EDF et le gouvernement se sont enfermés dans un triple déni industriel, financier et politique

Le texte de cette tribune cosignée avec mon collègue député européen Claude Turmes a été publié dans Le Monde du 30 mai 2016

 

La bêtise selon Einstein consiste à reproduire la même erreur en se disant que, cette fois, avec un peu de chance, ça marchera ! A écouter Jean-Bernard Lévy ou Emmanuel Macron à propos du projet de construction de deux nouveaux réacteurs EPR à Hinkley Point, au Royaume-Uni, on se dit que, décidément, la rationalité est devenue une terre inconnue en matière de décision nucléaire.

C’est pourtant la survie d’EDF qui est en jeu. Lucides, l’ex-directeur financier Thomas Piquemal, les syndicats, les investisseurs, les agences de notation… et les écologistes tirent la sonnette d’alarme : ce projet démesuré est la folie de trop qui tuera le géant français. Sans pour le moment ébranler suffisamment les certitudes du gouvernement et de la direction d’EDF, convaincus que la fuite en avant nucléaire reste la seule option politique, que le contribuable financera inlassablement la gabegie sans tiquer.

Mais, comme dans les dessins animés de Tex Avery, courir au-dessus du vide finit toujours mal. S’enfermer dans un triple déni industriel, financier et politique ne peut mener qu’à un effondrement brutal, rapide et irréversible.

Un déni industriel tout d’abord. A l’instar de la plupart de leurs homologues européens, EDF et l’Etat français ont délibérément choisi d’ignorer les évolutions du marché européen de l’électricité et de négliger la tendance à la décentralisation et à l’émergence spectaculaire des énergies renouvelables. La transition énergétique en Europe est le fruit du paquet « énergie-climat » de 2008. Les gains de 20 % d’efficacité énergétique qui devront être réalisés d’ici à 2020 impliquent une baisse de la demande d’énergie et une stabilisation de la demande d’électricité.

En parallèle, les énergies renouvelables connaissent une croissance de 10 % à 20 % du mix énergétique sur la même période. Dans le même temps, les coûts du nucléaire ont explosé, tandis que les coûts des renouvelables ont connu une courbe inverse. A titre d’exemple, l’EPR d’Hinkley Point s’élève à 118 €/MWh, alors que l’éolien sur terre dans ce même pays se situe autour de 95 €/MWh !

Cet aveuglement industriel a conduit EDF et l’Etat actionnaire à un second déni, financier celui-là, persuadés d’avoir les reins beaucoup plus solides qu’ils ne le sont réellement. Outre les 37 milliards de dette existante, l’électricien n’a pas la capacité financière de soutenir le projet Hinkley Point tout en investissant dans la prolongation du parc existant en France (100 milliards d’euros selon la Cour des comptes), sans oublier les 2,5 milliards supplémentaires pour racheter Areva et hériter de sa dette monstrueuse générée par le fiasco de la construction inachevée de l’EPR d’Olkiluoto, en Finlande.

Sans parler des dizaines de milliards manquants dans des fonds trop peu abondés pour garantir le financement du démantèlement et la gestion sûre des déchets nucléaires. Il est alors illusoire d’imaginer que la recapitalisation par l’Etat de 3 milliards d’euros annoncée par François Hollande (pour autant qu’elle soit autorisée par la Commission européenne) suffira à combler ce gouffre ! Les places financières n’ont pas été dupes et EDF a quitté le CAC 40 par la petite porte en décembre 2015.

Troisième déni, politique, la sécurité nucléaire. Comment un opérateur au bord de la faillite et dans la nécessité d’obtenir des ­réductions de coûts drastiques peut-il garantir l’exploitation sûre de son parc ? En raison de l’aveuglement franco-français, c’est toute l’Europe qui se retrouve dans une position de vulnérabilité : nos voisins belges, allemands, suisses, luxembourgeois s’inquiètent.

Une réflexion régionale sur la meilleure façon d’encadrer de manière progressive et ordonnée la sortie du nucléaire en France est la seule option viable. Le gouvernement français doit renoncer à la prolongation de la totalité du parc nucléaire français et cibler le « grand carénage » sur quelques centrales seulement, ce qui permettrait d’accélérer les nécessaires investissements dans la sécurité et la sûreté.

Dans l’esprit de la loi sur la transition énergétique et la croissance verte, un « EDF nouveau » doit émerger pour investir dans des segments lucratifs et novateurs comme les services énergétiques et les énergies renouvelables, dans un domaine où les acteurs sont heureusement devenus nombreux (PME, collectivités, coopératives, citoyens…).Les allemands E.ON et RWE, le suédois Vattenfall s’y sont mis, pourquoi pas EDF ? L’éolien sur terre, mais aussi en mer (fixe et flottant), est un secteur d’avenir dans lequel la France possède un savoir-faire reconnu ; le solaire est devenu incontournable grâce à une baisse significative des coûts des panneaux photovoltaïques ; l’électromobilité doit être développée, notamment en région Grand-Est afin de compenser la fermeture de la centrale de Fessenheim ; le biogaz par méthanisation (filière agricole et déchets ménagers organiques) et la conversion d’électricité renouvelable en gaz vont bientôt alimenter nos réseaux dans des proportions que nul ne soupçonnait il y a encore quelques années ; les réseaux intelligents sont également une clé de voûte du nouveau système et l’Etat devrait soutenir les investissements d’avenir de RTE et ERDF.

Il est grand temps de réaliser que l’Europe n’est pas à l’aube d’une renaissance nucléaire tant attendue mais jamais concrétisée. Et c’est tant mieux.

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