Au Sénat : playdoyer pour une meilleure prise en compte de l’hyper-ruralité
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Joël Labbé, Sénateur du Morbihan est intervenu cet après-midi dans le débat qui faisait suite au rapport d’Alain Bertrand  : « Un pacte national en 6 mesures et 4 recommandations pour « restaurer l’égalité républicaine »

Madame la présidente,

madame la ministre,

mes chers collègues,

 

Pas de sous-territoires pas de sous-citoyens, c’est le maître mot de ce débat.

Je salue l’excellente qualité  de  ce rapport et l’approche fine de son auteur Alain Bertrand qui connaît particulièrement bien le sujet et ne manque jamais de nous rappeler de ne pas oublier ceux qui sont trop souvent au rang des oubliés.

Avant d’apporter mon point de vue sur ce rapport je voudrais déplorer une fois encore la manière dont nos réflexions politiques sont de plus en plus segmentées et sectorisés : politique de la ville, des banlieues , des zones prioritaires, …

Face à cette approche urbaine, on réfléchit en parallèle sur une nécessaire approche de la ruralité : actuellement ont lieu les assisses de la ruralité dans nos territoires à l’initiative du premier ministre, voulant adresser un signal fort en direction des collectivités et acteurs économiques, et soucieux des territoires ruraux en général. (d’ailleurs, 4 de vos collègues  ministres étaient  présents  à Plélan-le-Petit au cœur de la Bretagne profonde).

Mais les déséquilibres de développement de ces dernières décennies ont fait émerger, parmi ces territoires ruraux, de plus en plus ruraux encore (Dans le sens de plus en plus déshérités )

Ceux que l’on appellent maintenant les territoires hyper-ruraux, ceux concernés par le rapport qui nous est présenté aujourd’hui.

Il s’agit bien du résultat d’un déséquilibre de mode de développement trop débridé et sans perspectives, par lequel complémentarité, et solidarité ont laissé  place à concurrence et compétitivité. Au fil des pages de ce rapport, on constate, madame la ministre, que l’état n’a pas joué  son rôle, n’a plus joué son rôle.

L’hyper-ruralité, tel que définie dans le rapport de notre collègue Alain Bertrand représente : 250 bassins de vie, 3,4 millions d’habitants, 26 % du territoire, il s’agit bien d’une composante importante de notre pays, et nous ne pouvons nous affranchir d’une réflexion éclairée sur le sujet. Notre collègue Alain Bertrand nous en donne une analyse fine, accompagnée de nombreuses propositions, dans son rapport remis à la ministre de l’égalité des territoires.

Ce que l’on appelait à une époque la diagonale du vide, qui traversait la France du Sud-Ouest au Nord-Est. Cet notion était bien trop imparfaite car elle négligeait les espaces hyper-ruraux des alpes et des hautes-alpes, de la Corse, du centre Bretagne, de la Normandie …

Ces espaces se caractérisent par une population Vieillissante et de faible densité, ainsi qu’un enclavement important, éloigné des pôles d’emplois et de service.

Les propositions du rapport Bertrand sont variées, certaines relèvent du bon sens et de la bonne gouvernance de nos zones rurales : comme la rénovation du foncier Bâti pour revivifier les bourgs, le renforcement de l’attractivité des postes de fonctionnaires dans les zones hyper-rurales, la refonte de la péréquation financière en zone rurale, la révision de la fiscalité des entreprises en zone rurale, le guichet unique, l’implantation des services de l’Etat en territoire rural,

D’autres méritent qu’on prenne des précautions, à ce titre le seuil de 20 000 habitants en zone hyper-rurale que vous préconisez dans votre rapport risque de brouiller le lien entre un EPCI son bassin de vie et son bassin d’emploi (si tant est qu’il en ai un ?). Fixer un seuil arbitraire élevé me semble risqué. Il est préférable de mettre un certain nombre de critères, et de conserver les notions de seuils comme des objectifs auxquels il ne faut pas hésiter à déroger chaque fois que l’EPCI ne correspondrait plus à une réalité tangible sur le territoire. Nous avons d’ailleurs eu la confirmation de la part de votre ministère, madame la ministre, que des dérogations seront permises pour les îles par exemple. Ce qui était une demande forte de la part de îliens, et nous vous remercions pour votre écoute sur le sujet. Dans la même logique, si l’on reprend votre définition des territoires hyper-ruraux un rapide calcul montre que les 250 bassins de vie, que vous avez dégagé, comptent en moyenne 13 600 habitants, nous sommes bien loin du seuil de 20 000. Alors évidemment, dans un EPCI on peut marier un bassin de vie, un bassin d’emploi, une petite ville. Mais lorsque l’on est si éloigné du seuil, je maintien qu’il faut rester prudent.

Sur les EPCI toujours, vous proposez : “d’étudier de nouveaux modes de gouvernance pour les EPCI comportant de nombreuses communes, comme la création d’un organe exécutif distinct de l’assemblée plénière où toutes les composantes seraient représentées (à l’image de la collectivité territoriale de Corse), notamment tous les maires. C’était l’une de nos propositions lors de la réforme territoriale.

Nous saluons cette proposition qui va dans le sens d’une séparation des organes exécutifs et délibérants dans les collectivités territoriales. Je vous rappel a ce sujet l’existence d’un rapport du service de législation comparée du Sénat (LC 235, intitulé : “Les droits de l’opposition et la séparation des pouvoirs au sein des collectivités territoriales“ sorti en mai 2013) qui nous montre comment certaines collectivités européennes ont mise en place une séparation des pouvoirs entre l’organe exécutif et l’organe délibérant. Il conviendra le moment venu de ne pas oublier les citoyens dans les choix de l’intercommunalité, le premier pas étant certainement d’élire les membres des EPCI au suffrage universel direct sur un scrutin de liste représentant l’ensemble de l’EPCI et non seulement la commune. C’est la seule manière de permettre le développement de véritables projets de territoires, et d’intéresser enfin les citoyens aux affaires des EPCI.

Pour aller plus loin, on peut souligner une initiative prometteuse autour de la démocratie de proximité avec la démarche territoire hautement citoyen lancée par l’association regard citoyen. Il s’agit d’un programme qui propose aux collectivités locales d’opérer une transition démocratique en expérimentant des formes de gouvernance ouverte. Cette démarche s’inspire d’une dynamique internationale, l’Open Governement Partnership dont la France est partie prenante. http://democratieouverte.org/projets/territoires-hautement-citoyens

Il ne faut pas négliger non plus la poursuite et l’extension de l’ensemble des démarches d’Agenda 21 en cours dans nos territoires.

Le maintien et souvent le retour des services publiques dans les territoires ruraux est une nécessité pour restaurer une forme d’égalité territoriale. Nous avons besoin d’un maillage du territoire pour éviter la vampirisation par les métropoles, des activités économiques et sociales. Pour ce faire nous devons développer des transports publics efficaces en milieu rural, des infrastructures nouvelles et innovantes qui contribueront à une nouvelle attractivité de ces territoires et favoriseront l’implantation de nouvelles entreprises.

Les Pôles d’équilibre territoriaux et ruraux ont été créé par la loi métropole, il s’agit en réalité du successeurs des pays. C’est un outil dont on peut se saisir pour répondre à l’objectif d’équilibre de nos territoires. Il est plus formel que ne l’était les pays précédemment en vigueur, toutefois il offre encore de la souplesse aussi bien dans son périmètre que dans ses actions afin de prendre en charge la redynamisation de nos territoires ruraux.

La Loi artisanat commerce nous a permis de renforcer le commerce de proximité, il est essentiel pour le maintien d’une vie économique et social dans nos bourgs de préserver les commerces existant et de favoriser l’installation de nouveaux services de proximité.

L’aménagement numérique est également un enjeu fort pour le développement des entreprises et de l’ensemble des activités sur nos territoires. Il faut également penser à intégrer dans notre champ de réflexion le télé-travail, qui est de plus en plus plébiscité par les salariés mais aussi par les entreprises. Il permet, lorsqu’il est bien maîtrisé un gain de productivité non-négligeable, et des économies certaines concernant les dépenses et les nuisances liées aux déplacements quotidiens. Et une nette amélioration de la qualité de vie des salariés.

Votre rapport souffre selon moi d’un oubli majeur, il omet d’évoquer les dynamiques agricoles. Je suis aller voir la note de cadrage, et effectivement il semble qu’il était difficile de faire rentrer ce sujet dans votre commande. Nous revenons encore une fois à ce que je soulignais en préambule, nous pensons nos politiques de manière cloisonnée alors que nous avons cruellement besoin de transversalité.

L’agriculture paysanne est au cœur de la vie rurale, les projets alimentaires territoriaux consacrés dans la loi d’avenir agricole, vont permettre une relocalisation des productions agricoles d’une haute qualité. La clé de ce renouveau rural gravite autour des circuits courts, et de l’agrotourisme, cela permettra au néo-ruraux de s’installer plus facilement et de retisser du lien social là où malheureusement trop d’agriculteurs sont dans l’isolement.

Il est nécessaire de retisser les solidarités entre le monde rural et les milieux urbains. Le triptyque Alimentation / agriculture / territoire qui caractérise le Projet Alimentaire Territorial peut constituer un axe fort du développement des territoire hyper-ruraux.

L’hyper-ruralité correspond à la fraction la plus rurale, la plus enclavée, la plus distante des services et la moins pourvue en centralités de la partie du territoire dites des “campagnes à très faible densité qui regroupe 8 % de la population sur 42% du territoire.

Cette ruralité représente alors : 5% de la population, 14% des communes sur 26% du territoire.