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Nucléaire : les déboires de Flamanville

par Guillaume Duhamel, Jeudi 1 septembre 2011

 

Nucléaire : les déboires de Flamanville, suite 

L’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) a constaté des malfaçons sur le prototype du réacteur EPR imaginé par Areva à Flamanville (Manche), centrale décidément très contestée ces dernières semaines

La montagne, fort coûteuse au demeurant, accouchera-t-elle d’une souris malade ? L’avenir du nucléaire, déjà beaucoup plus incertain à l’échelle mondiale depuis l’accident de Fukushima 1 (Japon), ce dramatique bégaiement de l’histoire, peut-il vraiment résider dans cette centrale de troisième génération trop vite vendue (dans tous les sens du terme) inviolable, infaillible, bref indestructible ?

À force de retards et de mauvaises surprises, Areva, son concepteur, paraît glisser sur une pente devenue dangereuse.

Des milliards d’euros sont en jeu. La question de la sécurité des riverains, elle, se doit d’être posée après les révélations fracassantes du Canard Enchaîné. Dans son édition d’hier, le palmipède satirique a en effet rendu publics des extraits de remontrances formulées ces derniers mois par l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) au sujet du réacteur EPR (Evolutionary Power Reactor) de Flamanville (Manche), qui ne devrait finalement entrer en service qu’en 2016 – soit avec deux années de retard par rapport à la feuille de route initiale – et dont certaines malfaçons pourraient « porter préjudice à la qualité finale des structures ».

« Les réparations sont évidemment obligatoires »

Le gendarme du nucléaire a notamment décelé des trous dans des piliers en béton ainsi que des défauts de conception dans les piscines qui doivent abriter le combustible nucléaire usagé (NDLR : des « erreurs de ferraillage » et « l’absence de nettoyage des fonds de coffrage, encombrés d’un mas de ligatures et autres objets non identifiés », ont détaillé nos confrères) et s’interroge sur d’éventuelles carences dans d’autres parties du réacteur.  Et d’adresser à l’exploitant EDF pas moins de « quatre lettres au vitriol qui mettent en cause la qualité de plusieurs constructions vitales pour la sécurité (de la future installation) » entre octobre et août derniers. Deux sont des « lettres de suite », les deux autres « des courriers d’échange techniques » succédant à des inspections sur le site normand mais le fait est que toutes ces missives sèment irrésistiblement le trouble.

Elles viennent aussi s’ajouter aux réserves émises par l’Autorité quant à la faculté de résistance aux secousses telluriques d’une partie de la centrale, dont un bâtiment de gestion de crise en particulier n’aurait pas été conçu pour faire face à un tremblement de terre de magnitude 5,7 semblable à celui qui avait touché l’île anglo-normande de Jersey en 1926, ainsi qu’évoqué en début de semaine dans ces colonnes.

Qu’à cela ne tienne : l’exploitant s’obstine à garder le silence. Le responsable de la division de Caen (Calvados) de l’ASN Simon Huffeteau, lui, a précisé : « les trous dans le béton, les nids de cailloux (zones remplies de pierres et manquant de ciment au sens large), c’est une problématique courante du génie civil. EDF, en tant qu’exploitant, se doit de les identifier et de les réparer. Les réparations sont évidemment obligatoires ». « EDF nous a alertés au fil de l’eau. Il n’y a pas eu de volonté de cacher », a également déclaré M. Huffeteau, selon lequel l’entreprise devrait fournir d’ici quinze jours « une réponse sur le bilan des réparations et sur les méthodes pour les futurs bétonnages complexes ».

« Stopper cette gabegie »

Interrogé hier à la sortie du Conseil des ministres, le ministre de l’Énergie Eric Besson, qui vient de plaider pour des stress tests nucléaires mondiaux, s’est de son côté voulu rassurant, soulignant que « les travaux visés par les lettres de l’ASN citées dans cet article sont encore en cours et n’ont même pas été réceptionnés par EDF » et faisant savoir que « les observations de l’Autorité seront bien entendu prises en compte dans le cadre de ce chantier en cours ». « Ce n’est pas la peine de s’exciter », a-t-il poursuivi.

Une petite phrase un brin méprisante qui ajoutera sûrement au courroux de ses détracteurs, parmi lesquels les eurodéputés d’Europe Écologie-Les Verts (EELV) Yannick Jadot et Michèle Rivasi, qui ont réagi via un communiqué de presse commun. « Cet énième défaut de construction remet en cause la pérennité du chantier en tant que tel », a estimé le premier, qui a rappelé que « les délais et les corrections se paient en milliards d’euros » et a enjoint au gouvernement de « stopper cette gabegie, à acter l’arrêt du chantier de Flamanville et à investir sur les économies d’énergie et dans l’industrie des énergies renouvelables à l’instar de nos voisins ».

Mme Rivasi a pour sa part mis en avant le fait que « ces révélations arrivent deux jours après que le Premier ministre ait annoncé à Bugey (Ain) que la France conserve une avance technologique dans le domaine nucléaire ». « Les failles dans la construction de l’EPR ne sont pas nouvelles et EDF comme Areva mettent des bâtons dans les roues de l’ASN en permanence, allant jusqu’à refuser de transmettre des documents nécessaires à l’exercice de la mission de contrôle et de surveillance de l’ASN », a-t-elle également asséné, dénonçant des pratiques « scandaleuses » et qui doivent être « lourdement sanctionnées ».

« C’est vrai qu’il y a des malfaçons, car c’est un prototype et il y a des difficultés techniques, mais elles sont reprises », a enfin commenté Martin Bouygues, PDG du groupe du même nom, responsable du génie civil pour la construction de l’EPR et passablement remonté contre ce qu’il estime être « une manipulation honteuse et scandaleuse » du Canard Enchaîné.

Les allégations du quotidien n’en sont pas moins un nouveau coup dur pour Areva et son EPR, acteur principal d’un feuilleton déjà riche en rebondissements. Impliquant  l’ASN, le leader mondial de l’énergie atomique et le gouvernement, il n’est de toute évidence pas près de s’achever.

Crédits photos : Wikimedia Commons – Framatome ANP / Teollisuuden Voima Oy / flickr – Greenpeace Finland
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