Yannick Jadot : « Le risque nucléaire est mal géré en France »
Publié le 06-12-11 à 12:52 Modifié à 16:17
Le député européen d’EELV, ex-directeur des campagnes de Greenpeace, revient sur l’action de l’association dans des centrales nucléaires. Interview.
Le député européen, Yannick Jadot, ancien directeur des campagnes de Greenpeace, une semaine avant sa démission, le 25 novembre, en tant que porte-parole d’Eva Joly. (CHESNOT/SIPA)
Que pensez-vous de l’intrusion des militants de Greenpeace au sein des installations nucléaires de Nogent-sur-Seine (Aube) et de Cruas (Ardèche) ?
– Après Fukushima, la décision au niveau européen de réaliser des audits sur la sûreté des centrales nucléaires partait d’une bonne intention. Mais cela s’est rapidement transformé en outil de communication. Aux « stress tests » bidouillés d’Eric Besson (ministre de l’Industrie et de l’Energie), Greenpeace vient de proposer les « reality tests », qui démontrent le problème du nucléaire en France.
Le pays devait s’engager vers des évaluations exhaustives de ses centrales mais, sous la pression des exploitants des installations nucléaires, les expertises se sont limitées aux risques d’inondation et de séisme. Les stress tests français ne prenaient donc pas en compte les risques d’explosion, d’incendie, de crash d’un avion, d’erreur humaine ou de combinaison de plusieurs de ces éléments. Ce qui se fait parfois dans d’autres pays européens. En Allemagne, par exemple, la question terroriste a été intégrée dans les audits.
Ce n’est pas la première intrusion de Greenpeace au sein de centrales nucléaires françaises. De quelle manière l’ONG souhaite-t-elle orienter le débat présidentiel sur le nucléaire ?
– Le rôle de Greenpeace est d’influencer au maximum les politiques publiques. Et particulièrement cette année, en participant à un débat-clé qui s’est inscrit au cœur de la présidentielle. Les experts en sécurité nucléaire savent que les centrales sont une cible importante pour des groupes terroristes, et donc loin de montrer l’exemple, Greenpeace révèle les failles des dispositifs de sûreté.
L’intrusion à Nogent-sur-Seine est inquiétante car le dôme d’un réacteur est une zone beaucoup plus sensible que les tours de refroidissement (voir vidéo).
Si vous conjuguez cette opération de Greenpeace avec le rapport des députés Claude Birraux, Christian Bataille et du sénateur Bruno Sidot (rendu courant juin, ndlr), la situation est très préoccupante. Et il y a un mois, le rapport de l’IRSN (Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire, chargé de réaliser les stress tests, ndlr) a montré que nos centrales nucléaires avaient des niveaux de sécurité et de sûreté très insuffisants.
La France est-elle la seule en Europe à être dans cette situation ?
– Il n’y a pas eu d’actions similaires dans les autres pays européens depuis les stress tests, mais cela s’est déjà produit auparavant en Grande-Bretagne ou en Belgique.
Dans notre pays, le problème se pose de manière quotidienne et sur l’ensemble de la filière. Il y a 5 ans, on avait arrêté un camion de plutonium, au cœur de Chalon-sur-Saône (Bourgogne), avec plus de 20 kilos, soit l’équivalent de 15 bombes de Nagasaki.
Le risque nucléaire est mal géré en France. Ce que montre l’action de Greenpeace et ce que confirment les rapports en matière de sûreté et de sécurité. La France n’est ni à l’abri d’un accident nucléaire, ni d’une action malveillante. C’est aux citoyens de débattre et de décider s’ils veulent poursuivre de supporter ce risque qu’on leur impose depuis 40 ans. L’enjeu est d’améliorer fortement les dispositifs de sûreté et de sécurité mais la seule manière d’éliminer le risque nucléaire est d’en sortir.
Interview de Yannick Jadot, député européen d’EELV et ancien directeur des campagnes de Greenpeace de 2002 à 2008, par Ronan Kerneur – Le Nouvel Observateur (le 6 décembre 2011)