In vivo nous interroge
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Entretien d’octobre 2009

« Agriculture durable : quel engagement des filières coopératives ? »

InVivo est une union qui rassemble près de 300 coopératives agricoles françaises autour de différents métiers : semences, agrofourniture, nutrition et santé animales, stockage et marchés des grains, distribution grand public (Gamm vert) et professionnelle.

En collaboration avec InVivo, une étude exploratoire est menée auprès de publics différents qui sont parties prenantes du développement de la filière agricole : élus professionnels (coopératives agricoles et chambres d’agriculture), élus et représentants politiques, industrie agro-alimentaire, banque, assurance, conseil (Ademe), associations et ONG.

L’entretien pour chaque partie prenante est centré sur deux thématiques principales :

1) Du point de vue de votre organisation, quels sont les enjeux en terme d’agriculture et de production agricole durable ?

L’agriculture dominante actuelle, issue de la mal nommée « révolution verte » d’après guerre, a oublié les principes agronomiques de base (rotations des cultures, complémentarité de l’élevage et de la culture, vie des sols, observation, éthologie des animaux…) et s’appuie largement, quand ce n’est pas exclusivement, sur des intrants (engrais chimiques, pesticides, semences standardisées ne correspondant pas aux conditions micro-locales, aliments concentrés pour les animaux…).

De productive d’énergie captée par les plantes à partir de l’énergie solaire, l’agriculture est devenue hautement consommatrice d’énergie fossile (aujourd’hui les aliments qui arrivent dans les assiettes nécessitent jusqu’à 10 fois plus d’énergie que les calories qu’ils apportent). Elle est également hautement productrice de gaz à effet de serre (14% des GES, 19% si on inclue la déforestation due aux agrocarburants et à la production animale). Cette évolution est un contresens par rapport aux rôles historiques de l’agriculture.

De nouveaux modes d’organisation de l’agriculture doivent donc contribuer à la lutte contre le changement climatique, dont elle est également potentiellement victime, car non seulement la température risque d’augmenter de 4°C d’ici 2090, mais aussi les événements extrêmes vont devenir plus fréquents et plus forts, et les attaques des ravageurs vont s’accentuer, entre autre avec l’arrivée d’organismes nuisibles des régions chaudes. De ce point de vue l’agriculture doit être résiliente, grâce à une adaptabilité locale, une diversité (biodiversité des espèces et variétés cultivées, et des races élevées), alors qu’au contraire la tendance actuelle est à la simplification et à l’uniformisation donc à une fragilisation.

Pour ce qui concerne l’élevage il devient de plus en plus flagrant que les unités industrielles hors-sol sont des bombes sanitaires à retardement. Non seulement ces pratiques ne respectent aucunement l’éthologie des animaux, mais elles entraînent la souffrance des travailleurs et l’écoeurement des consommateurs quand ils sont informés.

De plus il est de plus en plus incontestable qu’une consommation quotidienne de viande (« à l’occidentale ») est intenable globalement (du point de vue des ressources, des terres, de l’énergie, des GES…), et génère de graves problèmes de santé publique (obésité…). Il faut donc mettre progressivement un terme à ces modes d’élevage, par un grand plan de conversion des élevages intensifs, et soutenir un élevage extensif, respectueux des animaux et de l’environnement.

Enfin, le sol, qui s’érode beaucoup plus vite qu’il ne se renouvelle, et qui disparaît du fait de la croissance urbaine, représente également un enjeu majeur.

Pour toutes ces raisons, la nécessité d’une agriculture « agro-écologique » ou « écologiquement intensive » (dont l’agriculture biologique est la forme applicable en Europe) est désormais admise par la plupart des milieux scientifiques. Elle est loin d’être incompatible avec la question de l’alimentation mondiale, au contraire : aujourd’hui c’est parce que nous inondons les marchés mondiaux et du Sud en particulier avec nos produits subventionnés que les agricultures locales des pays pauvres peinent à se développer. Le défi pour nourrir 9 milliards d’êtres humains à 2050 est bien de permettre à chaque grande région du monde de devenir souveraine sur le plan alimentaire.

L’objectif de l’Europe et en particulier de la France n’est donc pas d’être agro-exportateur mais d’être autosuffisant (avec bien entendu une légère marge de surplus pour faire face aux aléas annuels) et de maintenir une agriculture durable, vivante, locale, singulière, faisant la richesse des régions, de maintenir des emplois locaux et un environnement sain. Des aides pour aider une telle agriculture seraient beaucoup plus défendables du point de vue de l’OMC, en plus, car elles seraient justifiées d’un point de vue environnemental.

2) Quelles sont vos positions face aux mesures en lien avec le Grenelle concernant les thèmes suivants

– certification HVE des exploitations :

Les discussions sur HVE ont permis de poser les bonnes questions. Mais notre soutien à ce dispositif dépend de la rigueur et de la clarté avec laquelle il sera mis en œuvre :

- nous y sommes défavorables si le projet est de certifier des produits (car les consommateurs sont déjà perdus dans la jungle des labels, et la confusion avec le bio est grande, pour une efficacité environnementale et sanitaire moindre). En revanche, si HVE est un outil de valorisation qui incite les exploitations à s’engager dans une démarche continue d’amélioration environnementale, servant de base par exemple à une redistribution des aides du premier pilier, nous y sommes très favorables.

- nous craignons la confusion entretenue entre les niveaux 1, 2 et 3 de HVE, en termes de communication, alors que les niveaux 1 et 2 n’apportent rien sur le plan environnemental : conformément aux engagements des pouvoirs publics, seul le niveau 3 doit permettre de prétendre à la qualification HVE pour les exploitations, à condition que les critères du niveau 3 restent suffisamment ambitieux (par exemple en reprenant les propositions de FNE).

– Ecophyto :

Ce plan sert surtout à mieux utiliser les pesticides. Il ne va pas assez loin et, le lien entre conseil et vente de produits n’ayant pas été remis en cause, les chances d’atteindre des objectifs fixés sont réduites.

Les agriculteurs sont les premiers à vivre les conséquences de l’emploi généralisé de pesticides (cancers, stérilité …). Il est nécessaire que le travail de veille sur les pesticides commence par un travail d’évaluation épidémiologique chez les agriculteurs les plus exposés.

Il aussi indispensable d’être capable de changer d’échelle d’analyse, d’arrêter d’avoir le nez collé sur la parcelle, et, comme dit précédemment, de revenir aux fondamentaux de l’agriculture : quand une microrégion pratique une monoculture, il est illusoire de vouloir diminuer l’utilisation des pesticides. Si la pyrale du maïs devient résistante aux insecticides, il n’y a qu’une solution technique et économique : réintroduire de la diversité, des techniques culturales qui permettent de diminuer la pression des ravageurs (rotations, espèces et variétés plus rustiques).

– Qualité de l’eau :

Le Grenelle n’apporte quasiment aucune ambition supplémentaire par rapport à ce qui était déjà prévu par les SDAGE des bassins français. Protéger 500 captages sur 35 000 c’est peu.

Le problème central reste la concentration des élevages sur le territoire, et l’absence de production végétale régionalisée pour nourrir ces élevages. Il est urgent de restaurer le lien entre productions animales et végétales : que les nitrates se retrouvent dans les eaux souterraines, c’est d’abord une perte pour l’agriculture et ensuite c’est une grave nuisance pour les autres utilisateurs des ressources.

Les grandes cultures irriguées posent un problème particulier, tant pour la qualité de l’eau que pour la gestion de la ressource hydrique. Leur extension depuis 20 ans, en monoculture sur des régions entières, n’est pas compatible avec une agriculture durable soucieuse des pollutions qu’elle génère et doit être remise en cause. Plutôt que d’essayer d’économiser l’eau à la marge via des systèmes d’irrigation performants, il nous semble important de faire le choix de productions et variétés adaptées aux climats locaux autant que possible.

– Biodiversité :

Le projet des trames vertes et bleues devrait contribuer à enrayer quelque peu l’effrayante érosion de biodiversité que connaît notre époque. Mais est-ce suffisant ? A notre sens le meilleur moyen de maintenir la biodiversité serait, outre d’entretenir quelques espèces particulières dans des « zones tampons », de travailler avec la biodiversité dans les zones productives. Pour cela le meilleur moyen serait de généraliser des pratiques agro-écologiques (telles que proposées par l’agriculture biologique). Dans un premier temps il faudrait au minimum développer une agriculture périurbaine agro-écologique pour répondre à la demande actuelle (25% d’augmentation de la demande en produit bio en 2008, 10% les années précédentes), développer les infrastructures de régulation écologique (haies, bandes enherbées, prairies arborées …), maintenir et restaurer les zones humides. En revanche nous ne sommes pas pour le blocage des prairies classifiées comme permanentes (il existe des rotations avec de la prairie qui se font sur plus que 5 ans, ce qui n’empêche pas qu’il y ait aussi des prairies permanentes à rémunérer).

La biodiversité sauvage est notamment menacée par l’effet des pesticides et des herbicides sur les espèces animales insectes, oiseaux, et végétaux, mais également par les effets indirects du « régime maïs soja » et des agrocarburants sur la destruction des milieux tropicaux et équatoriaux.

Concernant la biodiversité des espèces cultivées et des races domestiques, le Grenelle ne prend pas en considération sa diminution dramatique et les effets dévastateurs du Catalogue des semences via des critères de sélection productivistes.

– Agriculture biologique :

Les objectifs du Grenelle sont intéressants, nous y souscrivons, mais les moyens pour les atteindre nous semblent hautement insuffisants. Les vrais freins à l’installation en bio et à la conversion (collecte et mise en relation avec la demande, accès au foncier, manque de moyens humains au sein des Groupements d’Agriculture Biologique) ne sont pas levés. – Connaissance des parties prenantes :  ???

3) En conclusion quelles recommandations adresseriez-vous aux coopératives agricoles ?

1- Que les coopératives gardent la vocation initiale de la forme coopérative : se mettre au service des paysans et de leurs choix agronomiques.

Actuellement, le poids des services commerciaux, dans beaucoup de coopératives, est devenu tellement prépondérant dans les décisions qu’elles obligent bien plus souvent les adhérents à s’y adapter aux besoins du commerce qu’aux commerciaux à s’organiser en fonction des contraintes agronomiques de leurs coopérateurs. Même les administrations y cèdent de manière inacceptable : nous trouvons inadmissible que des coopératives spécialisées dans le maïs aient obtenu pour les maïsiculteurs une dérogation à l’obligation de rotation, simplement par refus de s’occuper de nouvelles productions : c’est le monde à l’envers (et c’est la cause de graves problèmes sanitaires). La rotation est une nécessité, l’agronomie impose ses évidences, les coopératives doivent respecter les choix techniques des agriculteurs, s’y adapter et évoluer, inventer des filières, créer des marchés.

Or cela conduit à des blocages dans la conversion vers des agricultures durables. Même si les coopératives agricoles commencent à s’intéresser à des filières bio, leur refus de prendre en charge certains produits contraignent les producteurs bio à des assolements absurdes et peu efficaces. Avec le bio et les modes de production durables, où les contraintes agronomiques ne peuvent pas être gommées à coups de pesticides, il est nécessaire que les coop retrouvent l’esprit coopératif de leurs débuts, rompent avec une forme d’inertie commerciale et soient prêtes à prendre en charge une plus grande gamme de produits.

2- Arrêter de faire du conseil tout en vendant des intrants, car les conseils sont forcément orientés. Ou bien au contraire faire du conseil agro-écologique en arrêtant de vendre des engrais et des pesticides.

3- Aider à la mise en connexion des producteurs de fumier avec les demandeurs de fumier, faciliter la production de semences locales par les réseaux d’agriculteurs, adaptées aux conditions micro-locales et à la nécessité de consommer peu d’intrants.

4- Plutôt que de chercher des solutions pour dépolluer les effluents d’élevage ou réduire les émissions de méthane, diffuser des solutions pour ne pas les produire (porcs sur litière de paille, alimentation à l’herbe). Faire également la promotion des dispositifs de « mise aux normes » économes et légères, accessibles à moindre coût aux petites exploitations.

5- La durabilité c’est aussi la transmissibilité des exploitations : encourager une réflexion sur la rentabilité des exploitations sans augmentation de surface ni surendettement, à travailler par exemple sous l’angle de l’autonomie de l’exploitation et de l’agriculture biologique.

6- Organiser la prise en compte des problèmes à une échelle régionale, voire interrégionale (complémentarité élevages/cultures).

7- Réduire au minimum la fourniture de pesticides aux jardiniers amateurs,

8- Commercialiser des plants et des semences paysannes