Par le bureau de la Commission Agriculture et Ruralité d’EELV
Une cellule interministérielle a été mise mise en place l’automne dernier pour étudier une cinquantaine de « projets de territoires » relatifs à plusieurs centaines de projets de retenues d’irrigation.
Suite aux sécheresses subies sur la plupart du territoire cet été, qui pourraient se répéter et s’accroitre avec le changement climatique, les ministres de l’agriculture et de la transition écologique ont souhaité dans un communiqué commun le 9 août encourager la sobriété des usages et réguler en amont la ressource, grâce notamment à l’innovation et réaliser, là où c’est utile et durable, des projets de stockage hivernal de l’eau afin d’éviter les prélèvements en période sèche. Ils ont également annoncé la mise en place de la fameuse cellule d’expertise chargée d’examiner les cas de tous les projets de territoires en cours pour voir s’il est possible d’accélérer leur réalisation.
Face à la menace des sécheresses, une pression agricole croissante, bien compréhensible, est à l’œuvre pour la création de retenues pour l’irrigation. Tout porte à croire que le dispositif mis en place pour examiner les demandes a pour objectif principal d’accélérer leur mise en œuvre. Pourtant, l’Etat devrait-il encourager la création de retenues d’eau dans le contexte du changement climatique ? Cela correspond-il vraiment à l’ambition portée par Stéphane Travert d’une agriculture la plus vertueuse possible » et d’une « politique de gestion de l’eau prenant en compte les changements de long terme pour préserver durablement les ressources naturelles ? Il est permis d’en douter, comme le montre d’ailleurs la réaction heureuse du ministre de l’agriculture sur un autre sujet touchant également la politique de l’eau mais cette fois en termes de qualité : la reconduction de l’autorisation du glyphosate par l’Europe.
En effet le développement de nouvelles retenues d’eau est loin de constituer un gage d’adaptation au changement climatique de durabilité.
Un grand nombre d’études, de prospectives et de stratégies questionnent l’adaptation de l’agriculture en France par rapport aux menaces climatiques mais également sa contribution à l’enjeu de l’atténuation, c’est-à-dire la réduction des émissions de gaz à effet de serre responsables du changement climatique, qui demeure central puisque les efforts consentis actuellement en agriculture comme dans les autres secteurs sont très loin de nous conduire sur la trajectoire visant +1,5°C à la fin de siècle fixée par la COP21. Adaptation et atténuation doivent avancer «main dans la main » et la première des adaptations est bien l’atténuation, pour éviter que ne surviennent des situations chaotiques et des conflits liés à l’eau. Cela tombe bien : les solutions mises en avant pour l’atténuation en agriculture, y compris par les chambres d’agriculture, sont le plus souvent bonnes pour l’adaptation. Allongement des rotations culturales, développement des légumineuses, des haies, accroissement de la teneur en matière organique et vie des sols… A quoi il conviendrait d’ajouter le choix de cultures plus adaptées à la sécheresse, le mélange de variétés, des parcelles diversifiées sur le plan génétique au lieu des champs de clones actuel, des semences adaptées aux conditions locales, grâce à une sélection participative avec les paysans, plutôt que confinée en laboratoire et monopolisée par les géants semenciers. Toutes ces transformations expérimentées çà et là mais très loin d’être généralisées, demandent énormément d’efforts de la part du monde agricole et pourraient s’avérer salutaires dans un contexte de crise en rendant les agriculteurs plus autonomes par rapport aux fournisseurs d’intrants et de crédit, et en les amenant sur la voie de la qualité. Ces transformations profondes nécessitent impérativement un accompagnement conséquent de la part des services de l’Etat et des chambres d’agriculture, en termes de soutien financier face aux risques pris, de sensibilisation, de formation, de partages, de mise en réseau. Or c’est exactement l’inverse qu’on nous annonce, puisque le développement de retenues représente la « solution » facile n’impliquant aucun changement en profondeur, et éloigne les agriculteurs de la voie de l’adaptation. Ces retenues, parfois des « bassines » construites sur des terrains plats et alimentées par des pompages en nappe, alors même que les nappes constituent des réservoirs de stockage souterrains non soumis à l’évaporation, sont des illusions qui détournent les agriculteurs de l’objectif en leur faisant croire qu’ils pourront continuer comme avant. Que se passera-t-il en effet le jour où ces retenues ne pourront plus être remplies faute de ressource suffisante dans les nappes ou les rivières ? Du jour au lendemain, les agriculteurs devenus dépendants de cette eau se retrouveront confrontés à la sécheresse, sans s’y être préparés. La première des priorités, en vertu de l’adaptation et de l’atténuation, doit donc rester la transition agroécologique.
Tous les enjeux actuels (santé publique liée aux pesticides, effondrement de la biodiversité, dégradation des sols, changement climatique, crises sanitaires à répétitions…) mais également les attentes des citoyens convergent de manière croissante vers la nécessité de développer l’agroécologie, qui est loin de se résumer à l’agriculture sans labour ou au plan Ecophyto, comme voudrait nous le faire croire Stéphane Travert, mais dont le modèle le plus abouti reste l’agriculture biologique. Plutôt que de déverser des millions d’euros issus des poches des citoyens pour la construction de retenues d’irrigation empêchant les agriculteurs de s’adapter, l’Etat ferait mieux de mettre les bouchées doubles pour développer une agroécologie contribuant à l’atténuation et adaptée aux changements climatiques qui se profilent. Cela ne signifie pas que l’irrigation est à bannir, mais son développement, quand les ressources actuelles et prévisibles le permettent, ne devrait être pensé qu’une fois pris le chemin de l’adaptation.