Tribune publiée dans Libération le 9 décembre, à la veille de la clôture du sommet sur le climat de Durban.
Climat: halte au conservatisme industriel !
La 17e Conférence sur le climat se conclut à Durban dans l’indifférence. Le climat s’est-il stabilisé ? Bien au contraire, 2010 a été l’année la plus chaude jamais enregistrée par l’humanité. Les tragédies météorologiques se multiplient. Le péril climatique est annoncé : la température moyenne sur la planète pourrait grimper de 4 à 6 degrés d’ici la fin du siècle si les efforts pour réduire nos émissions de gaz à effet de serre restent aussi dérisoires. En 2009, à Copenhague, nous étions pourtant nombreux à y croire, tant était puissante la mobilisation citoyenne et politique. Les dirigeants des pays les plus pollueurs se sont comportés comme lors d’un G20, rivalisant de coups de menton, de poignées de main généreuses et de formules historiques pour qualifier le plus grand défi de l’humanité. Mais ils n’ont pu masquer l’indigence de l’accord conclu. A Cancun en 2010, la négociation climatique fut sauvée, pas le climat !
A Durban, l’UE défend avec raison la poursuite du protocole de Kyoto et la perspective d’un accord global contraignant qui associerait pays riches et émergents. L’issue est incertaine tant l’obstruction des Etats-Unis et de la Chine est forte. Pourquoi une telle inertie alors que les conditions mêmes de notre avenir sont menacées ? Pourquoi l’Europe, pertinente sur l’architecture de l’accord, ne s’est-elle dotée que d’un très modeste objectif de réduction de ses émissions (- 20 % d’ici 2020) quand les scientifiques veulent le double pour espérer rester sous les 2 degrés de réchauffement ?
C’est que la négociation climatique est bien plus qu’une négociation environnementale. Lutter contre le dérèglement climatique nécessite de modifier en profondeur nos modes de production, de transport et de consommation. Autant d’habitudes, de rentes et d’intérêts difficiles à bousculer alors que les politiques climatiques, pour être efficaces, ne pourront plus se contenter de distribuer généreusement dérogations et quotas de CO2 aux pays et entreprises récalcitrants. Jamais une négociation internationale n’a généré une telle opposition, associant des multinationales des énergies fossiles, de la chimie, du ciment, de l’automobile ou de la sidérurgie. Une nouvelle économie émerge pourtant, avec une incroyable course dans les technologies vertes. Les renouvelables font leurs preuves : des centaines de milliers d’emplois non délocalisables (déjà 370 000 en Allemagne) ; des réseaux puissants de PME ancrant l’économie sur les territoires ; un marché mondial en expansion estimé à plus de 2000 milliards de dollars en 2020 et déjà les deux tiers des nouvelles capacités de production électrique installées en Europe ! Idem pour la sobriété et l’efficacité énergétique : en baissant de 20 % son ébriété énergétique, l’UE économiserait chaque année 100 milliards d’euros et chaque ménage 1000 euros ; deux millions d’emplois seraient créés, notamment dans le bâtiment. La France ne possède pas moins d’atouts que l’Allemagne ou la Chine pour participer à cette formidable aventure. Mais elle prend du retard car la transition énergétique y est bloquée au nom d’intérêts dits «supérieurs», en réalité au nom d’un véritable archaïsme industriel : EDF pénalisée par tout kWh d’électricité économisé, Areva concurrencée par tout panneau photovoltaïque ou éolienne installé, Total effrayée par des voitures plus efficaces…
Partout dans le monde une partie de la société est en mouvement : des pays (l’Allemagne et le Royaume-Uni avec des objectifs climatiques près de deux fois plus ambitieux que la France), des régions et des Etats fédérés, des villes, des entreprises, dont Siemens, GE, Sony, Ikea, Philips, Unilever ou Danone, des investisseurs et des organisations de la société civile ont fait de la lutte contre le dérèglement climatique et de la nouvelle économie qui l’accompagne un projet collectif, au nom de l’intérêt général ou privé. Leur structuration avance mais, hétérogènes, ils peinent à peser au niveau national ou mondial. Qui se souvient que le gouvernement français a sacrifié 20 000 emplois dans le photovoltaïque il y a peu ? Les élus ont la responsabilité d’offrir à ces acteurs un cadre administratif, financier et industriel incitatif et stable, et d’accompagner la transition industrielle et sociale de l’ancienne économie.
Nous n’avons pas à choisir entre catastrophe économique et catastrophe climatique. Nous pouvons réconcilier l’économie avec la planète et les citoyens avec leur avenir. C’est un projet de société. Aux responsables politiques de convaincre, aux citoyens de s’en emparer. Alors la négociation climatique changera de nature.
Yannick JADOT, Député européen Europe Ecologie – Les Verts