Par Ludovic Lamant
De notre envoyé spécial à Bruxelles
Neuf mois après son élection, François Hollande doit enfin prononcer mardi matin son premier grand discours sur l’Europe devant les eurodéputés réunis au parlement de Strasbourg. L’exercice, reporté à plusieurs reprises depuis son entrée en fonctions, doit permettre au président français de reprendre la main, alors que sa volonté de « réorienter » l’Europe, vers davantage de croissance et d’investissement, ne porte plus autant qu’au printemps 2012.
Depuis l’adoption fin juin d’un pacte de croissance qui a déçu, peu de monde, à Bruxelles, s’intéresse encore au suivi de ce paquet de mesures. Pire : le concept phare d’“intégration solidaire”, que Hollande défend depuis août dernier, reste trop flou pour convaincre d’autres capitales d’y adhérer. La chancelière Angela Merkel d’abord, et le premier ministre britannique David Cameron ensuite, dans son discours marquant du 23 janvier, ont eux fixé une autre priorité à l’agenda européen : ils veulent tous deux, pour des raisons différentes, renégocier les traités.
« La vocation de ce discours ne sera pas de répondre à David Cameron », prévient-on dans l’entourage de François Hollande, même si « le président va porter des propositions qui, sur plusieurs points, seront différentes de celles de David Cameron ». Quels sont les enjeux du discours de Strasbourg ? Décryptage en trois points.
1 – Répondre à Angela Merkel sur l’« union politique »
Pour François Hollande, le retard à rattraper est énorme. Depuis des mois, la chancelière monte au créneau dans toute l’Europe pour défendre sa vision de l’Union, et tirer les leçons de la crise. Elle s’est rendue dans les capitales des pays de la zone euro les plus mal en point, de Lisbonne à Athènes. Elle est aussi venue débattre, pendant plus de deux heures, devant les eurodéputés, dans les locaux bruxellois du parlement, le 7 novembre dernier.
Ce jour-là, elle l’avait dit sans ambages : « On est arrivés à une situation catastrophique, presque fatale, pour l’Union européenne. » Pour la chancelière, la seule solution est d’approfondir l’union économique et monétaire, au sein de la zone euro, en renforçant la dimension politique de l’intégration. Il faudrait alors renégocier les traités européens – ce qu’elle propose de faire une fois passées les élections allemandes, à l’automne 2014, calendrier à l’appui. Un vaste chantier, potentiellement explosif, sur lequel François Hollande est resté quasiment silencieux depuis son élection. Lui préfère se féliciter du fait qu’à ses yeux, la crise de l’euro est « derrière nous ».
En début de mandat, son entourage était divisé sur la question d’une renégociation des traités européens (lire notre enquête). Lors de sa visite à Berlin, pour commémorer les 50 ans du traité de l’Élysée, il a pris soin d’éviter le sujet, pourtant très débattu en Allemagne. Le socialiste s’est contenté, dans son allocution aux députés allemands le 22 janvier, de cette précision : « Nous devons (…) faire en sorte que cette Union économique et monétaire débouche aussi sur l’Union politique. Je suis prêt à recevoir toutes les propositions (…) à la condition que nous portions ensemble des projets d’avenir. »[Un élément multimedia s’affiche ici, dans ce même article en ligne sur Mediapart.fr.]
Pour renforcer l’intégration européenne, la chancelière avait plaidé en décembre pour des “contrats de compétitivité”, censés inciter les États de la zone euro à réaliser des réformes structurelles, et ainsi mieux se coordonner entre eux (lire notre article). François Hollande pourrait par exemple proposer, lors de son discours de Strasbourg, des « instruments de solidarité » qui accompagneraient ces fameux contrats voulus par Angela Merkel.
À lire sur Mediapart : Angela Merkel pousse son projet devant le parlement européen.
2 – Rassurer le parlement européen sur le budget
On se souvient du grand écart français, lors des négociations sur le budget européen, en novembre dernier : faire du maintien des crédits dédiés à la politique agricole commune (PAC) la priorité, tout en plaidant pour une Europe de l’investissement et de la croissance. « François Hollande se contredit sur l’Europe », avait dénoncé l’eurodéputé Yannick Jadot dans un entretien à Mediapart, à l’unisson avec bon nombre de ses collègues. Difficile, en effet, de retrouver la logique du « pacte de croissance » cher au président, à travers cette défense arc-boutée des aides aux agriculteurs français.
À l’époque, le sommet consacré au budget avait rapidement avorté, et de nouvelles discussions, qui s’annoncent toujours aussi difficiles, sont prévues dans la nuit de jeudi à vendredi à Bruxelles. Paris n’a pas changé de cap. Le socialiste français devra donc expliquer la cohérence de ses positions, et rassurer un parlement, qui, dans sa majorité, peine à comprendre ces calculs d’apothicaires auxquels se livrent les dirigeants européens en manque de vision politique.
L’enjeu, pour François Hollande, est plus important qu’il n’y paraît. Le parlement est présidé par un socialiste allemand, Martin Schulz, qui reste, jusqu’à présent, l’un des rares véritables alliés de Hollande sur la scène européenne. Le président français sera donc contraint d’adoucir les angles, pour éviter tout « couac » avec les parlementaires sur ce sujet devenu emblématique des hésitations et désaccords de l’Union. À lire sur Mediapart : Budget européen: le bal des égoïstes.
3 – Enclencher un débat sur l’Europe en amont des élections de 2014
Aussi hasardeux soit-il, le pari de David Cameron d’annoncer un référendum sur l’appartenance de la Grande-Bretagne à l’Union a eu pour mérite de relancer le débat sur l’Europe en Grande-Bretagne – y compris chez les pro-européens. Il a également remis sur le devant de la scène les interrogations sur les bienfaits du « marché unique » en Europe – sujet cher aux Britanniques, sur lequel François Hollande ne s’est, jusqu’à présent, jamais montré très bavard.
Le contraste avec la France est cinglant : c’est à peine si l’Europe alimente les discussions ces jours-ci, comme si François Hollande, en décrétant que la crise de la zone euro était « derrière nous », avait refermé tout débat. À Bruxelles, certaines figures s’inquiètent de cette stratégie de l’autruche. Ainsi du commissaire européen au marché intérieur, Michel Barnier, qui confiait, mi-janvier : « L’Allemagne s’apprête à poser la question d’une nouvelle étape d’intégration au sein de l’Union après ses élections, à l’automne 2013. Mais personne n’en parle en France. Comme si l’Europe était une chose honteuse… Il y a urgence à utiliser l’année 2013, qui est une année suspendue, en raison des élections allemandes, pour mener ce débat. »
Reste à voir si François Hollande aura le courage d’affronter ce sujet explosif dans la seconde partie de son mandat. Début de réponse attendu mardi matin