Au Parlement européen cette semaine est discuté en plénière un accord commercial avec le Maroc.
Les eurodéputés EELV, emmenés par José Bové, rapporteur du texte, s’opposent à cet accord préjudiciable, à la fois pour les agriculteurs européens et marocains.
Les débats vifs en réunion de commission, et dans l’hémicycle promettent un vote serré ce jeudi.
Le groupe des Verts / ALE a d’ailleurs proposé une résolution alternative (disponible ici) pour tenter de rejeter l’accord et d’epliquer les raisons pour lesquelles ils s’y opposent.
Pour comprendre un peu les enjeux de ce texte, quelques points clés:
- Dans le cadre du processus de Barcelone, mis en place en 1995, l’Union européenne a conclu des accords d’association avec une douzaine de pays au sud du bassin méditerranéen, dans le but de renforcer le dialogue et la coopération en vue d’établir une zone de paix, de sécurité et de prospérité. Postérieurement, l’objectif de créer une zone de libre-échange a pris le devant, en commençant par la libéralisation des échanges agricoles. En 2005, conformément à la feuille de route de Rabat, le Conseil européen a alors autorisé la Commission à mener des négociations avec plusieurs pays du pourtour méditerranéen en vue d’établir les conditions de la libéralisation des échanges de produits agricoles et de produits de la pêche. Le Royaume du Maroc figurait dans la liste des pays concernés.
- Le rapport concerne les mesures de libéralisation en matière de produits agricoles et de pêche. (principalement les tomates, fraises, melons et autres fruits et légumes!)
- Le 20 décembre 2011, la commission de l’Agriculture et du Développement Rural du PE avait massivement rejeté le rapport sur le même thème.
- le 31 janvier 2012, la Commission du commerce international a approuvé le rapport (contre l’avis du rapporteur José Bové)
Principaux points qui plaident contre la signature de cet accord:
- En préambule, nous ne sommes pas en train de réduire ou de mépriser le formidable élan de démocratie qui souffle et qui a soufflé avec le printemps arabe. Mais la complexité de la maturation de l’avènement de la démocratie dans ces pays, montrent que ce n’est pas avec le commerce que nous allons apporter plus de démocratie. Au vu des événements survenus au cours du printemps 2011 en Tunisie, en Egypte, en Lybie et en Syrie, nous avons constaté que les accords de libéralisation mis en place à ce jour n’ont pas atteint les objectifs affichés et nous nous interrogeons donc sur la pertinence de poursuivre une politique qui privilégie les intérêts économiques d’acteurs influents qui jusque là étaient les principaux alliés des dictatures…
- Un bilan environnemental désastreux Aucune étude d’impact n’est disponible, notamment sur les impacts sociaux, économiques et environnementaux que cet accord de libre-échange entraînerait. Sur le plan environnemental, le bilan est négatif et remet en question les objectifs de l’Union européenne en matière énergétique et climatique. Selon une étude comparative réalisée par l’INRA (Institut national de la recherche agronomique), 100 litres d’eau sont nécessaires à la production d’un kilo de tomates au Maroc contre seulement 10 en France. L’exportation de 250 000 tonnes de tomates équivaut à l’exportation de 25 millions de m3 d’eau.
- Le droit international bafoué. La Commission oublie la situation du Sahara Occidental, ce qui nous pose donc la question de la légalité de cet accord. En effet, les territoires du Sahara Occidental, territoires non autonomes y sont inclus. (juridiquement la responsabilité du Sahara occidental relève de l’Espagne mais de facto, c’est le Maroc qui l’administre) Il y a donc un vrai problème de droit international sur la question de la portée territoriale de l’accord entre l’Union européenne et le Maroc! Plusieurs états, notamment les Etats-Unis, ont signé des accords de libre-échange avec le Royaume du Maroc en excluant expressément le Sahara occidental. Ces dispositions ont été prises pour ne pas influer sur le résultat des négociations internationales menées sous l’égide des Nations unies en vue de trouver un règlement pacifique entre les différentes parties. Et comme la Commission européenne et le service juridique du Parlement ont des opinions divergents sur cette question, le rapporteur José Bové considère qu’il n’est pas en mesure de garantir que cet accord de libre-échange soit en conformité avec les traités internationaux…
- Par ailleurs, la reconnaissance et le respect des droits syndicaux ainsi que la mise en oeuvre d’une politique volontariste pour lutter contre le travail des enfants comptent parmi les préalables indispensables à la ratification d’un accord commercial avec le Maroc. Pour l’instant, rien n’a été fait dans ce domaine. D’autant plus que les zones concernées se trouvent en grande partie sur le territoire du Sahara Occidental.
- Un afflux de tomates et de fruits et légumes marocains sur le territoire européen ? Au Maroc, 3 entreprises représentent 70% des exportations. Il est clair que ce ne seront pas les petits producteurs qui pourront profiter de cet accord de l’autre côté de la Méditerranéen, mais bien la grande distribution et les multinationales. Les normes sociales et environnementales en vigueur dans l’UE seront contournées, au grand damn des petits producteurs européens. En ce qui concerne l’agriculture et la pêche, cette nouvelle entente privilégie de part et d’autre le renforcement d’une agriculture industrielle, fortement capitalisée aux dépens de l’agriculture familiale et paysanne. L’augmentation des quotas à taux réduits pour une gamme importante de légumes (tomates, aubergines, courgettes, ail, concombres) et fruits (oranges, clémentines, melons, fraises) placera, de plus, les producteurs européens dans une situation de concurrence difficilement soutenable sans pour autant conforter un développement agricole équilibré au Maroc. Des centaines de familles pourraient être appauvries et jetées à la rue, sans pouvoir subsister.
C’est donc un accord perdant perdant. Le mettre en oeuvre, ce serait donc un coup dur pour l’agriculture familiale des deux côtés de la Méditerranée.
Réponse jeudi 16 février avec le vote en plénière