1 janvier 2013 à 19:06 – Libération
Par YANNICK JADOT Député européen EE-LV
Salué autrefois comme un investisseur prodigue, Lakshmi Mittal impose aujourd’hui une restructuration brutale de la sidérurgie européenne. Invoquant la baisse de la demande d’acier dans le monde, le groupe ArcelorMittal a décidé que la pérennité de sites sidérurgiques comme Liège, Rodange ou Florange n’était plus assurée. Pas assez compétitifs même si, il y a peu, Florange figurait parmi les trois sites les plus performants du groupe ! Tétanisés, les gouvernements européens hésitent entre tapis rouge pour obtenir d’ultimes promesses, et guillotine pour sanctionner la brutalité et le cynisme du leader mondial de l’acier.
Aucune raison pourtant de se montrer généreux avec le groupe Mittal. Après le rachat d’Arcelor en 2006, celui-ci décide d’investir massivement dans le secteur des mines, au prix d’un endettement colossal qu’il fait aujourd’hui payer à la sidérurgie alors que la conjoncture s’est retournée. ArcelorMittal n’est pas pour autant une multinationale en faillite : en 2011 elle a engrangé 2,3 milliards de dollars de bénéfices, son chiffre d’affaire s’est accru de 8 % et ses revenus de 20 %.
Pour maximiser encore ses profits, l’industriel a même bénéficié de largesses multiples, en particulier de la politique climatique européenne. Les menaces de délocalisation, le chantage à l’emploi et les combines financières ont permis à l’entreprise de s’affranchir de ses obligations en matière de réduction de ses émissions de gaz carbonique.
Dans tous les pays européens où il est installé, le groupe Mittal s’est vu délivrer gratuitement un montant faramineux de ces permis de CO2 qui s’échangent en Bourse, lui permettant d’accumuler un trésor de guerre d’environ 1,9 milliard d’euros ! Pire, ces «droits à émettre» concernent parfois des sites industriels dont l’arrêt a été décidé peu après l’adjudication des permis, comme c’est le cas à Seraing en Belgique. Flouées, les autorités ont regardé Mittal passer à la caisse car la revente d’une petite partie de ces quotas a rapporté au groupe 70 millions d’euros en 2010 et 105 millions en 2011.
Décidément insatiable d’aides publiques, l’industriel de l’acier a également profité de 15 millions d’euros du gouvernement français au titre du crédit impôt recherche pour les travaux du centre de Maizières-lès-Metz, alors que la direction annonçait une baisse de 15 % de son budget de recherche et développement.
Ce sont cependant moins l’honneur ou l’indignité de Mittal qui sont en cause que l’impuissance des Etats à combattre cette stratégie de restructuration à l’échelle mondiale. Une stratégie qui met en concurrence les sites de production et les Etats à travers leurs normes sociales et environnementales, leurs régimes fiscaux et leurs aides publiques.
Donner des illusions aux salariés du secteur, orchestrer des annonces mal préparées et des décisions peu fiables ne sert à rien s’il s’agit finalement de reculer, de s’accommoder, d’accorder encore plus de privilèges face au chantage à la délocalisation, de toujours succomber au racket organisé. C’est la disparition de la sidérurgie qui s’organise ainsi en Europe, et les interventions publiques ne font que reculer les échéances. Tout ce qui sera obtenu pour Florange sera arraché à Basse-Indre, tout ce qui sera gagné en France sera perdu en Espagne, en Belgique ou ailleurs.
Arnaud Montebourg rappelle avec force et raison que l’économie est aussi une construction politique et que la nouvelle majorité a été élue pour porter une alternative au capitalisme pseudo-scientifique, au darwinisme social et à la destruction écologique présentés comme inéluctables. S’inscrire dans le seul champ national est toutefois une impasse, au mieux la mise en scène nostalgique d’un capitalisme d’après-guerre. La reconquête de souveraineté face à des acteurs globaux comme Mittal passe par l’Europe.
C’est à cette échelle que peuvent s’organiser la pérennisation et la modernisation des grandes industries européennes et, lorsqu’avérées, la gestion coordonnée de leurs surcapacités structurelles de production. Commençons par celles qui connaissent une crise profonde, comme la sidérurgie ou l’automobile, et celles qui structurent l’économie efficace, renouvelable et interconnectée de demain, comme l’énergie ou les transports.
Au cercle vicieux de Mittal, l’Europe doit opposer un cercle vertueux fondé sur l’innovation, la performance énergétique et carbone, la responsabilité sociale, bref la compétitivité par le haut. En Allemagne par exemple, l’entreprise sidérurgique Dillinger Hüttenwerke (DH) se diversifie et prévoit d’investir 135 millions d’euros dans l’éolien offshore. Sur son principal site de production, l’entreprise allemande s’est engagée à consacrer 50 % de ses investissements aux enjeux environnementaux. Un tiers de sa consommation électrique est déjà produit sur place. Une stratégie qui a permis à DH de se spécialiser sur des aciers à fort contenu technologique et à haute valeur ajoutée.
Il revient aux chefs d’Etat et de gouvernement européens de poser, avec le parlement européen, les premières pierres d’une souveraineté industrielle retrouvée. La toute première, puisqu’elle est en négociation aujourd’hui, consisterait à resserrer substantiellement un marché carbone européen totalement déprimé par l’excès de quotas de CO2 alloués. Accompagnée d’une taxe carbone aux frontières, une telle mesure renforcerait en Europe l’incitation à la modernisation des processus de production et générerait des revenus publics – près de 30 milliards d’euros par an – pour financer la transition énergétique et industrielle. Et pourquoi ne pas inviter Lakshmi Mittal au prochain sommet européen pour engager enfin avec lui un nouveau bras de fer pour une sidérurgie européenne moderne, compétitive, socialement et écologiquement responsable ?