21 NOVEMBRE 2012 | PAR LUDOVIC LAMANT
Jeudi s’ouvre à Bruxelles un sommet périlleux, qui doit fixer, sur fond de politique d’austérité partout en Europe, les grandes lignes du budget de l’Union, de 2014 à 2020. Avec, en vedette, le premier ministre britannique, David Cameron, qui va tout faire pour obtenir des coupes supplémentaires par rapport aux projets de budget déjà mis sur la table par la Commission et le Conseil européen (lire ici notre article).
Mais ce n’est pas le seul enjeu de cette réunion à hauts risques. Les chefs d’Etat et de gouvernement des 28 (les 27 de l’Union, rejoints par la Croatie l’an prochain) doivent tenter de traduire, dans des lignes budgétaires, le «pacte de croissance» qu’ils avaient signés, en juin dernier, pour soutenir la relance sur le continent (lire notre décryptage des enjeux du sommet). C’était, à l’époque, une promesse de François Hollande. Pour l’eurodéputé Yannick Jadot (Europe Ecologie), le compte n’y est pas: « Le budget consacré à la recherche et l’innovation est en train d’être sacrifié ». Entretien.
Que pensez-vous de la position française dans les débats budgétaires en cours?
Il y a une contradiction entre le projet politique intéressant d »intégration solidaire’ que porte François Hollande, et ses prises de position sur le budget. Il faut un budget à la hauteur de cette ambition. Or, là, les Français s’apprêtent à défendre un budget encore inférieur, si l’on comprend bien, au compromis mis sur la table par Herman Van Rompuy (le président du Conseil européen, ndlr), chiffré à 973 milliards d’euros sur sept ans (lui même déjà inférieur de 75 milliards à celui proposé par la Commission, ndlr).
Lors des négociations des deux premiers budgets pluriannuels, en 1988 puis en 1993, Jacques Delors, un socialiste, avait fait preuve d’une réelle ambition en matière budgétaire, qu’il avait mise au service d’un projet politique fort. Cette fois, on est en train de faire l’inverse: on déconnecte les deux. Le projet politique n’est plus assis sur un projet budgétaire.
Prenons l’exemple de l’énergie. J’ai lu avec intérêt la récente tribune des ministres Laurent Fabius et Delphine Batho sur la nécessité d’une communauté européenne de l’énergie, pour l’essor des énergies renouvelables. Or, dans les négociations budgétaires à Bruxelles, on s’aperçoit que la France a fait des investissements dans l’énergie une variable d’ajustement. Ils proposent en particulier de faire des coupes dans un paquet d’investissements proposé par la Commission, qui vise à financer les projets transfrontaliers, en matières de transports ou d’énergie (mécanisme européen d’interconnexion, programme à l’origine doté de 50 milliards d’euros, ndlr). De la même façon, le budget consacré à la recherche et l’innovation, si essentiel à la compétitivité européenne, est en train d’être sacrifié.
Les Français répondent qu’ils sont d’accord pour augmenter le budget consacré aux investissements, mais que les hausses proposées par la Commission sont si fortes, qu’elles ne sont pas réalistes.
Pour l’énergie, le document sur la table parle de 9 milliards d’euros, sur les sept ans à venir. C’est la base, si l’on veut obtenir des effets de levier à l’échelle du continent, pour mettre en place de grands réseaux énergétiques, connecter les « îlots énergétiques ». Ce sont des montants minimaux si l’on veut que cela soit efficace. D’autant qu’au même moment, la France se bat pour conserver les 2,7 milliards d’investissement pour développer ITER, en plus des autres programmes nucléaires financés à travers Euratom. A l’origine, la Commission avait pourtant proposé de sortir ITER du budget européen, et de trouver d’autres manières de le financer. Mais Paris a bloqué, et le programme ne fera l’objet d’aucune réduction.
Autre exemple: prenons des secteurs industriels comme l’automobile ou la sidérurgie. Ils connaissent des difficultés partout en Europe. Le niveau national n’est plus le bon niveau d’intervention. Ce n’est pas la France seule qui va réussir face à Mittal. C’est absurde. D’autant que Mittal joue la concurrence entre les Etats. Renforcer le budget européen est la seule manière de conduire une vraie politique industrielle dans ces secteurs.
Les aides consacrées à la Politique agricole commune (PAC) passent pour l’instant de 421 milliards (sur la période 2007-2013) à 386 milliards d’euros (2014-2020). Les Français ont prévenu qu’ils n’accepteraient plus d’autres coupes dans la PAC. Qu’en dites-vous?
Sur la PAC, nous plaidons pour un redéploiement très net des aides. Nous soutenons par exemple le projet de plafonnement des aides directes à 100.000 euros par an par exploitation – alors que la Commission a proposé un seuil à 300.000 euros. Ce niveau de plafonnement permettrait d’allouer six à sept milliards d’euros pour le développement rural chaque année. Par ailleurs, il faut évidemment renforcer les critères écologiques dans l’accès aux aides directes (le ministre de l’agriculture français, Stéphane Le Foll, y est officiellement favorable depuis peu, ndlr).
« Les rabais doivent sauter »
L’issue du sommet dépend de l’attitude des Britanniques: David Cameron, qui plaide pour un budget de 886 milliards d’euros, inférieur aux propositions en débat, assure qu’il ne transigera pas. Comment faire?
Je voudrais d’abord remarquer qu’Angela Merkel, la chancelière allemande, vient d’accomplir une incroyable tournée européenne, pour vendre ses idées, de la Grèce à l’Espagne. De son côté, François Hollande s’est certes rendu en Pologne – ce qui est très bien, parce que Varsovie est le chef de file des ‘amis de la cohésion’ (une quinzaine de pays, surtout à l’Est, qui refusent toute coupe dans les aides européennes à la cohésion, ndlr). Mais il faudrait qu’il poursuive. Il avait passé, en juin, des accords avec l’Italie et l’Espagne. Très bien. Mais depuis? Il doit se déplacer davantage en Europe.
Aujourd’hui, le Conseil est de plus en plus divisé. Entre les ‘amis de la cohésion’, la France qui défend la PAC, et les ‘contributeurs nets’, qui veulent baisser fortement le budget (l’Allemagne, la Grande-Bretagne, les Pays-Bas, la Suède, ndlr). Et dans ce contexte, depuis le traité de Lisbonne, le Parlement européen a lui aussi son mot à dire sur le budget. Et il peut mettre son veto. Si il n’y a pas d’accord au Conseil ou si l’on utilise ce veto, que se passe-t-il? Le cadre budgétaire pluriannuel ne sera pas adopté.
Ce n’est pas un souci à nos yeux. Parce que, dans cette hypothèse, ce sont les plafonds budgétaires prévus pour 2013, qui seront reconduits en 2014, et ainsi de suite. Ce qui serait de toute façon plus satisfaisant que le mauvais compromis qui se dessine aujourd’hui.
Mais on imagine mal aujourd’hui le Parlement européen oser mettre par terre, en début d’année prochaine, un accord obtenu de longue lutte, après des journées de négociation des chefs d’Etat…
C’est en tout cas ce que nous, Verts européens, allons défendre. Je ne vois pas comment l’on peut faire autrement. L’Europe est la clé de la sortie de crise. Mais Herman Van Rompuy se situe à l’exact opposé d’un Jacques Delors. Du temps de Delors, c’était: on a un projet politique, et après on le finance. Avec Van Rompuy, c’est l’inverse: on fait la somme des desiderata et exigences de chacun des Etats membres, on additionne et on sacrifie le projet européen. Bien sûr, c’est malin de sa part, de vouloir donner un peu à tout le monde. Mais en faisant cela, il s’aligne sur le moins-disant.
François Hollande est monté au créneau sur la question des rabais, accordés de longue date à la Grande-Bretagne et à d’autres: Paris verse chaque année au budget européen entre 1,6 et deux milliards d’euros, pour compenser ces rabais… Qu’en pensez-vous?
Les rabais sont indignes du projet européen. Qu’il s’agisse du chèque britannique, qui remonte à 1984, ou des rabais accordés plus tard à l’Allemagne, à la Suède, aux Pays-Bas, et à l’Autriche c’est totalement ridicule. Je soutiens donc la position française, pour que tous ces rabais sautent.
Les Français défendent aussi l’idée d’alimenter le budget européen via des « ressources propres », comme la taxe sur les transactions financières – ce que les Britanniques appellent en raccourci des « impôts européens ». Qu’en pensez-vous?
Nous y sommes très favorables. La seule taxe sur les transactions financières représenterait, pour la France, à horizon 2020, un retour de 12 à 14 milliards d’euros par an. C’est presque comparable au montant versé par Paris au budget européen (19,6 milliards en 2013, ndlr). C’est donc loin d’être négligeable… Mais je regrette que l’on n’entende pas les Français, lorsqu’il s’agit de défendre d’autres ressources propres, comme la fiscalité énergie au sein de l’Union européenne. On ne les entend pas non plus sur la fiscalité des entreprises. Nous défendons l’idée d’un taux plancher d’impôt sur les sociétés de 20%, pour freiner le dumping fiscal, dont 5% serait reversé au budget de l’Union.