Jean-Marie Le Pen. Deux évènements vont toutefois lui permettre d’asseoir son pouvoir sur le FN. Le ministre de l’intérieur dissout l’Ordre Nouveau le 22 Juin 1973. Puis la Justice tranche en faveur du président, lorsque des fondateurs du mouvement décident devant les tribunaux de lui contester le droit d’utiliser le nom de « Front National ». Le Pen devient alors le seul chef à bord.

 

Toutefois, celui-ci ne connait pas de grand succès électoral avant 1984 : c’est la traversée du désert. Le parti compense néanmoins ses faibles scores par une capacité à durer, rare à cette époque, dans les mouvements d’extrême-droite. C’est l’occasion de mettre à jour son modèle idéologique en filtrant du discours du FN les éléments pouvant heurter les électeurs de la droite modérée et en centrant sa propagande sur des sujets susceptibles de toucher aussi bien des électeurs de droite comme de gauche. Notons l’intégration de l’immigration dans le discours du FN en 1978 avec l’affiche « 1 million de chômeurs, c’est 1 million d’immigrés en trop ».

 

Enfin, en refusant toute forme d’alliance avec la droite parlementaire, Le Pen espère faire du mouvement frontiste une alternative au système lui-même. On peut voir l’histoire du FN comme un lissage successif de son discours, au risque de perdre à chaque fois une partie de ces militants. Après la mort de leur chef, François Duprat[1], en 1978, les plus nationalistes quittent le mouvement.

Vient le temps de la consécration pour Le Pen lors des élections européennes de 1984: 11,1% des voix. Un an après la victoire au municipale de Dreux, il démontre l’existence d’un espace politique pour l’extrême-droite en France. Bien que la classe politique pense qu’il ne s’agit que d’un phénomène passager, les scores élevés du parti ne cessent pas, le leader frontiste arrive même petit-à-petit à imposer son discours dans les médias.

Le parti confirme son succès aux cantonales de 1985 (8,8%), mais ne fait élire que deux candidats sur 1521, car Le Pen maintient son choix de ne pas s’allier avec la droite parlementaire. La réforme socialiste du scrutin législatif offre la possibilité au FN de disposer d’un groupe parlementaire conséquent sans remettre en cause leur indépendance. Ce n’est pas moins de 35 élus estampillés « Rassemblement National », Jean-Marie en tête, qui vont garnir les bancs de l’assemblée, sans qu’il ait été nécessaire de remettre en question le choix, contesté en interne de ne pas mener d’alliances avec la droite « traditionnelle ». N’hésitant pas à mettre en retrait des membres historiques pour attirer des personnalités intéressées par un poste de député (Bruno Mégret notamment), Le Pen exacerbe les tensions au sein du parti.

 

Confirmations et divisions

Cependant, la personnalisation du FN par JML peut être difficile à supporter pour certains. De plus, les relatifs revers successifs que va connaitre le parti ternissent l’image du leader et surtout l’attachement au sacro-saint principe de non-alliance. En 1988, une seule députée Front National à l’assemblée se verra exclure du parti pour avoir oser critiquer le Chef. Enfin, sous la coupe de Jean-Pierre Stirbois, la frange la plus radicale s’oppose aux orientations récentes du parti.

Pour contrer l’influence importante de celui qui est son numéro 2, Le Pen va jouer les courants les uns contre les autres, en nommant Bruno Mégret comme directeur de campagne. Pour asseoir son autorité sur le FN, Le Pen est obligé de composer avec des « horlogers »[2]. La disparation de Stirbois, le 5 Novembre 1988, dans un accident de voiture à la fin de l’année fait perdre à la frange la plus radicale son leader, ce qui éloigne la possibilité d’une scission. Néanmoins, beaucoup de militants quittent le ‘’Paquebot’’.

 

Portés par un contexte favorable, les scores électoraux ne vont pas pâtir des quelques dissonances internes. Méthodique, Mégret va contribuer à faire évoluer le FN, tout en plaçant au passage ces pions au sein du parti. Partisan d’une forme d’entrisme dans la société civile comme en politique, il impulse une dynamique nouvelle et oblige le parti d’extrême-droite à s’ouvrir sur la société civile : création d’associations, de syndicats, d’un réseau d’entraide (avec plus ou moins de succès à chaque fois). Surtout, Mégret veut remporter la « bataille des idées ». Les déclarations des dirigeants de droite, que Le Pen n’aurait pas reniées (de Chirac à Sarkozy, en passant par Giscard d’Estaing) et la place médiatique des thèmes du FN montrent la pertinence du choix des théoriciens du Club de l’Horloge.

En l’absence d’accord, ces scores élevés sont insuffisants pour permettre au FN de disposer d’élus. Mégret, qui dispose de plus en plus d’importance au sein du parti, décide de contester ouvertement les positions de Jean-Marie Le Pen. Le Chef oppose à nouveau les courants du parti les uns contre les autres. Les catho-tradi, et Bruno Gollnich voient donc leur influence augmenter.

Se sentant suffisamment puissant, Mégret va choisir de créer son propre mouvement après avoir tenté au sein du FN de faire bouger les lignes (des alliances sont menées avec l’UDF et le RPR aux régionales en 1998). Si il est obligé de quitter au FN, c’est principalement parce qu’il tente de contester Le Pen. Si celui-ci ne peut subir aucune critique, c’est que d’une certaine manière, le nom « Le Pen » est indissociable, dans l’imaginaire collectif, du FN. Dès lors, la désignation de Marine à la tête du parti apparait comme quelque chose d’inéluctable (Erwan Lecoeur avait dès 2003 avancé cette hypothèse).

En 1999, la division de l’extrême droite semble être une aubaine pour reste de la classe politique, parce que le Mouvement National Républicain de Mégret est un parti structuré et relativement puissant, à même de concurrencer le  FN sur son propre terrain. D’ailleurs, les élections européennes sont un échec pour cette famille politique : 9% pour les deux partis réunis, soit moins que le FN seul 5 ans plus tôt.

Il serait pourtant faux d’enterrer Le Pen aussi vite. La multiplicité des listes de droites peut elle aussi expliquer la baisse du FN sans pour autant analyser ce score comme une perte d’audience. CPNT, De Villiers, Pasqua, les candidats susceptibles de capter l’électorat du FN sont nombreux. Dès lors, le séisme du 21 Avril est compréhensible : c’est le fruit de plus de trente ans de patience.

 

La transmission du flambeau

 

Le soir du second de la présidentielle, Marine[3] apparait sur un plateau de télévision en tant que représentante du Front National. C’est le début de l’ascension du parti pour la benjamine de Jean-Marie Le Pen. Sa stratégie de dédiabolisation au sein du parti va lui offrir les faveurs des médias. Elle est jeune, décontractée, souriante et apparait aux yeux du plus grand nombre comme ayant réussi à faire évoluer le FN sur certains sujets : laïcité, avortements, seconde guerre mondiale, etc. Elle ne fait toutefois pas l’unanimité au sein du parti. Dès 2003, au congrès de Nice, lors de l’élection du comité central par les délégués départementaux, elle arrive en 34eme position.

Au fur et à mesure que l’importance de Marine croit au sein du FN, le nombre d’adhérents et de cadres historiques, qui ont décidés de quitter le Front National ou qui ont été exclus, augmente. En 2005 : Jacques Bompard, Marie-France Stirbois et Bernard Antony quittent le navire. En 2008, c’est au tour de Carl Lang, Fernand Le Rachinel et Jean-Claude Martinez. Plus récemment, Roger Holeindre a rendu son tablier.

Ce n’est évidemment pas sans compter sur le principal courant du FN : le Lepénisme. Jean-Marie défend sa fille voire, l’impose. Malgré le peu de soutien que les militants lui accorde au congrès de Nice, il la nomme vice-présidente du parti. En 2007, lors d’un nouveau congrès, elle arrive juste derrière Bruno Gollnisch pour l’élection du comité central. La même année, elle est choisie comme directrice de campagne et devient également en charge et de la « propagande » et de la formation des militants.

Comme son influence sur le parti ne cessent de grandir, le score du FN à la présidentielle de 2007 lui est reproché. Les bons résultats du FN lors des élections suivantes et sa pugnacité à Hénin-Beaumont rassurent les adhérents qui assez logiquement la désignent comme présidente du Front National le 16 Janvier 2011, au congrès de Tour.

L’extrême-droite peut donc se résumer à un seul parti. Car, si le MNR de Bruno Mégret existe encore, il a beaucoup perdu de son audience, Bruno Mégret ayant même décidé de se mettre en réserve de la vie politique. Les résultats sont faibles et de nombreux militants ont choisi de revenir au FN.

Les positions de Marine Le Pen ne sont pas appréciées par tous les partisans de l’extrême-droite, comme en témoignent la création de plusieurs mouvements, le Parti De France de Carl Lang et la Nouvelle Droite Française de Robert Spieler. Néanmoins, il serait improbable de dire que leur récente alliance pour là présidentielle soit à même de concurrencer le parti frontiste. Depuis maintenant près de 40 ans, les Le Pen, plus que le Front National, incarnent l’extrême-droite

 

Conclusion

 

L’histoire du Front National peut donc parfaitement se fondre avec l’histoire des Le Pen. D’ailleurs, si Marine Le Pen, une femme, dirige aujourd’hui le principal parti d’extrême-droite de France, c’est simplement par qu’elle en est l’héritière. Car si Jean-Marie Le Pen n’a pas fondé le FN, il en a fait ce qu’il est, un parti puissant, sans réelle menace dans son espace politique et l’a légué à sa fille. Le parti frontiste est devenu un acteur central de la vie politique du pays sans pour autant avoir accédé au pouvoir ni mené de réelle alliance. Bien entendu, on sait que le FN a déjà dirigé des villes et localement soutenu des régions de droite sauf qu’à chaque fois, cela n’a pas atteint Jean-Marie Le Pen personnellement, et de ce fait, ça n’a pas pu être pleinement associé à l’image du parti.

L’autre caractéristique du Front National, révélée par son histoire, c’est sa capacité à demeurer le réceptacle de la colère des français. Encore une fois, c’est la personnalité de Jean-Marie Le Pen qui a permis depuis le milieu des années 80 à des gens, de droite, mais aussi de gauche, d’exprimer leur ras-le-bol à la classe politique. Ses qualités d’orateur lui ont permis de conquérir le Ministère de la Parole, et grâce à ça de défendre, sans pour autant apparaitre chez ses électeurs comme opportuniste, des thèmes aussi différents que l’anticommunisme puis l’anti-atlantisme, le libéralisme et l’interventionnisme de l’état. Ce serait sans compter sur les thèmes qui transcendent les évolutions liées à l’actualité : la nation, l’immigration et l’opposition globale au système.

Alors que certains pensaient qu’après la seconde guerre mondiale et la période des Trente Glorieuses, l’extrême-droite allait disparaitre. Mais l’illusion d’un paysage sans ce courant politique à volé en éclat. L’actualité nous le rappelle tous les jours. Les tiraillements internes à toutes les sociétés, entre conservatisme et progressisme ne pouvait échapper à la notre. Le Front National est un modèle de l’adaptation des populismes aux sociétés actuelles occidentales.

 



[1] François Duprat (1940-1978) est un écrivain, théoricien du renouveau de la pensé nationaliste et figure de l’extrême droite française dans les années 60 et 70 (notamment membre d’Occident et d’Ordre nouveau). Il a été à l’avant-garde de propositions politiques d’une importance cruciale aujourd’hui. Sa stratégie consistait à faire exploser les droites après leur avoir fait avaliser des thèmes de discrimination nationale, et ainsi (re)légitimer l’extrême droite. Une citation, que Jean-Marie Le Pen a souvent utilisé, résume bien sa pensée : « l’électeur préfère toujours l’original à la copie ».

 

[2] Le Club de l’Horloge est un cercle de réflexion, composé principalement par des hauts fonctionnaires créé en 1974 avec pour objectif de développer le logiciel idéologique de l’extrême-droite et de la droite. Le thème de la préférence national qui deviendra un élément fondamental du programme du front national au cour des années 80. Bruno Mégret y a beaucoup participé de même que Jean-Yves Le Gallou, Alain Madelin et Alain Juppé.

[3] Marine Le Pen est née en 1968 à Neuilly sur Seine. L’influence de son père sur sa vie est totale Après une maitrise de droit à l’université Paris II et avoir entamé une carrière juridique en tentant de prendre ses distances avec le Front National, elle se rapproche peu à peu de son père. Si avec Marine Le Pen, le discours change, la majorité des thèmes qu’elle met en avant sont les mêmes que son père. La principale évolution est sa volonté de conquérir le pouvoir. Jean-Marie Le Pen n’aurait évidemment refusé le pouvoir si on le lui avait donné, mais Marine Le Pen a plus que son père le désir d’y accéder par les urnes.

 

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