Assises de la Ruralité
Contribution de Brigitte ALLAIN, députée de Dordogne
Co-présidente du groupe d’études « Politiques de la ruralité »
« Les territoires ruraux, des territoires de projet et d’opportunité »
Le contexte:
Les Assises de la Ruralité, pilotées par la Ministre du logement, de l’égalité des territoires et de la ruralité, interviennent sur fond d’inquiétudes et d’interrogations liées à la réforme prévue de notre organisation territoriale et à la baisse des dotations de l’État.
Personne ne remet en cause une nécessaire réforme territoriale mais elle apparaît aujourd’hui
comme peu lisible, trop technocratique et manquant de sens et de construction sociale avec une crainte de «dévitalisation des territoires ruraux».
Voir l’échelon départemental sacrifié au profit de régions XXL pour reprendre l’expression de Monsieur Claudy Lebreton, Président de l’Assemblée des Départements de France, accroîtrait encore les inégalités et ferait reculer la démocratie de proximité.
Les craintes et les interrogations exprimées par un grand nombre d’élu-e-s et de citoyen-ne-s ruraux sont donc légitimes et méritent une attention particulière si nous voulons préserver la diversité de nos territoires et refuser ce que plusieurs géographes appellent « les fractures territoriales ».
Disons-le : la question rurale et des nouvelles ruralités méritent non pas des énièmes dispositifs mais plutôt d’un autre regard et d’une prise en compte de leurs ressources environnementales et humaines qui ne sont pas toujours comptabilisées dans notre sacro-saint PIB.
Ces richesses naturelles, patrimoniales reconnues et valorisées seront sources de nouvelles activités et de nouveaux modèles écologiques, économiques et sociaux pour le XXIème siècle.
Mais c’est peut-être dans la difficulté que se révèlent aussi les envies et les volontés des élus et des acteurs locaux de redécouvrir, reconnaître et défendre leurs territoires dans toute leur diversité.
1 – Sortir des clichés
Il convient de sortir des clichés et des représentations et de ne pas porter des discours trop défaitistes et anxiogènes.
Partout, germent des initiatives portées par des personnes qui ont des envies et des capacités d’innovation, malgré des cadres administratifs et structurels peu adaptés.
L’envie de vivre à la campagne et de faire vivre les campagnes ne sont pas que des slogans : c’est une réalité.
La crise systémique que nous vivons nous ramène à des choses essentielles. Le constat des problèmes économiques, sociaux et écologiques posés par notre modèle de croissance est aujourd’hui assez largement partagé. Cette croissance liée à la consommation n’est plus synonyme de croissance de bien-être mais plutôt de croissance des frustrations.
Le milieu rural a pu être attiré par cet eldorado de la consommation lors du siècle dernier, mais les habitants d’aujourd’hui prennent conscience que leur bien vivre ensemble se construit en équilibre avec des lieux de vie organisés collectivement, dans la coopération et l’implication des citoyens et non par des schémas pré-bâtis pour eux.
2- La crise : une opportunité pour repenser l’organisation des activités autour des besoins et des aspirations locaux
Les territoires ruraux restent des lieux d’activité économique dans les secteurs aussi divers que l’agriculture, l’énergie, le bâtiment, l’agroalimentaire, l’industrie, l’artisanat, le tourisme…
Il y a une aspiration à reprendre en main l’économie réelle, pour engager la transition écologique partout grâce à des modes de production et de consommation renouvelés vers plus de proximité.
Il y a également un besoin de conforter ce qui existe et ce qui marche, notamment au travers du tissu dense des TPE, PME, artisans et des acteurs de l’économie sociale et solidaire. Cette reprise en main des activités à une échelle locale pertinente est source d’emplois non délocalisables.
3- Les freins à lever
– Disposer de l’ingénierie territoriale et de moyens d’animation suffisants
Construire des stratégies pour les territoires ruraux nécessite de disposer d’une ingénierie territoriale coordonnée et mutualisée. Il est également nécessaire de mettre en oeuvre des dispositifs d’animation avec des personnes qui permettront la concertation, la prise de décision.
Éduquer au territoire, c’est d’abord impliquer! Notre pays a hérité d’une tradition colbertiste et nous savons que les changements d’habitude sont toujours difficiles.
Les démarches inscrites dans les Pays, et maintenant les PETR (Pôles d’Équilibre Territoriaux Ruraux) nécessitent d’impliquer tous les acteurs et les citoyens. Ce ne sont pas démarches simples, chaque acteur ayant souvent sa propre logique. Cela nécessite de prendre du temps mais permet d’en gagner sur l’acceptation et la compréhension des décisions qui en découlent.
En effet, néo-ruraux et ruraux historiques ont les mêmes aspirations et les besoins des jeunes générations rejoignent ceux des plus âgés. Il est donc urgent de décloisonner pour faire société.
Bâtir avec tous les citoyens un projet territorial permet d’anticiper sur son impact écologique, social et économique mais aussi financier… Et donc fiscal.
– Simplifier les dispositifs
Nous devons avancer sur l’idée de guichet unique pour les financements et l’accompagnement méthodologique des projets.
L’animation est un élément incontournable pour permettre la transversalité et une approche décloisonnée. Les synergies crées par les intercommunalités aujourd’hui reconnues et appréciées ont fait sauter les « frontières » des clochers tout en préservant cet attachement au village créateur de lien social.
Ce sont donc ces intercommunalités qu’il faut renforcer par une meilleure approche participative citoyenne, soutenue par des animateurs de projets.
– Faciliter toutes les mobilités
– Disposer du très haut débit pour tous
C’est une demande légitime des acteurs locaux (élus, acteurs socio-économiques et citoyens). La préservation et le développement des activités et des services ne pourront se faire sans cette technologie qui facilite le désenclavement des territoires. De plus en plus de services et de démarches administratives transitent aussi par internet.
– Construire une offre locale de transport
Une meilleure mobilité des personnes et des acteurs socioéconomiques en milieu rural passe par le renforcement des infrastructures existantes et par le développement de transports intermédiaires en lien avec les métropoles régionales et la capitale. Les transports collectifs renforcés et le développement du ferroviaire prioritaire sont des éléments très importants pour répondre à la crise écologique et à la raréfaction des énergies fossiles.
4 – Disposer des services publics
L’égalité des territoires n’est effective que grâce à la présence des services publics, historiquement déployés sur tous les territoires : école, santé, sécurité, justice, centre des impôts. Au-delà des services, ce sont des lieux qui construisent la citoyenneté et notre lien aux politiques publiques.
Il est primordial de le rappeler à l’heure où l’on parle plus souvent de compétitivité des territoires que de présence des services publics. Préserver ce maillage de service public et au public est indispensable pour permettre le développement et l’attractivité des territoires.
Un exemple concret de développement économique local à la portée de tous les territoires ruraux : le « Projet Alimentaire territorial »
Bâtir une stratégie de territoire consiste à valoriser les atouts et les liens fondamentaux entre les habitants et entre villes et campagnes.
Bâtir cette stratégie autour de l’alimentation réside dans la capacité du territoire à reconstruire son économie locale autour de ses propres besoins.
Cela conduit la population à considérer son lien au pays: son besoin vital alimentaire est lié à sa capacité à l’assurer, le produire, l’organiser, le rendre accessible pour toutes et tous.
Bien manger est à la fois source de vie, de santé, de plaisir et de partage. C’est organiser la résilience sans remettre en cause d’autres productions de masse pour répondre à des marchés extérieurs.
Les projets alimentaires territoriaux inscrits dans la loi constituent un pilier de la nouvelle
politique de l’alimentation pour la France. Ces démarches germent partout et mobilisent tous les acteurs. C’est une formidable opportunité pour expérimenter de nouveaux dispositifs d’animation et d’ingénierie territoriale.
Organiser collectivement un projet alimentaire territorial permet de regrouper des compétences très diverses, de décloisonner, de prendre en compte des systèmes plutôt que des filières et d’innover.
C’est une opportunité à saisir pour développer du lien entre milieu urbain et rural. C’est une opportunité pour apprendre à mobiliser le plus grand nombre autour d’une stratégie de territoire et de sa mise en oeuvre.