Retour sur la conférence organisée par le groupe local EELV de Vanves le 1er février 2017
Organisateurs
- Catherine Naviaux : membre du groupe local EELV Vanves
- François Papy : membre du groupe local EELV Vanves et commission agriculture et ruralité EELV
Intervenants
- Marc Dufumier – Professeur Emérite à AgroParisTech
- Damien Deville – Agroécologue et anthropologue de la nature, doctorant à l’INRA SAD et membre de la commission Agriculture et ruralité EELV
L’agriculture française doit changer de cap. Le modèle dominant de l’agriculture industrielle menace la biodiversité sauvage et cultivée, pollue les eaux, les sols et l’atmosphère, standardise les paysages et les territoires et met en péril un héritage culturel érigé au fil des générations. A ce bilan environnemental déjà bien référencé, s’ajoute un constat nouveau : cette agriculture, qu’on pensait si performante, n’est plus rentable dans une économie de marché non régulée et régie par le libre-échange. Le blé ukrainien concurrence les plaines de la Beauce, le soja du brésil nourrit les élevages bretons au détriment de l’herbe des prairies du Poitou ou de Normandie, le riz de l’Asie du Sud Est produit à bas coût relaye le riz camarguais et les céréales françaises au second plan des régimes alimentaires. Si l’agriculture industrielle se maintient en France, c’est parce qu’elle est aidée par toute une série de subventions qui structurent aujourd’hui les politiques nationales ou européennes.
Une autre voie d’investissement est possible. Plus durable, plus rentable elle serait également pourvoyeuse d’emplois et de diversité.
Au fond, voilà des décennies que l’agriculture est pensée de manière segmentée. Pourtant, l’agriculture par essence est plurielle : elle participe à notre santé par la qualité de ce que nous mangeons ; elle entretient un bien collectif dont nous sommes tous responsables : notre planète. Dès lors, l’agriculture ne doit plus être pensée par sa simple fonction productive : elle doit devenir système en offrant plusieurs services aux populations et aux territoires. Ainsi, assurer la transmission des traditions, favoriser des liens sociaux à l’échelle des bassins de vie, alimenter une structure écologique et assurer une alimentation saine et de qualité sont autant de ressorts qui échoient au métier d’agriculteur. Les nouveaux modèles de l’agro-écologie, de la permaculture, mais également – on en parle moins – des formes d’agriculture sociales et citoyennes (à l’image des jardins collectifs ou des fermes touristiques et thérapeutiques), deviennent des approches nécessaires pour penser les territoires de demain.
L’émergence de ces modèles où les agriculteurs sont à la fois sources et ressources demande tout d’abord une orientation technique nouvelle qui s’adapte aux éléments caractéristiques des milieux et qui exploite de manière intensive ce qui ne coûte rien : le soleil et l’azote. Elle demande ensuite, non pas des aides, mais une paye !
Les agriculteurs doivent être rémunérés pour les services environnementaux qu’ils opèrent dans leurs territoires.
Car si l’agriculture biologique et le commerce équitable ont actuellement une croissance à 2 chiffres, c’est bien vers une politique de l’offre qu’il faut aller : c’est-à-dire, encourager les agriculteurs à opérer une transition écologique de leurs exploitations agricoles. Les consommateurs en sont demandeurs. Un système de subventions pluri-acteurs peut aider dans ce sens, mais ces subventions demandent d’être redirigées. A titre d’exemple, des subventions de la PAC à destination de la restauration collective permettraient à des acteurs territoriaux de rémunérer les agriculteurs de leurs territoires de manière juste et équitable. Dans un tel système, la redistribution des subventions serait inversée : les acteurs de l’alimentation seraient aidés pour rémunérer les paysans de manière juste et équitable, et le métier d’agriculteur se verrait davantage valorisé. Côté consommation quotidienne, favoriser les circuits courts (limités à un intermédiaire) permettrait aux agriculteurs de mieux gagner leur vie et de se réapproprier les opérations décisionnelles dans leurs exploitations.
Finalement, repenser l’agriculture nécessite de changer nos façons de penser et nos manières d’agir.
Un renouvellement des outils de théorisation conceptuelle et d’opérations politiques est nécessaire : ces derniers doivent s’articuler autour de la relation d’une activité à son espace et à son environnement. Dans ce cadre, un territoire doit davantage être pensé comme paysage : c’est-à-dire comme un lieu de co-évolution permanente entre nature et culture. Ainsi définie, la construction paysagère résulte d’une obligation de moyens (et non de résultats) qui questionne l’adaptation des activités humaines à des contraintes naturelles et qui réconcilie ce qui est de l’ordre de l’ingénierie (la science) et de l’ordre du sensible (l’art).
Car un paysage c’est avant tout un ressenti, une façon de voir son territoire et de s’y identifier.
Penser l’action paysagère c’est comprendre le sens de l’action politique et citoyenne sur l’espace et sur la nature. En agriculture, ce « chemin paysager » demande d’établir un nouveau contrat social entre le milieu, les agriculteurs et les consommateurs. Articuler les systèmes de production aux conditions locales, tant au niveau des techniques agricoles que des démarches de commercialisation, constitue la clé de voûte d’un contrat ainsi pensé et conçu. C’est par le paysage que les sociétés d’aujourd’hui et de demain seront en mesure de pérenniser les actions citoyennes de lutte contre cette tragédie qu’est, aujourd’hui, la crise sociale et écologique de la modernité.