La France et l’Union Européenne n’ont pas vocation à nourrir le monde
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La France et l’Union Européenne n’ont pas vocation à nourrir le monde

 Jacques Berthelot, le 27 février 2012

Résumé

Bien que la France ait eu un excédent de 10 milliards d’euros (Md€) dans ses échanges alimentaires (poissons inclus) en moyenne de 2000 à 2010, dont de 4 Md€ hors de l’Union européenne (UE), sans les vins et spiritueux – qui ne sont pas des produits alimentaires de base – elle a eu un déficit de 1 Md€ avec les pays en développement (PED). En effet 97 % de son excédent est réalisé avec les pays développés.

Quant à l’UE, son déficit alimentaire a été en moyenne, de 2000 à 2010, de 17 Md€ poissons inclus ou 5 Md€ poissons exclus. Ces déficits auraient été très supérieurs en l’absence des 11 Md€ d’exportations nettes de boissons, qui ont presque compensé les 12 Md€ de déficit des 59 millions de tonnes d’importations d’aliments du bétail + oléagineux + huiles et corps gras.

Comme l’UE a eu un excédent moyen de 17 Md€ sur les pays développés, ce sont les PED qui lui ont apporté une aide alimentaire structurelle de 34 Md€ par an.

Il est donc clair que la France et l’UE n’ont pas vocation à nourrir le monde. Par contre ils doivent cesser d’être nourris par les PED. Il faut aussi qu’ils cessent de leur faire du tort.

Car l’UE a exporté en moyenne pour 34 Md€ vers les PED, 10 Md€ de plus que vers les pays développés. Or ces exportations ont donné lieu à un dumping considérable, de 61 € par tonne de céréales (10 millions de tonnes), de 285 € par tonne d’équivalent carcasse pour la viande porcine et de volaille à 1026 € pour la viande bovine, et de 109 € par tonne d’équivalent-lait pour les produits laitiers (données pour les années 2006 à 2008).

N’oublions pas le dumping interne à l’UE à 27 lié à la forte supériorité des aides par hectare reçues par les agriculteurs de l’UE à 15 (282 € en 2009) par rapport à ceux de l’UE à 12 des nouveaux Etats membres (85 €). Ce dumping a été de 34 % en 2009 : 1,2 Md€ de différences d’aides relatives aux 3,5 Md€ d’exportations nettes de l’UE à 15 vers l’UE à 12. Cela représente près du double du rattrapage limité de 670 millions d’€ d’aides directes proposé par la Commission européenne pour l’UE12 d’ici 2020.

Face au déficit alimentaire structurel de l’UE, le discours dominant selon lequel l’UE doit mieux se protégerdes importations venant des pays ne respectant pas les mêmes normes sociales et environnementales est très dangereux car cela impliquerait de ne pas protégerles 15,5 Md€ d’importations issues des pays occidentaux qui respectent globalement les mêmes normes. Or ce sont ces pays qui paient les droits de douane les plus élevés puisque les PED bénéficient de droits faibles ou nuls. Cela accroîtrait fortement le déficit alimentaire de l’UE, accélérant les pertes d’emplois agricoles et tous les effets bénéfiques d’une agriculture paysanne sur des systèmes de production agro-écologique, l’occupation du territoire et le bien-être animal.

L’UE doit au contraire promouvoir à l’OMC comme dans ses accords bilatéraux la refondation des politiques agricoles sur la souveraineté alimentaire : le droit et même le devoir de chaque région du monde de baser sa politique agricole sur une protection efficace à l’importation afin d’asseoir les revenus agricoles sur des prix rémunérateurs et stables. En contrepartie tout dumping doit être interdit, y compris celui camouflé dans des subventions internes bénéficiant aux produits exportés.

Car la survie des agriculteurs de l’UE27 est liée au marché intérieur qui a absorbé, de 2006 à 2008, 85 % des produits agricoles non transformés destinés à l’alimentation tandis que les industries agroalimentaires y ont écoulé 75 % de leurs produits transformés. Si le Doha Round devait être conclu avec la baisse moyenne prévue de 54 % des droits de douane, les industries agroalimentaires de l’UE elles-mêmes n’y survivraient pas, a fortiori si un Accord de libre-échange était signé avec le Mercosur.

lire l’article intégral sur le site du Monde.fr