Nitrates : le programme national risque d’être inefficace, alerte l’Autorité environnementale
Partager

Article paru dans Actu-environnement.com sous la signature de Philippe Collet

Bis repetita. L’Autorité environnementale juge une nouvelle fois que le programme national nitrates risque d’être inefficace, faute de contrôle. Elle propose de conditionner certaines aides de la PAC à l’application de la règlementation nitrates.
Globalement, le programme d’actions national nitrates peut répondre aux enjeux soulevés par cette pollution, mais « l’absence de dispositif de contrôle serait de nature à mettre en cause l’efficacité de tout le programme ». Une remarque qui concerne tout particulièrement les mesures phares du plan : pour les zones d’élevage, les règles relatives aux périodes d’interdiction d’épandage et aux capacités de stockage des effluents, et pour les zones de grandes cultures, l’obligation de couverture des sols par des cultures intermédiaires piège à nitrates (Cipan).
Telle est la principale conclusion de l’Autorité environnementale (Ae) du Conseil général de l’environnement et du développement durable (CGEDD) du ministère de l’Ecologie qui publie, ce jeudi 11 juillet, son avis relatif à l’évaluation environnementale du programme d’actions national nitrates.
C’est la deuxième fois que l’Ae se penche sur la stratégie nationale de lutte contre la pollution aux nitrates. En octobre 2011, elle avait déjà estimé que le nouveau programme national pouvait théoriquement limiter les épandages à condition qu’il ne se limite pas à une « obligation formelle » sans grande portée sur le terrain. En cause, déjà, la difficulté des contrôles.
A noter que, comme pour son avis précédent, l’Ae revient sur la modification de la surface de référence d’épandage (toute la surface agricole utile, contre la surface « épandable » précédemment) et le plafonnement à 170 kg d’azote organique par hectare. Cette réforme, très contestée, « permet d’augmenter les épandages et donc les risques de pollution », rappelle l’Ae, estimant que « le seul critère de « fertilisation équilibrée » (…) [peut] ne pas suffire à respecter les objectifs de qualité des eaux ». Elle recommande par ailleurs de poursuivre les démarches visant à obtenir, conformément à une possibilité ouverte par la directive, une dérogation pour l’élevage en plein air.
Pas de contrôle, pas d’efficacité
S’agissant des zones où globalement les concentrations en nitrates ont été stabilisées, c’est-à-dire les zones d’élevage, l’Ae note que le programme national « prolonge, précise ou parfois améliore des dispositions déjà mises en œuvre dans les programmes départementaux antérieurs ». Néanmoins, la combinaison des règles relatives aux périodes d’interdiction d’épandage et aux capacités de stockage des effluents d’élevage « représente une contrainte significative pour les exploitations existantes qui y seront nouvellement soumises ». Aussi, estime-t-elle qu’« un dispositif de suivi et de contrôle bien conçu et appliqué est (…) indispensable ». De même, « un dispositif de soutien financier à la mise aux normes » peut être nécessaire. Des aménagements d’autant plus important que ces mesures « constituent la base du programme dans ces zones ».
Quant aux zones où globalement les concentrations en nitrates continuent à augmenter, les zones de grandes cultures, l’Ae juge que la mesure phare, la couverture des sols par des Cipan, pourrait être altérée lors de sa mise en œuvre. « La possibilité d’adaptations régionales selon des règles d’encadrement assez souples ne permet pas d’en évaluer l’effet positif au stade actuel », déplore-t-elle. De même, elle souligne avec ironie que « la « fertilisation équilibrée » reste, comme par le passé, le principal outil de l’amélioration attendue d’une situation qui, actuellement, continue à se dégrader ».
Utiliser le volet verdissement de la PAC
Et d’en conclure que « dans les deux cas, et outre l’indispensable programme de communication et de mobilisation auprès du monde agricole, l’absence de dispositif de contrôle serait de nature à mettre en cause l’efficacité de tout le programme ». L’Ae craint en particulier que les sanctions pénales normalement encourues par tout contrevenant « resteront probablement de portée limitée ». Aussi, suggère-t-elle de lier le respect des mesure du programme national nitrates au versement des aides agricoles communautaires. « Ces contrôles sur la mise en œuvre de pratiques respectueuses de la qualité de l’eau sont à prévoir dans le cadre de la mise en application en France des nouvelles règles de la politique agricole commune (dites de « verdissement ») », estime l’Ae.
Des mesures améliorées
Par ailleurs, l’Autorité juge que l’application du programme national, son évaluation et sa future révision nécessitent des compétences scientifiques de haut niveau. Elle recommande donc « de définir les modalités de travail en commun des organismes scientifiques spécialisés, des organismes professionnels et de l’administration permettant d’assurer un suivi efficace de ce programme ».
 
Concernant les aspects techniques du plan, l’Autorité note des progrès par rapport au système précédent. C’est le cas notamment du calendrier définissant les périodes minimales d’interdiction d’épandage de fertilisants agricoles qui « limite les apports pendant les périodes les plus critiques, et constitue donc un progrès par rapport au régime antérieur », à condition, bien sûr, « d’encadrer strictement les possibilités de dérogations départementales ».
Autre progrès, le calcul de la capacité de stockage des effluents d’élevage à partir du nombre de mois de production est plus lisible que la méthode antérieure, même s’il reste encore à définir la méthode de calcul à partir du cheptel.
De la même façon, le calcul par îlot cultural des apports d’azote et de leur mobilisation par les cultures « est dans son principe favorable à l’environnement ». Mais, une fois encore, l’Ae juge la méthode « très difficilement contrôlable ». Le système « repose donc sur la motivation et l’action individuelle d’un très grand nombre d’acteurs », explique l’Ae qui appelle à mettre en place « un programme spécifique très ambitieux de communication, de conseil, d’appui et de contrôle ».

Philippe Collet