ZeGreenWeb: Bruxelles tranche la question des stress tests

Bruxelles tranche la question des stress tests nucléaires

par Guillaume Duhamel, Mercredi 25 mai 2011  

 

Les risques liés au terrorisme, à un accident d’avion et à une erreur humaine ne seront finalement pas pris en compte dans les stress tests européens. Un coup très dur pour les écologistes

Objets de négociations houleuses, dans un contexte marqué par les fortes attentes de l’opinion publique continentale à la suite de l’accident de Fukushima 1 (Japon) et les pressions des lobbies français et britannique du nucléaire opposés à l’évaluation de certains risques pourtant essentiels, les stress tests européens ont fait l’objet d’un compromis jugé très décevant par les écologistes.

 

Les responsables d’Europe Écologie-Les Verts (EELV) espéraient en effet des expertises complètes, c’est-à-dire englobant aussi les risques liés à un attentat terroriste, à une chute d’avion et à une défaillance humaine. Le ministre autrichien de l’Environnement Nikolaus Berlakovich, le Commissaire européen à l’Énergie Günther Oettinger et accessoirement le président de la Commission européenne José Manuel Barroso aspiraient également à des tests ne négligeant aucun scénario. Ils ont hélas perdu une bataille capitale en échouant à obtenir l’infléchissement des positions de Paris et de Londres, par ailleurs hostiles à des tests effectués dans la transparence et par des organismes indépendants. C’est un succès total pour Nicolas Sarkozy et le Premier ministre britannique David Cameron et, pour ceux qui en doutaient, la preuve irréfutable que le lobby de l’atome, bien que fragilisé par les événements au Japon, est encore assez puissant dans certains États membres pour faire plier les institutions européennes.

stress tests nucléaire fukushima

« L’arrogance nucléaire française se poursuit »

 

« Le Commissaire avait longtemps campé sur ses positions et affirmé qu’il prendrait en compte les attentats terroristes dans le cahier des charges mais il a finalement dû céder face à la pression des autorités françaises et britanniques », rapporte l’eurodéputé Yannick Jadot (EELV), qui déplore que le « moins-disant sécuritaire » ait finalement remporté la mise. « Ces tests se transforment comme prévu en simple exercice de communication, orchestré par les autorités nationales, tandis que pendant ce temps les citoyens européens s’interrogent légitimement sur le risque qu’on leur impose. C’est l’arrogance nucléaire française qui se poursuit », ajoute le parlementaire dans un communiqué lapidaire.

Tout aussi amère, sa collègue Michèle Rivasi s’est interrogée : « que penser de la déclaration de l’ENSREG (Groupe européen des autorités de régulation dans le domaine de la sûreté nucléaire) disant que les régulateurs « savaient très bien ce qu’il fallait faire pour améliorer la situation » dans les centrales ? Cela veut-il dire que les conditions optimales de sécurité n’étaient jusque là pas réunies ? » Non moins inquiétant, ces tests ne viseraient finalement pas à fermer les centrales les plus à risque. Dès lors « quelle sera la finalité de ces tests de résistance si ce n’est d’aboutir à de dangereuses améliorations à la marge, aussi inutiles que coûteuses pour le contribuable européen ? », se demande Mme Rivasi.

Authentique mascarade aux yeux des écologistes, les stress tests ne prendront donc pas en considération les défaillances humaines. Une omission délibérée d’autant plus incompréhensible que l’accident de Tchernobyl (Ukraine) est dû à une mauvaise manoeuvre et que la fusion du réacteur 1 de la centrale de Fukushima, à la lumière de documents internes de l’exploitant TEPCO (Tokyo Electric Power COmpany) qu’un de nos confrères japonais est parvenu à se procurer, a sans doute été provoquée par un employé du groupe qui n’aurait toutefois fait que respecter le cahier des charges. D’aucuns en déduiront que les procédures aujourd’hui en vigueur au Japon sont inadaptées pour faire face à des catastrophes naturelles majeures. Quant à celles existant sur le Vieux Continent, elles seront dans le meilleur des cas partiellement révisées. Autre grand absent des évaluations européennes : les risques liés à une chute d’avion. Alors même que, contrairement à ce que prétend l’Élysée, EDF a admis dans des documents classés secret-défense qu’un réacteur EPR ne peut pas résister à crash…

Le compromis réside en fait dans le distinguo fait par l’Union entre sûreté d’une part et sécurité d’autre part. Deux termes voisins de prime abord mais en l’occurrence bien distincts dans la mesure où la première a trait aux risques de catastrophe naturelles et où la seconde est relative aux actes terroristes et de sabotages. Les experts chargés d’inspecter les centrales européennes, eux, seront issus d’États membres et cohabiteront au sein d’un groupe de travail avec des représentants de la Commission européenne. De quoi attiser le soupçon de partialité, même si leur mandat et surtout les méthodes d’investigations doivent encore être définis.

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Un audit indépendant pour faire passer la pilule

Catégoriquement opposé à une sortie progressive de l’énergie atomique et sans doute rassuré par l’issue des tractations sur ces stress tests continentaux dont il a néanmoins défendu le principe, M. Sarkozy s’était engagé au début du mois lors d’une réunion avec des ONG de protection de la nature à lancer un audit de la filière nucléaire. Il a tenu parole et, conformément aux propos qu’il leur a tenu il y a trois semaines, celui-ci sera bel et bien réalisé par la Cour des Comptes. François Fillon vient de mandater son président Didier Migaud (PS) pour que soit livré d’ici le 31 janvier prochain un rapport sur le véritable coût de cette filière régulièrement fustigée pour son opacité. Si le prix du mégawattheure (MWH) est environ 30 % moins cher en France que chez nos voisins, de nombreux experts s’interrogent par exemple sur les arriérés de facture et l’audit de la Cour des Comptes a vocation à lever le voile sur ces sommes.

« Il m’apparaît important que soient pris en compte, à leur bon niveau, les coûts liés au démantèlement des installations nucléaires, au recyclage des combustibles usés, au stockage des déchets, à la recherche, au développement ou au contrôle de la sûreté nucléaire et de la radioprotection », détaille le Premier ministre dans sa missive. « En application de l’article 47-2 de la Constitution, je sollicite votre concours pour que vous puissiez assister le gouvernement en expertisant les coûts de la filière nucléaire, y compris ceux relatifs au démantèlement des installations et à l’assurance des sites », poursuit le locataire de Matignon, qui réclame des travaux effectués « de manière ouverte et transparente ».

Et d’insister sur les nécessités d’expertiser les données fournies par les opérateurs du secteur nucléaire civil, de « recueillir les questionnements pertinents émanant d’économistes comme d’associations de protection de l’environnement » et de tenir compte « des objectifs généraux concernant la mise en service de nouveaux réacteurs et la poursuite d’exploitation des centrales nucléaires au-delà de quarante ans ». Une allusion à peine voilée à l’unité de Fessenheim (Haut-Rhin), doyenne du parc atomique français actuellement expertisée par EDF et l’Autorité de sûreté nucléaire dont ils sont de plus en plus nombreux, dans l’Hexagone mais aussi en Suisse et en Allemagne, à réclamer la fermeture définitive.

À défaut d’un référendum sur la politique énergétique française, d’une sortie progressive du nucléaire « à l’allemande » et de stress tests dignes de ce nom, les écologistes auront donc eu droit à cet audit indépendant qu’ils souhaitaient depuis de longues années. Nul doute cependant qu’il faudra bien plus pour qu’ils cessent de taper du poing sur la table.

Crédits photos : Wikimedia Commons – Fred-niro / Florival fr / LeMorvandiau
Article publié sur zegreenweb.com
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