La gratuité favorise-t-elle l’usage du transport collectif ? La croissance de la fréquentation observée lors de son introduction est un indicateur trompeur, car le trafic initial est généralement très faible. La gratuité stimule certes la mobilité des usagers captifs. Elle séduit aussi des piétons et des cyclistes, mais en contradiction avec la politique de santé publique, sans gain environnemental et au risque de surcharger ponctuellement le transport public. Quant aux automobilistes, il est illusoire d’espérer leur report massif sur les bus et les tramways : une plus forte attractivité du transport public suppose en priorité une augmentation de la vitesse commerciale... et une restriction des possibilités de circulation et de stationnement dans les centres-villes.

Venons-en aux risques. La gratuité ne permet pas de pérenniser l’offre de transport public. La perte des recettes commerciales ne serait que marginalement compensée par les économies réalisées sur la billettique et le contrôle. Or, une hausse du versement transport des entreprises et des impôts locaux peut difficilement être envisagée aujourd’hui. Les dotations de l’Etat aux collectivités locales et les revenus de la fiscalité locale diminuent, et les dépenses sociales explosent. La conséquence la plus probable de l’instauration de la gratuité serait donc une diminution de l’offre, surtout dans les grandes agglomérations, au moment où il faudrait la développer pour accueillir une clientèle nouvelle.

Il serait par ailleurs très difficile de définir le périmètre de gratuité : pourquoi, afin d’éviter des inégalités entre usagers, ne pas étendre la gratuité aux cars, TER et RER, qui assurent des dessertes périurbaines ? Elle encouragerait les ménages, confrontés au coût excessif du logement dans les zones denses, à s’installer loin en périphérie et à accepter des déplacements quotidiens longs et fatigants. Et l’éparpillement, grâce à l’automobile, de l’habitat autour des terminus de lignes périurbaines et des gares périurbaines, aggraverait l’étalement urbain diffus.

Le danger d’une tarification trop bon marché du transport a été souligné par Alfred Sauvy (le Socialisme en liberté, 1970). Il dénonçait courageusement l’effet pervers de ce qu’on appelait alors l’abonnement ouvrier : «L’anti-économique est devenu, comme bien souvent, antisocial» (et anti-environnemental, aurait-il sans doute ajouté aujourd’hui).

En conclusion, dans un contexte de crise financière des collectivités et de non-maîtrise de l’urbanisation diffuse, la gratuité des transports n’est pas un sujet d’actualité. La priorité est de dégager des ressources nouvelles afin d’enrayer la dégradation de l’offre, déjà perceptible, et de permettre son développement. Une piste moins électoraliste que la gratuité mais plus féconde est la mise en place d’une fiscalité écologique : hausse des taxes sur les carburants automobiles et introduction du péage urbain.