Gaz de schiste : quand la bulle éclatera… (Tribune à paraitre)

Les réserves supposées de gaz de schiste en Europe apparaissent aux yeux de certains gouvernements et des compagnies pétrogazières comme une bénédiction soudaine qui permettrait de reléguer le débat sur la transition énergétique au second plan. Mieux, le gaz de schiste serait la solution miraculeuse pour faire baisser durablement le prix de l’énergie, retrouver une économie compétitive, bref sortir de la crise. Les Etats-Unis, seul pays à pratiquer l’exploitation de ces gaz non-conventionnels à grande échelle, sont érigés en modèle suprême qu’il faudrait imiter sur notre continent. C’est malheureusement oublier que ce « miracle énergétique » est d’abord un mirage, une bulle spéculative, et que les avantages économiques d’une telle exploitation en Europe sont loin d’être évidents.

 

En septembre 2009, des télégrammes diplomatiques du Consulat américain en Arabie Saoudite, révélés par Wikileaks, soulignaient le scepticisme de nombreux cadres de l’industrie pétrogazière de la région. Le vice-président de la société pétrolière nationale Aramco, par exemple, prévenait les Etats-Unis que leurs réserves de gaz de schiste étaient largement surestimées. Les grandes compagnies américaines avaient volontairement surestimé les réserves exploitables afin de faire gonfler leur titre en bourse et ainsi engranger de solides profits. Depuis, l’autorité des marchés financiers américaine à ouvert une enquête et les compagnies comme ExxonMobil et Chesapeake ont été assignées en justice. Plus important, si les prix de l’énergie issu du gaz de schiste sont relativement faibles, ils ne correspondent pas, même en excluant les coûts environnementaux, aux coûts réels de production. Certains experts évoquent un ratio de 1 à 3! Voilà pourquoi les dirigeants des principales compagnies américaines multiplient les déclarations et reconnaissent y « perdre leur chemise ». Ainsi, BHP Billiton enregistre 2,8 milliards de dollars de perte et Chesapeake a déjà revendu pour 6,9 milliards d’actifs financiers dans l’espoir de ne pas disparaître. Si les conditions se sont dégradées c’est aussi en raison du déclin très rapide de la production. En deux ans, un puits n’est plus rentable et il faut aller forer ailleurs ! On compte ainsi plus de 500 000 puits sur le territoire des Etats-Unis!

 

En France, le rapport de Louis Gallois pour la compétitivité de l’industrie française reprend les arguments fallacieux de Total sur l’exploitation des gaz de schiste et propose même de mener un programme franco-allemand de recherche sur les techniques d’exploitation. Or, à ce jour, il n’existe pas de techniques alternatives à la fracturation hydraulique. Un procédé qui utilise à la fois des quantités d’eau impressionnantes et des produits chimiques particulièrement néfastes pour l’environnement. Selon une étude de la Commission européenne sur les impacts environnementaux des gaz de schiste, les risques de contamination des sols et des eaux souterraines par les nombreux produits chimiques utilisés dans le processus sont très élevés. Sur notre territoire, une exploitation à grande échelle causerait des dommages irréversibles à l’agriculture, polluerait l’eau potable et nuirait sérieusement à la santé des populations installées à proximité des champs gaziers. De plus, les fuites de méthane qui s’échappent des puits ont un effet dévastateur, ce gaz à un coefficient de réchauffement vingt-cinq fois supérieur à celui du CO2.

 

Si plusieurs pays européens restent prudents sur le sujet tout en autorisant l’exploration, tels que l’Espagne, le Danemark, les Pays-Bas, la Suède, l’Irlande ou l’Autriche; d’autres ont choisi de stopper les travaux en attendant des études plus approfondies. C’est notamment le cas de l’Allemagne et du Royaume-Uni où les explorations ont été interrompues en raison de secousses sismiques liées à la fracturation hydraulique dans le nord de l’Angleterre. En Bulgarie, le gouvernement a interdit la fracturation hydraulique depuis janvier 2012, et en Roumanie les autorités ont décrété un moratoire à la suite des protestations de la population. Seul le gouvernement polonais semble parfaitement déterminé à lancer l’exploitation de ces gaz non-conventionnels pour s’affranchir des importations de gaz russe. Des évaluations récentes ont cependant quelque peu douché l’optimisme ambiant en divisant par sept les estimations des réserves polonaises et la Pologne devra attendre la définition du nouveau cadre législatif européen de protection de l’eau et des sols.

 

Des estimations mirobolantes, des techniques d’exploitations fortement polluantes et une population  majoritairement hostile à ces forages ne font donc pas de l’Europe l’eldorado escompté. Ajoutons que les conditions d’exploitation sur notre continent seraient très différentes de celles des Etats-Unis. Les gisements sont en moyenne plus profonds et il faudrait plus d’eau pour les atteindre. Quand on sait qu’outre Atlantique, chaque puits peut consommer de 10 à 15 millions de litres d’eau, soit l’équivalent de trois piscines olympiques, je vous laisse imaginer les conséquences pour des régions déjà confrontées à des problèmes de stress hydriques. Il y a encore d’autres problèmes, comme les difficultés d’accès aux sous-sols où se trouve potentiellement le gaz de schiste. La densité de population est bien plus importante en Europe et les lois de propriétés foncières sont aussi très différentes, le propriétaire d’un terrain n’est généralement pas propriétaire du sous-sol.  C’est bien pour tout cela que l’Agence Internationale de l’Energie a estimé que le coût d’exploitation et de développement du gaz de schiste serait deux à trois fois plus élevé en Europe qu’aux USA. Même pour le plus optimiste des analystes, le prix du gaz de schiste serait proche de celui du gaz russe et toujours plus cher que le gaz importé d’Afrique ou du Moyen-Orient.

 

S’il est vrai que l’Europe est pauvre en ressources fossiles et qu’elle dépend de plus en plus du reste du monde pour satisfaire ses besoins en gaz et en pétrole, la transition énergétique que j’appelle de mes vœux doit se baser sur deux éléments fondamentaux : l’efficacité énergétique et les énergies renouvelables. Alors que la Banque mondiale prédit une « cascade de cataclysmes » en cas d’augmentation des températures de 4°C, les négociations internationales pour un accord sur le changement climatique se sont ouvertes à Doha dans un climat d’attentisme intolérable. La feuille de route énergétique européenne doit être dictée par la lutte contre le dérèglement climatique, c’est une priorité absolue !  Les énergies fossiles s’épuisent et ne sont pas une solution d’avenir. Il faut dépasser les contraintes d’une économie encore trop carbonnée et apporter des solutions durables aux français et aux européens.

 

Yannick JADOT

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