14.10.2013
Monsieur le Président de la République, Il faut en convenir, nous n’avons pas la même vision de l’agriculture. Ce que nous avons entendu dans votre discours de Cournon le démontre. Nous espérions que vous assumeriez franchement l’ambition que vous avez affiché avec la mise en place d’une répartition véritablement juste des aides qui viendrait fortement soutenir les éleveurs et favoriserait l’emploi paysan. Permettez-nous de revenir sur quelques éléments qui pourront dissiper le mirage de vos annonces.
En premier lieu, vous n’avez pas osé avoir l’ambition de plus de justice. L’Union européenne vous laissait le choix, entre 60 et 100% de convergence. Vous avez choisit de rester dans la fourchette basse, de ne pas « déséquilibrer », avec seulement 70% de convergence et une limitation des pertes à 30%. Par conséquent, c’est essentiellement le cadre imposé par l’Union Européenne qui fera évoluer les aides vers plus d’équité. Vous n’avez pas voulu aller plus loin.
Vous dites soutenir l’emploi par la surprime aux 52 premiers hectares, censée soutenir les fermes les moins grandes, car ce sont celles qui créent le plus d’emploi. Puisque nous lui en avions soufflé l’idée, nous compatissons avec votre ministre de l’Agriculture qui s’est battu au niveau européen pour l’obtenir, avant de se voir désavoué par vos soins. Au lieu de la doter de 30% des aides du premier pilier, vous ne lui en laissez que 20% et de façon progressive. Le coup de pouce est encore bien loin des attentes.
Votre leitmotiv, c’est l’annonce de la réorientation d’un milliard d’aides en faveur de l’élevage. Mais nous ne sommes pas dupes. En grattant un peu le vernis, on se rend vite compte qu’il ne vient que confirmer les inégalités du système, et favoriser l’agrandissement et l’industrialisation de l’agriculture, aux dépends de l’emploi paysan.
Dans les 13% d’aides couplées, vous auriez pu choisir de venir soutenir les productions les plus en difficultés. Les producteurs de fruits et légumes ainsi que les éleveurs de petits ruminants attendaient beaucoup de votre part, mais vous n’en avez pas dit un mot. Vous avez, par ailleurs, assuré que l’aide aux vaches allaitantes serait maintenue, tout en précisant que tous les animaux présents sur la ferme seraient désormais concernés… De la sorte, le soutien par animal se verra sans doute diminué, au détriment donc des plus petits.
Pour faire passer la pilule d’une convergence et d’une majoration minimales, vous relevez de 300 millions d’euros l’Indemnité compensatoire de handicap naturel (ICHN*). De nombreux paysans de ces territoires attendaient ces mesures qui leur auraient apporté une véritable bouffée d’oxygène. C’est presque le tiers de ce fameux milliard qui devrait être alloué à l’ICHN* ! L’enthousiasme est vite retombé puisque cet argent servira à donner une aide à l’herbe (équivalente à l’ancienne PHAE*) à tous les éleveurs, au lieu de viser ceux qui en avaient le plus besoin, à étendre l’ICHN* à de nouveaux destinataires (éleveurs laitiers de piémont et zones défavorisées), etc.
Et que dire du doublement du Plan de modernisation des bâtiments d’élevage (PMBE*) ? Avez-vous là un autre objectif que de contribuer à restructurer, agrandir, sur-mécaniser, alors que les revenus des éleveurs sont en dessous du SMIC* et l’avenir de nombre d’entre eux si incertain ?
Même sur l’installation, vous n’êtes pas allé jusqu’au bout. Vous aviez la possibilité de prendre 2% du budget et de donner un signal fort pour l’avenir. Les 1% que vous avez choisi d’accorder à l’installation ne suffiront certainement pas à assurer un nombre conséquent de nouveaux paysans chaque année.
Nous n’avons pas manqué, aussi, de remarquer que l’agro-écologie, chère à votre ministre, avait disparu de votre discours. Dans les faits, vous avez choisit un verdissement fonction de la référence historique et non forfaitaire. Pour un effort environnemental similaire, même minime, ce sont donc encore les mieux dotés qui en profiteront le plus. Dans le second pilier, vous annoncez un doublement des Mesures agro-environnementales (MAE*) et de la bio. C’est une bonne chose mais, même avec la modification des taux de cofinancement, difficile de comprendre d’où va venir tout cet argent.
Monsieur le Président, ce n’est pas de ce modèle agricole dont le monde paysan a besoin. Vous aviez, avec le cadre imposé par l’Union européenne, la possibilité de changer l’orientation de l’agriculture. De donner une chance au secteur d’être à nouveau porteur d’avenir avec des emplois nombreux dans des territoires ruraux vivants. Vous pouviez choisir une convergence à 100% et la fin rapide des références historiques qui auraient permis de supprimer des disparités héritées d’un autre temps. Des aides couplées ciblées et plafonnées sur la base des revenus agricoles auraient pu assurer la diversité de notre agriculture en redonnant du souffle, en particulier, à l’élevage de petits ruminants et aux producteurs de fruits et légumes. Une majoration conséquente sur les premiers hectares aurait permis de rééquilibrer la balance, suite à la convergence, entre grands exploitants et petites/moyennes fermes. Elle aurait favorisé l’emploi, concrètement. Mais pour la première fois, par votre arbitrage, la France va moins loin que l’Union Européenne.
Vous connaissez nos revendications, en particulier la majoration des premières unités, le plafonnement des aides et la prise en compte de l’actif paysan. Ce sont des principes fondamentaux pour une agriculture qui fasse vivre ses paysans, qui soit créatrice d’emplois, dans des territoires vivants et un environnement respecté. Ces revendications, nous les portons depuis des années, que ce soit dans le cadre des négociations européennes ou de la campagne « Sauvons l’élevage » pendant laquelle vous avez été interpellé.
Nous vous demandons donc, avec insistance, de changer de cap. C’est votre responsabilité en tant que premier représentant de l’Etat.
Monsieur le Président, nous sommes à votre disposition pour vous présenter les mesures concrètes pour une PAC* véritablement redistributive, véritablement tournée vers l’élevage et l’emploi, véritablement porteuse de justice sociale.
Dans l’attente de votre réponse, très attendue par les paysans, nous vous prions d’agréer, Monsieur le Président, l’expression de notre très haute considération.