14 mars 2013
Tribune de Dany Cohn-Bendit et Yannic Jadot, députés européens, membres du groupe des Verts/ALE au Parlement européen.
Les électeurs italiens ont sanctionné la politique exigée par l’Union européenne et menée par le président du conseil sortant, Mario Monti : la rigueur budgétaire sans relance. Au-delà de traditions antiparlementaires que certains veulent voir comme un exotisme spécifiquement transalpin, le constat s’impose aux élites européennes : l’austérité technocratique n’est pas la vision du monde qu’attendent les citoyens.
C’est pourtant cette vision que tentent toujours d’imposer ses dirigeants à l’UE. Car, la crise des dettes souveraines étant passée par là, les égoïsmes nationaux ne se sont jamais manifestés avec autant de cynisme. Pour la première fois, les chefs d’Etat et de gouvernement, transformés en autant de Margaret Thatcher, ont revu le budget de l’Union à la baisse, acceptant les oukases du premier ministre britannique, David Cameron, et de la chancelière allemande, Angela Merkel, succombant aux marchandages indécents du président du Conseil européen, Herman Van Rompuy.
Le budget européen n’est pas celui d’un 28e Etat supranational. C’est avant tout un budget de solidarité, de redistribution et d’investissement. En refusant de se doter d’une capacité commune de relance, ces dirigeants ne nous infligent pas seulement l’austérité, ils nous empêchent de reconquérir à l’échelle européenne une partie de la souveraineté abandonnée depuis des années aux marchés et à la finance.
Précisons que ce budget ne représente que 1 % du produit intérieur brut (PIB) de l’UE, vingt-cinq fois moins que le budget fédéral des Etats-Unis. Le réduire serait une nécessité ? Risible. Couper dans les budgets consacrés à la recherche et à l’innovation, à la cohésion, aux réseaux européens d’énergie, de transport et de télécommunication, au verdissement de la politique agricole commune et à la solidarité internationale relèverait de l’intérêt général ? Ridicule.
La parodie de souveraineté nationale que jouent nos dirigeants nous condamne à la victoire des populismes de droite comme de gauche – qu’ils se parent de bonnets phrygiens ou de marinières. Quoi de plus facile que de s’engouffrer dans l’espace béant de désillusion démocratique qui se creuse entre les discours forgés dans le repli national et la réalité des pouvoirs tels qu’ils sont exercés par les Mittal et autres géants multinationaux, d’un côté, et les Depardieu anonymes, de l’autre ?
Pendant que les premiers jouent du chantage permanent à l’emploi pour récolter les subventions publiques tout en restructurant mondialement leurs activités, les seconds jouent de la concurrence fiscale entre pays de l’UE. Tous piétinent l’idée même d’une fiscalité européenne juste et progressive, et imposent à des Etats impuissants leurs logiques de dumping social, environnemental et fiscal.
L’exemple italien, après beaucoup d’autres, démontre que l’approche gestionnaire du statu quo libéral ne nous sauve ni de l’échec ni de la montée des extrêmes qui l’accompagnent inéluctablement. Faut-il que nos imaginaires politiques soient à ce point marqués par l’espace national pour que nos dirigeants fassent le choix du renoncement face aux marchés plutôt que celui d’une souveraineté partagée ? Qu’ils préfèrent miser sur toujours plus de libéralisme, plutôt que sur la régulation et une relance de l’économie par l’investissement durable ? Ces dirigeants réalisent-ils qu’en se privant d’un budget européen ambitieux, après avoir imposé aux Etats une discipline fiscale exercée par la seule Commission européenne, ils coupent la branche démocratique sur laquelle ils sont assis ?
Parce qu’il a le pouvoir de voter contre le budget proposé par le Conseil, le Parlement européen a rendez-vous avec l’Histoire. Sa longue marche en avant entamée en 1979 le conduit à avoir le sort de la démocratie européenne entre les mains. Elu par les Européens, il a les moyens de s’opposer à la thérapie de choc imposée par des Etats oublieux de leurs devoirs. Il a les moyens de refaire de l’UE un espace démocratique.
La reconquête portée par le Parlement serait donc double. Face aux marchés d’abord, pour redonner à la politique le pouvoir d’agir au service des citoyens. Cela passe par un budget plus ambitieux et des politiques adaptées : mutualisation des dettes, harmonisation fiscale, ressources propres, pacte social de solidarité, lutte contre le dérèglement climatique, engagement d’une troisième révolution industrielle fondée sur la transition écologique. C’est le moment de se défaire de tous les conservatismes et de renouer avec le progrès et la prospérité partagée.
Face aux Etats ensuite, qui voudraient faire croire que préserver le monde ancien relève du courage politique et qui, plutôt que d’assumer leurs décisions, préfèrent doter la Commission européenne de pouvoirs immenses sans aucune contrepartie démocratique ! Le Parlement doit assumer la codécision budgétaire et proposer les modalités d’un contrôle démocratique dans lequel se reconnaissent les citoyens européens.
Le combat pour la démocratie européenne est engagé au Parlement. Mais déjà, en France ou ailleurs, les députés européens subissent les pressions de leur gouvernement pour obtenir allégeance à la politique nationale, et les discours proeuropéens enflammés d’hier commencent à se diluer dans d’improbables explications.
Le groupe des Verts-Alliance libre européenne (ALE) refuse le sacrifice de l’Europe et défendra le droit du Parlement de voter non, pour forcer une renégociation. Après le fiasco italien, il en a plus que jamais le devoir !
Daniel Cohn-Bendit Yannick Jadot