Affaire Findus : il n’y a pas mort d’homme, juste des pratiques ignobles
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Contribution de Yves Paccalet, philosophe, écologiste dans LE PLUS du nouvelobs.fr

 Selon l’Autorité britannique de sécurité alimentaire, les lasagnes Findus 100% bœuf contiendraient en réalité plus de 60% de viande de cheval. Pendant que les acteurs de la filière se renvoient la patate chaude, notre contributeur écologiste Yves Paccalet voit dans la succession de scandales alimentaires les stigmates d’une « dépravation indirecte des sciences ».
De la viande de cheval au lieu de bœuf : bon appétit, messieurs ! Déjà que le bœuf de boucherie est le plus souvent de la vache de réforme…

L’industrie agroalimentaire fraude à tous les étals. À tout le moins, elle laisse faire. Elle favorise la négligence. Elle n’est pas franche du collier. Elle truque, biaise, mêle et malaxe. Elle tripatouille. Elle rebaptise ses mixtures de doux noms tirés du folklore campagnard. En un mot, elle ment. Elle en a le droit puisque ses lobbyistes rédigent les lois qui la régissent aux parlements, national ou européen.

Plats préparés : ressource peu ragoûtante et publicités attrayantes

L’industrie agroalimentaire fabrique par milliers de tonnes ce qu’elle nomme du « minerai » de viande, en vérité, tous les bas morceaux : le gras, le collagène, les tendons, les viscères, etc., lesquels sont broyés, hachés, compressés, recomposés puis congelés. Des fabricants utilisent cette ressource peu ragoûtante pour confectionner des plats préparés dont ils font une publicité attrayante à la télévision ou dans les journaux.

Le risque est, bien sûr, qu’en cours de route un acteur de la filière introduise de la chair de cheval dans un « minerai » de bœuf. De la viande de chien dans un « minerai » de mouton. Du muscle de chat ou de rat dans un « minerai » de poulet…

 Personne ne peut déceler l’arnaque – ni à la vue, ni au goût, ni à l’odeur. Le seul moyen de débusquer la fraude consiste à diligenter un contrôleur, un spécialiste qui pratique une analyse ADN des tissus animaux. Cela n’arrive jamais : les contrôleurs voient leurs effectifs fondre plus vite qu’une noix de saindoux dans la poêle.

 L’affaire des lasagnes de bœuf au cheval occupe les gazettes et les plateaux de télévision. On y voit en action des éleveurs roumains, des traders chypriotes, des sociétés françaises (Comigel, Spanghero), un intermédiaire luxembourgeois (pendant qu’on y est !), ainsi que le fabricant suédois mondialisé de plats surgelés Findus.

 Tout le monde accuse le voisin. On se jurerait dans une cour de récréation : « C’est pas moi, c’est l’autre ! »

 Les gouvernements, en particulier le français, font mine d’être scandalisés par la complexité des circuits d’échanges, et par l’impossibilité de retrouver la « trace » des ingrédients douteux. On n’est pas (pas encore ?) en présence d’un empoisonnement du consommateur, ni d’une mise en danger de la vie d’autrui.

 Qu’un amoureux du cheval mange du cheval sans le savoir, qu’un musulman ou un juif ingèrent du cochon à leur insu : ils ne courent aucun risque sanitaire. Ils ne risquent pas non plus les tourments de l’enfer : nul n’est pécheur sans avoir conscience de son péché…

Dépravation indirecte des sciences

Il n’y aura pas mort d’homme, mais j’ai le regret de constater que cette histoire illustre trop bien l’inhumanité de notre espèce… Faux en écriture, malversations, détournements de produit, tromperies sur la marchandise, profits illicites : qui d’entre nous n’a jamais souffert ou ne souffrira jamais de telles conduites ? qui d’entre nous n’a pas eu, au moins de façon fugace, la tentation de pratiquer ces petites ou grandes ignominies ?

À Noël, les joujoux sont dans la cheminée, mais nombre d’enfants ont reçu un nounours dont les yeux se détachent, une poupée imbibée de produits toxiques ou un camion de pompiers à la peinture au plomb… De leur côté, les parents réveillonnent avec un « foie gras » à la graisse de porc, en buvant une piquette de mousseux baptisée « champagne » et en dansant sur des musiques volées sur l’internet.

Chacun se remémore ces produits laitiers trafiqués, vendus par des commerçants chinois sans foi ni loi, et dans lesquels les protéines manquantes étaient remplacées par de la mélamine, un formaldéhyde toxique qui a tué des nourrissons et conduit à l’hôpital des dizaines de milliers d’enfants, les reins massacrés par le poison.

Chacun se rappelle les désastres du sang contaminé ; de l’hormone de croissance extraite de cadavres à la morgue ; de la vache folle élevée aux farines animales ; de l’huile d’olive espagnole à l’huile de vidange ; ou du mortel alcool méthylique dans la vodka

Ces comportements font, hélas, partie de notre humanité profonde. On en trouve maintes descriptions dans l’histoire. Par exemple, ce passage de l’utopiste français Charles Fourier, publié en 1822 dans le « Traité de l’association domestique et agricole » :

« Par le progrès de la chimie, qui ne travaille qu’à vexer le pauvre, en fournissant au commerce des moyens de dénaturer toutes les denrées : pain de pommes de terre, vin de bois d’Inde, faux vinaigre, fausse huile, faux café, faux sucre, faux indigo ; tout n’est que travestissement dans les comestibles et les fabrications, et c’est toujours sur le pauvre que s’exerce cette gargote chimique. »

 Charles Fourier tient ces escroqueries pour une « dépravation indirecte des sciences ». Il a raison de souligner que c’est le miséreux qui trinque.